La Conception : une épreuve standard

La parentalité est un parcours d’apprentissage contraint pour l’adulte. Ces contraintes prennent différentes formes et imposent au parent un processus de formation généré par des situations de face à face avec un être en développement. Les parents nous décrivent cet apprentissage contraint en mobilisant différents ingrédients. Chaque parent, comme Sylvie, décrit la parentalité sous une forme singulière et atypique. Il s’agit pour nous de chercher à mettre en évidence les facteurs standards de la conception.

Nous retenons principalement deux parcours standard qui s’imposent dans les histoires de parent : i. Les étapes du parcours de développement psychologique et physique de l’aîné

139 ii. Les cadres légaux du parcours législatif de la parentalité

7.3.1 La conception : une étape d’un parcours de développement psychologique et physiologique standard de l’aîné

Nous nous baserons, pour chaque épreuve, sur une synthèse bibliographique pour décrire les éléments principaux cités par les auteurs sur les stades de développement de l’enfant. Pour la conception, nous prenons en compte la période allant de la conception à la naissance de l’enfant. Ce tableau n’a pas pour but d’être pris en compte dans son entier en tant que tel, mais plutôt de nous permettre de relever la présence d’ingrédients développementaux dans les récits de parentalité de notre panel. Et de pouvoir signaler tel ou tel élément mobilisé par le parent dans sa narration. Nous avons pris en compte l’importance que revêt le développement de l’aîné dans les histoires de parent. Cette prise de conscience a été particulièrement nette à l’écoute et à la lecture des récits durant notre étape de précompréhension du corpus. Alors que dans les prochaines épreuves communes nous pouvons établir clairement un lien entre les éléments du développement de l’enfant et leur citations dans les récits de parentalité, durant la conception, il est plus difficile de comparer ces deux sources de données.

Tableau 24 : Développement de l'enfant durant la conception Développement de l’enfant durant la conception.

3 périodes de trois mois – Embryon – Fœtus – prénatalité.

Âge Âge de la vie (Gosselin et al., 2011 ; Papalia & Feldman, 2014, p. 217 ; Stassen et al., 2012) Prénatalité Conception

Le début de la vie – la conception

Avant la nidation de l’ovule dans la matrice, on parle d’ovule fécondé ou de zygote, blastocyste Conception in vivo : insémination naturelle – artificielle du père – artificielle par donneur – Conception in vitro : Bébé éprouvette – mère porteuse – etc.

Âge de la vie Physique (Stassen et al., 2012, 16 sem. mouvements perceptibles par la mère.

18 sem. réactions hormonales au stress

L’absence de connexions dans le cortex signifie que la perception de la douleur n’est pas possible avant 24 sem. Report of the Royal College of Obstetricians and Gynaecologists, London, 2010

38e semaine Naissance 38^e semaine le cerveau du fœtus libère des hormones qui déclenche la naissance.

Déclenchement de l’accouchement (la mère ou le bébé)

Contact physique avec la mère – réflexe de succion et allaitement

Il est clair, durant la conception, que le développement de l’enfant joue le rôle d’engrenage principal de l’horloge de la parentalité. Nous pourrions ici reprendre l’ensemble des récits parentaux sur la conception, tant la dimension du développement du futur bébé prend une place centrale durant celle-ci.

La confrontation au développement du corps de l’enfant impose une chronologie standardisée au récit de conception : procréation – grossesse – accouchement. Le développement de l’enfant et plus spécifiquement le déroulement de la grossesse imposent une contrainte chronologique majeure au récit de parentalité. Le travail de la conscience durant la conception répond au développement physiologique du futur bébé. Si la grossesse est vécue différemment entre le père et la mère sur le plan physiologique,

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par contre on observe une grande proximité dans le discours des deux parents quand ils parlent du développement physique de l’enfant. Ainsi tant pour les hommes que pour les femmes, la grossesse organise et détermine le récit de la conception dans sa présentation. Le déroulement du développement du fœtus, de l’embryon au fœtus, les étapes de la venue au monde séquencent de manière standard la description que les parents font du « devenir parent » durant cette épreuve.

7.3.2 La conception une étape standard d’un parcours législatif

Quels repères législatifs les parents ont-ils mobilisés durant leur description de la conception ? Nous le verrons dans les citations de parents, les confrontations au cadre législatif, bien que peu nombreuses durant la conception sont principalement déterminées par le cadre public. Les parents n’ont pas fait référence aux droits à l’avortement dans leur récit, ni même aux droits de l’enfant. Nous trouvons surprenant qu’aucun parent ne nous ait signalé la procédure d’inscription de l’enfant à l’état civil. En effet, c’est comme si la dimension légale ou administrative de la parentalité était pour ainsi dire absente des souvenirs des parents. Les seules références à un règlement social ou un facteur législatif sont les éléments liés aux procédures administratives d’adoption que nous ont signalée les parents-adoptants.

L’avortement reste partiellement tabou et les parents de notre panel ne nous en ont parlé que de manière voilée. Nous ne pouvons donc rien déduire de cette absence, si ce n’est de la signaler.

Sylvie nous a parlé de procédures judiciaires en lien avec son activité professionnelle. Il s’agit pour elle d’attendre simplement que les procédures de tribunal prennent fin.

Un couple parental témoigne, chacun de son côté, du conflit vécu avec les procédures hospitalières. Ces lois internes au monde hospitalier imposent aux parents de s’adapter à des règles auxquelles ils n’ont pas souscrit. Ces procédures sont signalées par plusieurs parents durant la conception. Ruth nous parle de la mécanique médicale, et Nicolas nous parle de protocoles pour signaler l’omniprésence de règlements et de procédures dans le milieu hospitalier. D’ailleurs, ils distinguent ici deux types de professionnels : ceux qui appliquent à la lettre les règlements et ceux qui savent les adapter aux besoins singuliers des parents.

Et là, le rôle de parent commence tout de suite, j’ai trouvé, dans le sens où il commence tout de suite parce qu’il faut tout de suite se positionner face à la médecine. Nous, on avait un regard très particulier sur la manière dont on voulait, ne serait-ce qu’accoucher [P-A : – Oui] et la suite, et on s’est tout de suite confrontés… à la mécanique… [P-A : – Médicale. Mmh] médicale, ou à ses protocoles et à ses limites, en fait. [P-A : – Oui] Et là, tout de suite, on a aussi vu que, et mon mari et moi, on avait des idées bien arrêtées de la manière dont on voulait qu’on procède avec notre enfant et on les a fait valoir, même si parfois, il fallait imposer les choses de manière un peu plus virulente pour qu’elles soient acceptées dans le milieu hospitalier. (Ruth, p.208, ligne 5)

Quant aux parents-adoptants, ils nous décrivent avec beaucoup de détails les labyrinthes administratifs, judiciaires et politiques par lesquels leur projet d’adoption les a fait passer. La dimension légale, administrative et judiciaire est telle, que l’enfant disparaît de la conscience du parent pour laisser place à un vulgaire dossier. Le parent décrit la manière dont il a le sentiment que la relation à un être humain devenait la relation à un objet réifié, le dossier.

Et l’enfant est devenu un dossier, il est devenu une fiche. Le processus d’adoption jusqu’au moment où l’enfant est arrivé réellement dans la famille, et même quelques jours après il a fallu un temps pour que je réalise : ça y est, c’est fait. Parce que c’est devenu quelque chose de théorique, c’est devenu pour moi un problème administratif, des papiers, des administrations, et bon voilà. C’est une période où le côté relationnel est passé à la seconde place, le côté humain. L’enfant n’était plus un enfant vraiment. C’était presque, voilà c’était un dossier. (Michel, p.382, ligne 23)

On assiste ici à une réification de l’enfant par les processus de standardisation induits par les règlements, les lois et les procédures imposés aux parents-adoptants. Les parents-adoptants de notre panel décrivent avec intensité l’impact et l’importance de la dimension législative de la parentalité. On pourrait bien sûr signaler que cette importance est uniquement liée au fait d’adopter. Néanmoins, elle explique d’une certaine manière la transparence de la dimension législative durant la conception. Tant que tout va bien, le parent ne perçoit pas l’imposant cadre législatif que déclenche la conception et la naissance de l’enfant. Pour les parents-adoptants, on pourrait parler de « conception administrative ». En conclusion,

141 on peut dire que les parents nous ont parlé de cadre législatif que nous n’avions pas anticipé : les procédures hospitalières, les procédures de prud’homme et le cadre législatif de l’adoption.