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1.3. Jean-Marc Ferry et la philosophie de la communication

1.3.2. Communication et démocratie : l’idée de procédure

Une fois synthétisées les pensées d’Apel et d’Habermas, Jean-Marc Ferry s’emploie ainsi à préciser la sienne. On observe dans la seconde partie de sa philosophie de la communication sa recherche du lien entre les notions de justice politique et de démocratie procédurale. Cette enquête l’amène à prendre position dans la controverse qui oppose Habermas à son collègue John Rawls. Une comparaison des deux théories va alors lui permettre de démontrer la supériorité de l’idée communicationnelle.

44 Ibidem. 45 op.cit., p.55. 46 Ibidem

Pour en arriver là, il prend pour point de départ la constatation que la position rawlsienne repose en fait sur un « ocçidentalo-centrisme » impliquant

un sens commun démocratique libéral auquel, en dernière analyse, les principes rawlsiens devraient référer les préférences axiologiques de base sur lesquelles ils s’appuient47.

L’amputation unilatérale de la pensée qui résulte de cet accidéntalo- centrisme, pense Ferry, ne peut que conduire à des impasses. Pour les éviter, il lui semble préférable de se référer à la notion de procédure au sein de l’espace communicationnel. C’est qu’à ses yeux, au-delà des querelles théoriques qui peuvent opposer les deux hommes, se pose une question éminemment empirique : comment préserver la cohérence interne non seulement d’une réflexion sur mais aussi d’une pratique de la démocratie ? La question majeure, écrit-il lui-même, peut se formuler ainsi :

comment une constitution politique pourrait-elle, dans l’esprit démocratique qui est le sien, être stabilisée sous des conditions logiquement indépendantes des termes dans lesquels elle pourrait être fondée pratiquement en raison ? Ce serait nier le lien interne qui existe, en démocratie, entre la force et la validité, entre la stabilité d’un ordre politique et la procédure raisonnable dans laquelle se laisse reconnaître sa prétention à la justesse48.

Pour assurer cette stabilité à un niveau pratique également, Ferry estime préférable l’option habermassienne davantage attachée à l’intersubjectivité. H n’hésite pas, au-delà des critiques faites à la pensée du philosophe de Francfort, à assumer l’essentiel de ses intuitions. Il met l’accent sur la dynamique spontanément et profondément morale qui guide les participants à la discussion. H montre qu’Habermas, en postulant une normativité immanente à l’espace discursif, stimule les velléités éthiques des individus en consacrant la pertinence de l’horizon de leurs idéaux politiques.

47 FERRY, J.-M., Philosophie de la communication. 2. Justice politique et démocratie procédurale, Paris, Cerf, p.35.

Il ne se contente toutefois pas d’une adhésion pure et simple, mais explicite en quoi la structure même de l’agir communicationnel déploie virtuellement son incarnation éthique.

Le passage de la pragmatique à l’éthique apparaît comme le résultat d’un approfondissement, et non pas, cette fois, comme le résultat d’un

dépassement. C’est !’approfondissement, soit de ce qui est idéellement

présupposé au concept d’activité communicationnelle, soit de ce qui est réellement anticipé par les sujets de cette activité intersubjective49.

On voit par là que la communauté communicationnelle contient en puissance les composantes du comportement éthique. Celui-ci serait donc essentiellement fonction de la « qualité » de la communauté et de l’activité de constitution herméneutique collective qui s’y trouve exercée. La procédure articulée autour de la notion d’argumentation revêt par conséquent un caractère légitimant et universalisant, par la seule grâce de la puissance médiatrice, et fondatrice, de la communication.

Aux yeux de l’auteur de la Philosophie de la communication, la conception d’Habermas échappe par là à toute accusation d’idéalisme. Car Habermas s’appuie sur le socle des présupposés normatifs implicites de la discussion réelle, contrefactuellement inscrits dans l’esprit principiel de celle-ci. Dans Droit et

démocratie, le penseur veut alors résumer ainsi l’enjeu du concept de procédure :

la clé de cette conception réside dans le fait que la procédure démocratique institutionnalise les discussions et les négociations au moyen de formes de communication qui sont censées fonder, pour tous les résultats obtenus conformément à cette procédure, la supposition de leur caractère raisonnable50.

Mais reconnaître la force philosophique de la position habermassienne n’empêche pas Ferry d’en souligner les limites. Il exprime la difficulté qu’elle soulève en ces termes :

49 FERRY, J.-M., Habermas, l’éthique de la communication, Paris, PUF, 1987, p.559. 50 HABERMAS, J., Droit et démocratie. Entre faits et normes, Paris, Gallimard, 1992, p.329.

Habermas pense la discussion pratique comme ce dont la rationalité

présuppose « dès toujours » les principes d’égalité et de liberté, qu’un

État de droit doit cependant adopter positivement dans sa constitution. D’où la difficulté d’une conception strictement communicationnelle de la politique. En effet, la discussion pratique n’est, selon son concept, constitutive que pour la validité des normes, mais elle n’en institue aucune ex-nibilo. (...) Avec le soupçon d’une impuissance politique de procédures reposant sur les seules ressources, pour ainsi dire, de l’entente langagière, s’esquisse alors une interrogation sur le rapport entre rationalité juridique et rationalité communicationnelle, où se renouvelle la question du droid11.

Il est à noter cependant que cette question du droit renvoie aux plus récents travaux d’Habermas. Sur la base de sa théorie de l’agir communicationnel, il tente en effet d’y résorber l’écart qui sépare les théories sociologiques du droit et les théories philosophiques de la justice. À ce titre, Droit et démocratie51 52 constitue certainement la somme réflexive la plus importante au regard de sa démarche.

Sans nier l’importance de la question juridique, Ferry, quant à lui, s’interroge sur les implications identitaires de cette éthique de la discussion.