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L’objectif de cette expérience était d’étudier le développement précoce des capacités de transfert intermodal émotionnel (joie vs. dégoût) de 1 à 6 mois grâce à un protocole longitudinal. Le but étant d’étudier les capacités de transfert au niveau inter et intra personnel.

Dans l’expérience 9, par rapport à l’expérience 8, les stimuli de colère ont été remplacés par des stimuli de dégoût. À notre connaissance, la discrimination de l’émotion de dégoût n’a été étudiée que dans l’étude d’appariement intermodal émotionnel de Godard et al. (2016) de 3 à 7 mois. Cette étude a montré un biais attentionnel pour le visage de dégoût comparé au visage de joie. Bien que peu étudiée. nous émettons l’hypothèse que ce serait une émotion discriminée précocement, car exprimée dès la naissance (Soussignan et al., 1997).

Méthode expérience 9 8.2.1.1. Participants

Vingt bébés (9 filles) nés à terme (au moins 37 semaines de gestation) ont été vus à quatre reprises : à 1, 2, 4 et 6 mois. Ces bébés ont été inclus à l’échantillon final pour avoir participé aux quatre passations. À 1 mois : âge moyen = 31.10 jours ± 3.58, à 2 mois : âge moyen = 63.05 jours ± 7.06, à 4 mois : âge moyen = 123.70 jours ± 7.31, à 6 mois : âge moyen

= 185.50 jours ± 6.38. Quinze bébés supplémentaires ont été exclus en raison de passation impossible (pleurs, problème technique, rendez-vous annulé, bébés dépassant l’âge limite (âge + 2 semaines)) pour au moins une passation. Les caractéristiques descriptives de l’échantillon final étaient les suivantes : à la naissance de leur enfant, l’âge moyen des mères était de 33.78 ans (± 3.9) et de 35.68 ans (± 5.2) pour les pères. Les parents qui ont participé à l’étude étaient principalement mariés (65%) ou vivaient en concubinage (35%). Le statut socioéconomique (SSE) de la famille a été calculé à l’aide de l’échelle Largo basée sur l’occupation paternelle et l’éducation maternelle, allant de 2 (le SSE le plus élevé) à 12 (le SSE le plus faible) (Largo et al., 1989). Le statut socioéconomique (SSE) moyen des familles de l’échantillon était de 3.50

± 2.16, intervalle = 2-9. L’étude a été approuvée par le comité d’éthique de la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de Genève et tous les parents ont donné leur consentement éclairé, par écrit, à la participation de leur enfant à cette expérience.

8.2.1.2. Stimuli

Les stimuli visuels étaient des visages émotionnels virtuels féminins de joie et de dégoût créés avec FACSGen (Roesch et al., 2011) (Figure 28) et les stimuli auditifs étaient des voix neutres et émotionnelles de joie et de dégoût féminines prononçant des pseudo-mots provenant de la base de données « GEMEP » (Bänziger et al., 2012). Pour le détail de ces stimuli voir le chapitre II Contributions expérimentales, point 4.2 stimuli.

8.2.1.3. Procédure expérimentale

La procédure expérimentale était exactement la même que celle de l’expérience 8, sauf que dans l’expérience 9, les stimuli de dégoût ont remplacé les stimuli de colère.

8.2.1.4. Analyse des données

Toutes les vidéos ont été double codées avec le logiciel BORIS (Friard & Gamba, 2016) par deux observateurs naïfs avec une moyenne d’accord de 0.94 (Pearson’s r). L’analyse des données s’est déroulée de la même manière que pour l’expérience 8, sauf que dans l’expérience 9, les stimuli de dégoût ont remplacé les stimuli de colère. La DTRT a été calculée de telle sorte qu’un nombre supérieur à 0% correspondait à un temps de regard plus élevé pour le visage de joie et un nombre inférieur à 0% correspondait à un temps de regard plus élevé pour le visage de dégoût.

Résultats expérience 9 8.2.2.1. « Baseline » : voix neutre

Nous avons analysé le temps de regard sur les visages émotionnels après l’écoute d’une voix neutre en fonction du genre des stimuli. Une ANOVA à mesures répétées a été réalisée sur le temps passé à regarder les visages avec les visages émotionnels (joie, dégoût) et l’âge des bébés (2, 4 ou 6 mois) comme facteurs intra-sujets.

L’effet principal des visages émotionnels était non significatif, F(1, 19) = 3.51, p = .076, ηp2 =.156. L’effet principal de l’âge était non significatif, F(3, 57) = 1.20, p = .319, ηp2 =.059.

Cependant, l’interaction entre les visages émotionnels et l’âge était significative, F(3, 57) = 5.30, p = .003, ηp2 = .218. L’analyse post-hoc réalisée avec Bonferroni a indiqué que les bébés

de 1 mois (5.31 ± 0.42 s) regardaient plus longtemps les visages de joie que les visages de dégoût (2.63 ± 0.38 s) (p=.005).

8.2.2.2. Condition expérimentale : voix émotionnelles

Nous avons analysé le temps de regard sur les visages émotionnels après l’écoute des voix émotionnelles. Une ANOVA à mesures répétées a été réalisée sur le temps passé à regarder les visages avec les visages émotionnels (joie, dégoût) et les voix émotionnelles (joie, dégoût) et l’âge des bébés (1, 2, 4 ou 6 mois) comme facteurs intra-sujets.

L’effet principal des visages émotionnels était non significatif, F(1, 19) = 0.22, p = .644, ηp2 =.011. Le visage de joie (3.59 ± 0.17 s) semble avoir été regardé autant que le visage de colère (3.72 ± 0.18 s). L’effet principal des voix émotionnelles était non significatif, F(1, 19) = 1.43, p = .25, ηp2 =.070. L’effet principal de l’âge était non significatif, F(3, 57) = 1.88, p = .143, ηp2 =.090. L’interaction entre les voix émotionnelles et les visages émotionnels n’était pas significative, F(1, 19 )= 0.04, p = .840, ηp2 = .002. De plus, la triple interaction entre l’âge, les visages émotionnels et les voix émotionnelles n’était pas significative, F(3, 57) = 0.30, p = .825, ηp2 = .015. Toutes les autres interactions n’étaient pas significatives, toutes les ps > .28.

8.2.2.3. Distribution du temps de regard total (DTRT)

Une ANOVA à mesures répétées a été réalisée sur la distribution du temps de regard total (DTRT) avec les voix (joie, dégoût, neutre) et l’âge des bébés (1, 2, 4 ou 6 mois) comme facteurs intra-sujets. Un résultat positif représente le pourcentage du temps de regard en faveur du visage de joie et un résultat négatif représente le pourcentage du temps de regard en faveur du visage de dégoût.

L’effet principal des voix était non significatif, F(2, 38) = 2.29, p = .115, ηp2 =.108.

L’effet principal de l’âge était non significatif, F(3, 57) = 0.44, p = .728, ηp2 =.022. L’interaction entre les voix émotionnelles et l’âge était tendentiellement significative, F(6, 114) = 2.05 p = .064, ηp2 =.118. L’analyse post-hoc réalisée avec Bonferroni a suggéré qu’à 1 mois, les bébés ont une tendance à regarder plus le visage de joie après une voix neutre (36% ± 9%) que le visage de joie après une voix de dégoût (-15% ± 11%), (p = .066).

Nous avons également effectué un test T à un échantillon sur la DTRT aux visages émotionnels en fonction de chaque voix (neutre, joie, dégoût) et de l’âge des bébés (1, 2, 4 ou 6 mois) comparé au niveau de chance de 0%. Nous ne retrouvons qu’une seule différence significativement supérieure au niveau de chance à 1 mois après l’écoute de la voix neutre avec une DTRT pour le visage de joie comparé au visage de dégoût supérieur au niveau de chance (36% ± 9%), t(19) = 4.18, p = .0005, toutes les autres ps > .11 (Figure 54).

Figure 54. DTRT sur les visages de joie et dégoût en fonction de l’âge (1, 2, 4, 6 mois) et des voix (neutre, joie, dégoût). Les barres verticales représentent l’erreur standard. *** p <.01

8.2.2.4. Nombre de regards

Nous avons également analysé le nombre de regards sur le visage de joie ou de dégoût en fonction de la voix et de l’âge. Une ANOVA à mesures répétées a été réalisée sur le nombre de regards les visages avec les visages émotionnels (joie, dégoût), les voix (joie, dégoût ou neutre) et l’âge des bébés (1, 2, 4 ou 6 mois) comme facteurs intra-sujets.

Cette analyse a mis en avant un effet principal de l’âge, F(3, 57) = 45.93, p =.0000, ηp2

= .957. L’analyse post-hoc réalisée avec Bonferroni a révélé que le nombre de regards dirigés sur chaque visage émotionnel était plus élevé pour les bébés de 6 mois (1.80 ± 0.14) que pour

-40%

-30%

-20%

-10%

0%

10%

20%

30%

40%

1 mois 2 mois 4 mois 6 mois

DTRT sur les visages de dégoût (<0%) et de joie (>0%)

voix neutre voix joie voix dégoût

Dégoû t Joie

***

les bébés de 1 mois (0.62 ± 0.05) (p <.001), de 2 mois (0.56 ± 0.05) (p <.001) et ceux de 4 mois (1.36 ± 0.10) (p <.001). De plus, le nombre de regards des bébés de 4 mois était plus élevé que ceux des bébés de 1 mois (p <.001) et de 2 mois (p <.001). Nous n’avons trouvé aucune différence du nombre de regards sur les visages émotionnels, F(1, 19) = 0.12, p = .738, ηp2

=.006 ou de l’interaction entre les visages et les voix, F(2, 38) = 0.22, p = .805, ηp2 = .011.

Discussion expérience 9

L’objectif de cette expérience était d’étudier le développement des capacités de transfert intermodal émotionnel de 1 à 6 mois grâce à une étude longitudinale. Les bébés étaient vus à quatre âges différents, à 1, 2, 4 et 6 mois. Le but de cette expérience était de déterminer si un transfert intermodal émotionnel pour les émotions de joie et de dégoût serait possible car l’émotion de dégoût a été très peu étudiée chez les bébés de moins de 6 mois.

Premièrement, les résultats de la « baseline » (voix neutre) ont démontré une différence de préférence pour le visage de joie ou de dégoût en fonction de l’âge des bébés. Si un transfert intermodal émotionnel a été réalisé, on s’attend à ce que la voix neutre ne provoque pas de préférence pour l’un ou l’autre des visages, car les deux sont nouveaux vis-à-vis de la voix. Les résultats ont révélé que les bébés, à 1 mois, ont regardé plus longtemps le visage de joie que de dégoût. Alors que chez les bébés les plus âgés aucune différence de temps de regard n’a été retrouvée.

Deuxièmement, après les voix émotionnelles, aucune différence de temps de regard entre les deux visages émotionnels ne s’est révélée significative et ce peu importe l’âge des bébés. Ceci ne permet pas d’affirmer que les bébés de 1-6 mois sont capables de transférer une information émotionnelle contenue dans la voix à des visages émotionnels.

Troisièmement, au niveau développemental, l’absence de préférence pour le visage de joie ou de dégoût semble être stable à travers les quatre âges étudiés pour les voix émotionnelles, mais serait modulée par la voix neutre à 1 mois, avec une préférence pour le visage de joie. Par ailleurs, nous avons trouvé un effet de l’âge sur le nombre de regards. Il semblerait que les bébés de 1 et 2 mois ont produit un nombre de fixations plus faible que les bébés de 4 et 6 mois. Ce résulat suggérerait que les bébés les plus jeunes font moins de comparaisons entre les deux visages, mais produisent des fixations plus longues.

Pour conclure, les bébés de 1 à 6 mois n’ont démontré aucune préférence pour le visage de joie et de dégoût après les voix émotionnelles. De ce fait, cette expérience ne permet pas de révéler une capacité de transfert intermodal pour la joie ou le dégoût de 1 à 6 mois. Cependant, le visage de joie a largement été préféré au visage de dégoût à 1 mois. Ce résultat pourrait être révélateur d’une discrimination de l’émotion de dégoût par rapport à l’émotion de joie de manière très précoce, jamais encore démontrée.