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La parentalité : Concept – Dispositifs– Modalités

Niveau 4 : Prévention secondaire : intervention standard Les mandataires sont issus des pouvoirs publics

4 Cadre théorique et méthodologique de la recherche

4.5 L’économie cinétique selon Baudouin comme révélatrice de l’épreuve

Nous faisons le choix de mobiliser l’économie cinétique comme composante de l’expression. C’est-à-dire la forme expressive du récit de parentalité. Il s’agit ici non pas du ton de la voix du parent, ou d’une typicité du lexique mobilisé, mais du temps de l’expression du récit en comparaison au déroulement temporel réel de l’événement conté. Dans notre étude, nous comparerons le temps pris par le parent pour raconter une séquence de son vécu réel en comparaison à son déroulement chronologique dans la réalité.

Ainsi un parent peut résumer une journée en une année ou en une phrase.

Baudouin développe dans son modèle d’analyse des récits autobiographiques une instrumentation pour mettre en évidence les pauses du récit. En cela, Baudouin s’inspire du modèle cinétique de Genette (Genette, 2007, p. 95). Cette perspective sémiotique met en relation et compare le déroulement du récit avec le déroulement temporel réel du fait relaté. Pour Baudouin, la pause signale la présence potentielle d’une épreuve.

Car détailler, c’est nécessairement opérer une pause et dramatiser. (Baudouin, 2010a, p. 138)

Nous tenons à livrer ici, brièvement, au lecteur quelques repères lexicaux du modèle de Genette (Genette, 2007), car il rend compte de dimension discrète de la construction du récit et permet un éclairage très intéressant de la structure des récits de parentalité. Le lexique est constitué de 3 catégories : l’ordre, la vitesse et la fréquence. Genette construit toujours son analyse en comparant les temps du récit à leur déroulement dans la réalité.

L’Ordre

L’analyse de l’ordre a pour but de comparer l’ordre du déroulement des étapes du récit avec l’ordre vécu réellement

L’Ordre peut être frappé de deux types d’anachronie

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L’Analepse : Le narrateur raconte après-coup un événement qui s’est produit avant le moment décrit dans le récit. Il fait un brusque saut en arrière dans le temps.

L’analepse est très souvent mobilisée par les parents qui font sauter leur récit d’une expérience présente vers une expérience passée, vécue de l’enfance ou expérience précédente. Nous trouvons ici l’habitude signalée par de nombreux auteurs au sujet des récits de parentalité.

La Prolepse : Le narrateur effectue un saut en avant et anticipe un épisode, puis revient au déroulement précédent du récit.

La prolepse se voit aussi fréquemment mobilisée par les parents qui se projettent de l’expérience présente vers l’événement futur, anticipant le futur adulte résultant de leur éducation. Un parent craint l’évolution de son enfant et anticipe son attitude en tant qu’adolescent, quand il observe les crises de celui-ci alors qu’il a seulement 5 ans.

La Vitesse

L’analyse de la vitesse porte sur le rapport entre le temps consacré aux circonstances et leur déroulement réel. Il s’agit du rapport temps du récit vs temps de l’histoire ou TR/TH. L’économie cinétique du modèle de Baudouin est inspirée de la comparaison de la vitesse du récit et de son déroulement réel.

La pause : TR=n, TH=O c’est un moment de description qui s’extrait du flux temporel pour accéder à un discours hors temps. Telle la description d’un objet, d’un lieu ou de circonstances particulières.

La scène : TR = TH le temps du récit correspond au temps de l’histoire, un dialogue en est un bon exemple

Le sommaire : TR< TH une partie de l’histoire événementielle est décrite dans le récit ce qui procure un effet d’accélération.

L’ellipse : TR = 0 et TH = N une partie de l’histoire est tout simplement sautée et ne fait pas l’objet d’une mise en récit.

L’explicitation : TR > TH L’explicitation est une vitesse particulière des récits de parentalité. Elle n’existe pas dans la grille de Genette. Mais elle correspond pour nous à l’exploration par l’explicitation d’expérience vécue par le parent. Elle conduit la personne à approfondir et à ralentir le déroulement de certains moments vécus, de telle manière que le récit très détaillé de ceux-ci en profondeur peut donner de l’instant une vision plus longue que le déroulement réel.

La fréquence

La fréquence narrative étudie la relation entre le nombre d’occurrences d’un événement dans la réalité et le nombre de fois où il est mentionné dans le récit.

Le mode singulatif : on raconte autant de fois un événement qu’il s’est déroulé de fois dans la réalité.

Le mode répétitif : on raconte plusieurs fois ce qui s’est passé une fois Le mode itératif : on raconte une fois ce qui s’est passé plusieurs fois

Ces différentes caractéristiques peuvent être l’objet d’une attention en soi dans la manière dont un parent construit son récit de parentalité. Nous ferons référence à certains de ces aspects dans la description de notre cadre d’analyse.

Nous avons décidé de mobiliser ce lexique pour distinguer les épreuves singulatives des épreuves itératives pour les parents. Donc, nous distinguons d’une part des épreuves clés de type singulatif qui marquent une étape très précise dans un parcours et d’autre part, des épreuves itératives plus discrètes qui ne marquent pas directement le récit en matière de vitesse, mais signalent pourtant des mini-scènes de la vie quotidienne dont la répétition augmente l’importance dans les récits de parentalité (les couchers de l’enfant, les repas). Quand le parent parle de son expérience, il souligne souvent la répétitivité d’un événement comme facteur aggravant parce qu’il conduit à un sentiment d’impuissance : « J’en ai marre de répéter dix fois la même chose… » ; « C’est chaque soir la même histoire… » Un parent peut, par exemple, décrire un enfant qui ne veut pas dormir avant minuit et simplement ajouter en complément

93 que ce problème a duré cinq ans. La description du coucher difficile peut-être brève, mais sa caractéristique itérative en augmente la gravité dans le récit. Nous avons donc souligné qu’il existait des épisodes ou épreuves répétitives ou itératives clés qui s’inscrivaient dans la répétition de ces scènes quotidiennes en comparaison de scènes singulatives.

4.6 Le « JE ». Énonciation de la subjectivité dans les récits de parentalité

Les récits de parentalité portent-ils une intention énonciative ? Telle pourrait être la question posée à ce niveau d’analyse. Ainsi, comme le décrivent de nombreux auteurs, le récit autobiographique constitue une manière pour la personne de se mettre en jeu, de se caractériser et donc de s’identifier dans le regard du destinataire du récit (Baudouin, 2010a ; Demazière & Dubar, 2004 ; Gilbert, 2001 ; Pita Castro, 2013). Nous devons souligner le style argumentatif, voire parfois polémique des récits de notre panel.

Cette caractéristique rend compte à notre avis des enjeux de présentation de soi qui trament l’histoire du parent. Le parent tente de convaincre de sa bonne foi ou de la justesse de son action. Il cherche à donner une image de lui-même au destinataire du récit. L’enjeu identitaire est essentiel dans le récit de parentalité. Nous avons décidé, pour mieux cerner cette dimension argumentative et expressive des récits de parentalité, de faire appel aux concepts d’un auteur expert de la présentation de soi : Amossy.

Premièrement, Amossy décrit les caractéristiques identitaires du discours dans son ouvrage La présentation de soi. Éthos et identité verbale (Amossy, 2010). Cet auteur étudie avec beaucoup de finesse la mobilisation des pronoms et leur utilisation par l’auteur d’un récit ou d’une argumentation.

Amossy souligne l’importance de faire bonne impression, d’où l’importance de l’éthos dans le discours.

Amossy fait le lien entre les écrits de Goffmann sur la notion d’éthos, de présentation de soi développée dans la tradition rhétorique (Goffman, 1973). Ainsi, l’auteur du récit se met en scène par une scénarisation de soi qui impacte la construction du discours. Pour Amossy, il s’agit d’une construction progressive de soi au travers de stéréotypes, d’archétypes, par exemple : le « père cool » en opposition à la figure du « Pater Familias ». Pour Amossy, il y a différents stéréotypes qui permettent de rendre compte du statut de père de famille. Le parent pour se décrire fait appel à des versions disponibles du père dans une culture donnée en activant certaines caractéristiques plutôt que d’autres. Le parent base sa description identitaire dans des représentations ou des modèles divers de pères contemporains.

Il est aussi possible de subvertir le modèle, mais dans ce cas également, l’image nouvelle ne peut faire sens que sur le fond du stéréotype qu’elle rejette. Ainsi, le père se présente à ses enfants en copain, refusant tous les insignes de l’autorité et les modèles patriarcaux, se définit en opposition à ceux-ci finissant par produire, par la répétition et la multiplication de cette présentation de soi, un nouveau stéréotype de père moderne et décontracté. (Amossy, 2010, p. 47)

Pour Amossy, le stéréotypage est un processus inévitable de la construction identitaire et qui plus est de la bonne communication (Amossy, 2010, p. 56). L’expression s’inscrit dans une doxa dans laquelle le parent puise des ressources et des définitions de soi. C’est la présence forte du « Je » qui rend

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principalement compte du niveau de subjectivité dans un discours. Pour Amossy, l’examen des pratiques de présentation de soi commence par l’examen des personnes grammaticales mobilisées dans le discours. Le discours du parent est traversé par la parole de l’autre. Pour mieux cerner la présence du

« Je » dans le discours, Amossy fait appel aux travaux de Kerbrat-Orecchioni (Kerbrat-Orecchioni, 2009) pour définir le concept de « subjectivèmes ».

Il s’agit des « subjectivèmes », ou substantif, adjectifs, verbes et adverbes qui portent la marque de la subjectivité du « je » de l’auteur. Ils peuvent être affectifs (exprimant une réaction émotionnelle),

« évaluatifs » (reflétant une compétence culturelle) et « axiologiques » (portant sur un jugement de valeur). (Amossy, 2010, p. 109)

Toutes ces marques langagières permettent la construction d’un éthos dans le récit. À partir du moment où elles rendent compte de la personnalité, des compétences ou des systèmes de valeurs du parent. C’est sur la base de ces distinctions que nous déclinerons le niveau thématique des récits de parentalités. Nous présenterons une grille permettant d’organiser ces différents niveaux dans la méthode d’analyse de notre corpus. Ainsi nous distinguerons les simples articulations thématiques non valorisées par le parent. Les thématiques de nature argumentative révélant le «Je» au sens de Kerbrat-Orecchioni: les valorisations, les caractérisations personnelles et les émotions exprimées par le parent. En résumé, nous distinguerons au niveau énonciatif des articulations récurrentes de nature thématique, affective, évaluative et identitaire. Nous décrirons l’emploi de cette terminologie d’analyse du récit de parentalité au moment de sa mobilisation pour rendre son emploi plus simple à comprendre pour le lecteur.

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