• Aucun résultat trouvé

La légitime défense

Dans le document Principes de droit pénal (Page 68-73)

CHAPITRE PREMIER : LA DIVISION DES INFRACTIONS

S ECTION 3 : L’ ÉLÉMENT MORAL

4.2 La légitime défense

4.2.1 Principe et champ d’application

La légitime défense est consacrée par l’article 416 du Code pénal. Aux termes de cet article, « Il n'y a ni crime ni délit, lorsque l'homicide, les blessures et les coups étaient commandés par la nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même ou d'autrui » 273.

Toutefois, la légitime défense trouve sa source dans un principe général274, celui du droit de tout homme exposé à un mal de repousser la force par la force pour protéger sa personne ou celle d’autrui ; ce droit ne peut pas excéder certaines bornes : la réaction violente doit être modérée275. Il est en conséquence admis que cette cause de justification, bien que située dans le second livre du Code pénal, s’étend à toute infraction276.

La question de savoir si la légitime défense peut justifier des infractions non intentionnelles est controversée. Si la Cour de cassation belge semble pencher dans le sens de l’exclusion des infractions involontaires et ce, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation

271 Voy. J. CONSTANT, Précis de droit pénal, 6ème éd., 1975, p. 225 contra F. ROGGEN, F. KUTY, A.

WEYEMBERGH, Droit pénal général, Titre II- L’infraction, P.U.B, 2e éd., 2006-2007, p.168.

272 Il convient de préciser qu’il n’existe actuellement aucune appellation exempte de critique et qui est consacrée

de façon unanime en doctrine.

273 Les homicides, blessures et coups volontaires sont les « formes les plus courantes de résistance à l’agression »

(F. TULKENS, M. VAN DE KERCHOVE, Y. CARTUYVELS et C. GUILLAIN, Introduction au droit pénal. Aspects juridiques et criminologiques, Kluwer, 2010, p. 354).

274 Concl. Av. gén. D. VANDERMEERSCH sous Cass., 19 avril 2006, P.06.00.18.F.

275 J.J. HAUS, Principes généraux du droit pénal belge, t. I, 3e éd., Gand, Librairie générale de Ad. Hoste, 1879,

rééd. Bruxelles, Swinnen, 1977, p. 469, n° 616.

276 T. ONGENA , « Wettige verdediging of noodweer », Strafrecht en strafvordering-commentaar met overzicht

van rechtsprzzk en rechtsleen, Kluwer, 2000, p. 183 ; A. VERHEYLESONNE, in Droit pénal et procédure pénal, Kluwer, f.mob., Suppl de janvier 2011.

française277, la question reste toutefois ouverte. Nous ne pouvons qu’être sensible à une décision dissidente qui avance que « […] l'on peut en effet se trouver en présence d'un acte de défense tout à fait volontaire mais dont les conséquences n'ont pas été voulues par l'auteur et qui, partant, sont involontaires dans leur prolongement »278.

La légitime défense peut être définie comme la situation où « n’ayant pas la possibilité

d’écarter une agression grave et actuelle contre sa personne ou celle d’un tiers autrement qu’en commettant l’infraction, l’agent se défend d’une manière proportionnée à cette attaque injuste »279.

4.2.2 Conditions

Il existe plusieurs conditions, nécessaires et suffisantes, pour bénéficier de la cause de justification objective de légitime défense280 ;

Selon la Cour de cassation, « ... le juge du fond vérifie notamment si l’homicide, les blessures

ou les coups ont constitué une défense, si celle-ci était nécessaire et si elle était proportionnée à l’attaque. Il se fonde ainsi sur les circonstances de fait et en tenant compte des réactions que la personne agressée pouvait et devait raisonnablement avoir »281.

L’appréciation des conditions de la légitime défense s’effectue in concreto282 et en fait283, et relève dès lors du pouvoir souverain du juge du fond284.

1° Conditions d’existence

Les conditions d’existence (ou d’ouverture285) impliquent que relève de la légitime défense, l’acte qui :

277 Cass. Fr., 28 novembre 1991, R.S.C., 1992, p. 751 ; Cass., 3 mars 1999, Rev. dr. pén, 1999, p. 1208 ; contra

corr. Charleroi, 23 novembre 1998, Rev. dr. pén., 2002, p. 605 et note J.-F. DISTER. (jugement réformé en appel par la cour d’appel de Mons du 16 juin 1999).

278 Corr Charleroi, 23 novembre 1998, J.L.M.B., 2001, p. 233 et note J.-F. DISTER, « L’admissibilité de la

légitime défense en matière d’infractions non intentionnelles ».

279 Cass., 19 avril 2006, P.06.00.18.F.

280 Concl. Av. gén. D. VANDERMEERSCH sous Cass., 19 avril 2006, P.06.00.18.F; F. TULKENS, M. VAN

DE KERCHOVE, Y. CARTUYVELS et C. GUILLAIN, Introduction au droit pénal. Aspects juridiques et criminologiques, Kluwer, 2010, p. 355.

281 Cass., 19 avril 2006, P.06.00.18.F.

282 Cass., 7 décembre 1977, Pas., 1978, p. 398.

283 Cass., 19 avril 2006, P.06.00.18.F ; Cass., 23 décembre 1986, Pas., 1987, p. 513.

284 Cass., 5 mai 2004, P.04.0109.F ; Cass., 12 juin 2002, P.02.0358.F. Voy. également Cass. 28 février 1989,

' Constitue une défense contre une agression286,

L’agression doit présenter plusieurs caractéristiques :

Elle doit être actuelle ou imminente287 ; la défense ne peut être exercée à titre préventif contre un mal éventuel288, ni être une réaction à l'agression "à titre curatif" ou "à titre vindicatif"289.

L’agression doit être injuste et illégale290 .

Il doit en outre s’agir d’une agression grave291, c’est-à-dire de nature à faire craindre à la personne un péril grave pour son intégrité physique ou psychique292.

L’agression doit être dirigée contre les personnes293. L’article 416 du Code pénal prévoit en effet « la légitime défense de soi-même ou d’autrui ». Il s’ensuit que n’est pas reconnue légitime la défense en réaction à une agression contre les biens294. Il n’existe pas en droit belge de légitime défense de la propriété.

' Est commis en l'absence de toute alternative (condition de subsidiarité)

La personne ne doit avoir aucun d’autre moyen raisonnable de protection que la commission de l’infraction295. Ainsi, il ne faut notamment pas qu’elle ait eu la possibilité de « faire appel

utilement aux autorités pour écarter le mal… »296, ni celle de s’enfuir297.

285 C. HENNAU et J. VERHAEGEN, Droit pénal général, Bruxelles, Bruylant, 3ème éd., 2003, p. 205 ; D.

VANDERMEERSCH, Eléments de droit pénal et de procédure pénale, Bruxelles, La Charte, 4ème éd., 2012, p.

95.

286 F. TULKENS, M. VAN DE KERCHOVE, Y. CARTUYVELS et C. GUILLAIN, Introduction au droit

pénal. Aspects juridiques et criminologiques, Kluwer, 2010, pp. 356-357.

287 D. VANDERMEERSCH, Eléments de droit pénal et de procédure pénale, Bruxelles, La Charte, 4ème éd.,

2012., p. 97 ; Cass., 26 janvier 1959, Pas., I, p. 526 ; Cass., 22 janvier 1991, Pas., p. 469.

288 Cass., 22 janvier 1991, Pas., 1991, I, p. 469, Arr. cass., 1990-1991, p. 533 289 Concl. Av. gén. D. VANDERMEERSCH sous Cass., 19 avril 2006, P.06.00.18.F,

290 D. VANDERMEERSCH, Eléments de droit pénal et de procédure pénale, Bruxelles, La Charte, 4ème éd.,

2012, p. 95.

291 Cass., 12 juin 2002, P.02.03.58.F.

292 Pour une illustration, voy. J.P. Tournai, 28 mars 2006, J.T., 2006, p. 532. La condition de gravité et

d’imminence de l’agression n’est pas mise à mal par le fait que le prévenu ait préparé sa riposte avant les faits (Liège, 4 juin 1992, Rev. dr. pén., 1992, p. 1013).

293 Voir J. VERHAEGEN, « Sollicitations et altérations de la notion de légitime défense », Rev. dr. pén., 1975-

1976, p. 1045.

294 J. CONSTANT,op cit., p. 343. Sur cette question, voy. not. F. PIEDBOEUF, obs. sous corr. Liège, 21 mars 1980,

J.L., 1981, p. 43 et s. ; P.DE HERT et P.VAN DER MEIJ, « En route pour le Far West ? La légitime défense sous la loupe », Vigiles, 2004/2, p. 33-39.

295 F. TULKENS, M. VAN DE KERCHOVE, Y. CARTUYVELS et C. GUILLAIN, Introduction au droit

2° Condition d’exercice

La condition d’exercice exige que la défense soit proportionnée à l’agression298. La défense ne sera légitime que dans la mesure où elle était nécessaire ; la proportionnalité doit toutefois s’apprécier en rapport avec la gravité de la menace299.

4.2.3 Présomptions de l’article 417 du Code pénal

L’article 417 du Code pénal dispose que : «Sont compris, dans les cas de nécessité actuelle de la défense, les deux cas suivants :

Si l'homicide a été commis, si les blessures ont été faites, si les coups ont été portés en repoussant, pendant la nuit, l'escalade ou l'effraction des clôtures, murs ou entrées d'une maison ou d'un appartement habité ou de leurs dépendances, à moins qu'il soit établi que l'agent n'a pas pu croire à un attentat contre les personnes, soit comme but direct de celui qui tente l'escalade ou l'effraction, soit comme conséquence de la résistance que rencontreraient les desseins de celui-ci.

Si le fait a eu lieu en se défendant contre les auteurs de vol ou de pillage, exécutés avec violence envers les personnes. »

Ainsi, sont consacrées deux présomptions de légitime défense. Si ces deux hypothèses n’exigent pas que soient réunies les conditions générales de l’article 416, il est toutefois nécessaire que celui qui invoque la présomption ait raisonnablement pu craindre une atteinte contre sa personne ou à celle d’autrui.

296 D. VANDERMEERSCH, Eléments de droit pénal et de procédure pénale, Bruxelles, La Charte, 4ème éd.,

2012. p. 97.

297 Voy. Cass., 19 avril 2006, P.06.00.18.F.

298 Voy. en ce sens Cass., 5 mai 2004, P.04.0109.F, (inédit) ; Cass., 12 juin 2002, P.02.0358.F ; Cass.,

29 septembre 1998, Pas., 1998, I, p. 418 ; Cass., 23 décembre 1986, Pas., 1987, I, p. 513 ; Cass., 24 juin 1942, Pas., I, p. 158. ; voir encore Cass., 23 janvier 2013, Pas., 2013, n° 51 qui retient que la proportionnalité requise pour qu’il y ait légitime défense doit exister entre la gravité de l’attaque et celle de la violence employée pour la repousser, et non entre la violence de celui qui se défend et les lésions qui en ont résulté pour son adversaire..

299 C. HENNAU et J. VERHAEGEN, Droit pénal général, Bruxelles, Bruylant, 3ème éd., 2003, p. 208 ; Concl.

La première hypothèse (art. 417, al. 2), en cas de violation nocturne du domicile par escalade ou effraction, constitue une présomption réfragable que le Ministère Public peut renverser s’il prouve « que l'agent n'a pas pu croire à un attentat contre les personnes ».

La seconde (art. 417, al 3), en cas de vol ou de pillage exécuté avec violence est par contre en principe300 irréfragable301 et a été étendue aux cas d’extorsion302.

4.2.4 La résistance légitime aux abus de l’autorité publique

De façon exceptionnelle, il arrive que des actes posés par des agents de l’autorité publique dans le cadre de leurs fonctions constituent une « agression injustifiée » qui ouvre alors un droit de défense 303.

Ce droit de défense existe et est justifié :

' lorsqu’il fait face à des actions manifestement illégales et difficilement réparables de l’autorité publique 304;

' pourvu qu’il n’est fait usage que de violences mesurées305, qui doivent rester dans les limites d’une résistance strictement nécessaire pour empêcher l’action illégale de l’autorité306.

Selon la Cour de cassation, « exceptionnellement, la résistance individuelle à un acte illégal du pouvoir est juridiquement reconnue », à condition « que l’illégalité de l’acte soit flagrante et qu’elle nécessite une réaction sans retard »307.

300 Il existe une évolution doctrinale vers une présomption réfragable voy. F. TULKENS, M. VAN DE

KERCHOVE, Y. CARTUYVELS et C. GUILLAIN, Introduction au droit pénal. Aspects juridiques et criminologiques, Kluwer, 2010, p. 359 et ses références.

301 F. TULKENS, M. VAN DE KERCHOVE, Y. CARTUYVELS et C. GUILLAIN, Introduction au droit

pénal. Aspects juridiques et criminologiques, Kluwer, 2010, p. 359. .

302 Cass., 3 mars 1941, Pas., p. 61.

303 C. HENNAU et J. VERHAEGEN, Droit pénal général, Bruxelles, Bruylant, 3ème éd., 2003, p. 206 ; Liège, 22

novembre 2012, J.L.M.B., 2013, 1474.

304 C. HENNAU et J. VERHAEGEN, Droit pénal général, Bruxelles, Bruylant, 3ème éd., 2003, p. 206. 305 C. HENNAU et J. VERHAEGEN, Droit pénal général, Bruxelles, Bruylant, 3ème éd., 2003, p. 206.

306 F. TULKENS, M. VAN DE KERCHOVE, Y. CARTUYVELS et C. GUILLAIN, Introduction au droit

pénal. Aspects juridiques et criminologiques, Kluwer, 2010, p. 369 ; D. VANDERMEERSCH, Eléments de droit pénal et de procédure pénale, Bruxelles, La Charte, 4ème éd., 2012. p. 102.

307 Cass., 24 mai 1976, Rev. dr. pén., 1980, p. 255 ; A. DE NAUW y voit plutôt une application de l’hypothèse

de la résistance légitime à un acte illégal de l’autorité que de celle de la légitime défense. Cette cause de justification serait alors personnelle à l’auteur ( A. DE NAUW, Rev. dr. pén., 2014, p. 378).

Dans le document Principes de droit pénal (Page 68-73)