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Communauté de recherche et démocratie

Chapitre 3 : Communauté de recherche et démocratie

3.1. La communauté de recherche : un espace de légitimité

3.1.3. Légitimité démocratique et réalités pédagogiques

Amener les élèves à apprendre mais également à penser constituerait ainsi une piste pédagogique soucieuse de démocratie. Us seraient ainsi capables d’apprécier le fondement de la légitimité des diverses pratiques sociales qu’ils expérimentent.

124 « The first is to make students aware of the nature of the society in which they belong by getting them to learn the main strands of its history and the major features of its present-day structure. The second is to encourage them to think about these matters by sharpening their thinking skills and by showing them how to apply such skills to matters of importance. The first task involves getting student to learn; the second task involves getting them to think. There is reason to believe that we cannot effectively perform the first without effectively performing the second, and would not want to.» in LIPMAN, M., op.cit., p.110.

Dira-t-on qu’il s’agit là de quelque nouveau principe pédagogique révolutionnaire ? Certes par rapport au vécu actuel de l’enseignement, la distance est grande. Mais, au-delà de tous les droits acquis dans ce système, n’est-ce pas tout simplement le sain retour aux principes de la tête bien faite et non bien pleine, défendu jadis par Montaigne125 ? Mieux qu’une révolution, il s’agit d’ailleurs bien plutôt d’une volonté de réforme bien équilibrée. Elle vise non pas la transformation du rôle des enseignants mais une amélioration de leur vécu, afin d’offrir à leurs pupilles et à la société l’éducation démocratique dont ils ont besoin l’un et l’autre.

Sur ce point cependant, Lipman se distingue nettement des dogmes ambiants sur le rôle de l’école. Le professeur n’a pas à cautionner le système social dont il est un des fonctionnaires. Il s’en explique ainsi :

le professeur est un médiateur entre la société et l’enfant, et non pas un arbitre. Ce n’est pas le rôle du professeur que d’ajuster l’enfant à la société mais bien plutôt d’éduquer l’enfant de façon qu’il puisse éventuellement façonner la société d’une manière qui est plus sensible à ses préoccupations individuelles126.

Lipman rejoint par là la position communicationnelle, laquelle encourage le débat et la remise en question des différents rôles sociaux qui caractérisent l’individu au sein du système. Rien n’empêche en effet le professeur, agent du système, de soulever la validité des normes qui définissent son rôle au sein de la société.

Dans cette perspective, que le professeur n’ait pas à se considérer, par rapport à ses élèves, comme un ajusteur à la société découle logiquement de son rôle de médiateur et de sa volonté d’amener l’individu à exercer son esprit critique. Du moment qu’on concède à l’enfant ce droit, il paraît juste également de lui

125 MONTAIGNE, Essais I, Paris, Garnier-Flammarion, 1962, p.160.

126 « The teacher is a mediator between society and the child, not an arbitrator. It is not the teacher’s role to adjust the child to society but to educate children in such a fashion that they can eventually shape the society in a way that is more responsive to individual concerns », in LIPMAN, M.,

accorder celui d’agir sur les rouages du système dans un sens plus conforme avec ses idéaux et ses intérêts.

Cependant, l’école contemporaine vit de ce point de vue une situation ambiguë sur deux plans. Et envisager un modèle pédagogique sous l’angle de la légitimité démocratique peut se révéler problématique à la lumière des deux paramètres suivants.

En premier lieu, le sous-financement chronique de !’institution scolaire l’empêche de réaliser correctement son travail d’abord et aboutit aussi, dans bien des cas, à ouvrir la porte au financement privé. Cela crée alors un phénomène de dépendance ambigu, voire de partialité pour un service public, qui n’est pas toujours bien perçu. En outre, la conversion informatique semble gagner chaque jour de plus en plus !’institution scolaire. Or cette évolution pose un problème de première importance : si les pouvoirs publics confient, comme c’est le plus souvent le cas, la prise en charge du contenu des sites de « cyber-éducation » à des opérateurs privés, ils s’engagent eux-mêmes dans une voie préoccupante pour la qualité, la rigueur et l’indépendance des programmes.

Dans un tel contexte, promouvoir une réforme de l’éducation, qui vise à instaurer en classe un environnement destiné à cultiver la légitimité des pratiques individuelles et sociales, tiendrait de la gageure. Tant l’agir communicationnel voulu par Habermas que l’autonomie critique souhaitée par Lipman ne peuvent en effet se concrétiser dans n’importe quelle condition. Ils ne peuvent entre autre advenir sans tenir compte de la situation où évoluent les jeunes d’aujourd’hui. Car si les « conditions de départ » de !’apprentissage peuvent déjà être suspectées de dérives potentielles, il peut sembler prématuré de parler de légitimité. C’est pourquoi il importe de conserver à l’école un caractère indépendant qui permette d’envisager sereinement d’y aménager un espace pour une pédagogie de la légitimité, axée autour de la communauté de recherche.

Dans un deuxième temps, une analyse de la nature démocratique de la communauté de recherche peut s’appuyer sur l’examen de la notion d’esprit critique. Il peut être ainsi possible d’observer comment celui-ci peut, non seulement, offrir une notion opportune à l’aune des problématiques que traverse le monde scolaire, et en même temps répondre à certaines des préoccupations formulées par les tenants de la théorie communicationnelle.