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visuelles pour les photographies de visages ou les visages virtuels émotionnels « sans voix »

Nous avons créé une expérience complémentaire dans laquelle nous n’avons pas présenté de voix. Dans le but de contrôler que l’absence de préférence pour les visages et les AOIs émotionnelles était aussi présente sans aucune voix. Car il serait possible qu’une voix, même à la prosodie émotionnellement neutre, pourrait moduler l’attention visuelle. Pour ce faire, nous avons présenté les mêmes paires de visages émotionnels que celles des conditions 1 et 2 mais précédées d’un écran noir sans aucun son. Ainsi, un temps de regard plus élevé pour l’un des visages émotionnels suggérerait une préférence visuelle spontanée pour ce dernier.

Méthode expérience 3 5.3.1.1. Participants

Quatorze bébés âgés de 6 mois et nés à terme (au moins 37 semaines de gestation) (8 filles ; âge moyen = 6.15 mois ± 0. 43, intervalle = 6.7-5.6 mois) ont été inclus dans l’échantillon final de l’étude. Trois bébés supplémentaires ont été observés, mais exclus de l’échantillon final en raison d’une défaillance technique de l’eye-tracker (N=1) ou d’une calibration insuffisante (N=2) définie comme plus de 2° d’écart sur les axes x et y. Les caractéristiques descriptives de l’échantillon final sont les suivantes : l’âge moyen des mères était de 33.19 ans (± 4.9) et de 34.75 ans (± 5.7) pour les pères. Les parents ayant participé à l’étude étaient principalement mariés (N=9) ou vivaient en concubinage (N=5). Le statut socioéconomique (SSE) de la famille a été calculé à l’aide de l’échelle Largo basée sur l’occupation paternelle et l’éducation maternelle, allant de 2 (le SSE le plus élevé) à 12 (le SSE le plus faible) (Largo et al., 1989).

Le statut socioéconomique (SSE) moyen des familles de l’échantillon était de 5.14 ± 2.07, intervalle = 2-8. L’étude a été approuvée par le comité d’éthique de la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de Genève et tous les parents ont donné leur consentement éclairé, par écrit, à la participation de leur enfant à cette expérience.

5.3.1.2. Stimuli

Dans cette étude, aucun stimuli auditif n’a été présenté et les stimuli visuels étaient les mêmes que ceux de la condition 1 (visages réels) et condition 2 (visages virtuels).

5.3.1.3. Procédure expérimentale

Pour cette étude, nous avons accueilli les bébés et leurs parents au Babylab du laboratoire du SMAS. Après lecture et signature du document d’information et de consentement et la réponse à un court questionnaire par les parents, les bébés étaient confortablement installés dans un siège bébé à 60 cm de l’écran au-dessous duquel était placé un eye-tracker (SMI RED 250, SensoMotoric Instruments GmbH, Teltow, Germany) afin d’enregistrer les mouvements oculaires.

Afin d’attirer l’attention du bébé sur l’écran un court dessin animé (max 30 secondes) extrait du « Le Monde des Petits » était présenté. Toutes les passations commençaient par une phase de calibration de l’eye-tracker en utilisant 5 points de fixation (cibles colorées et mouvantes).

Le paradigme expérimental correspondait à la présentation de 4 essais. Chaque essai correspondait à la présentation d’un écran noir durant 20 secondes (sans aucun son) suivi de la présentation d’une paire de visages émotionnels durant 10 secondes. Deux essais correspondaient aux stimuli visuels de la condition 1 et deux autres essais correspondaient aux stimuli visuels de la condition 2. L’ordre des essais des conditions 1 et 2 était réparti aléatoirement entre les sujets. L’expérience se déroulait sur une durée totale de 2 minutes (Figure 42).

Figure 42. Paradigme de l’expérience 3.

5.3.1.4. Analyse des données

Toutes les données ont été extraites à l’aide du logiciel d’analyse Begaze (SMI). Le temps total de regard en millisecondes a été calculé grâce au net dwell time (temps passé à regarder les AOIs). Nous avons défini une AOI générale pour l’ensemble du visage et deux spécifiques pour les yeux et la bouche pour chacune des émotions (Figure 34, Figure 35, Figure 39).

Nous avons effectué une analyse de la variance (ANOVA) à mesures répétées sur l’ensemble du visage ainsi que pour les AOIs spécifiques yeux et bouche. Les analyses statistiques ont été effectuées à l’aide de Statistica 13. Le seuil de significativité était de .05. Le test de Bonferroni a été effectué afin de déterminer les différences significatives. Les tailles d’effet ont été calculées avec l’eta-carré partiel (ηp2) pour les ANOVAs.

Résultats expérience 3

5.3.2.1. Temps de regard sur les visages

Nous avons analysé le temps de regard sur les visages émotionnels après la présentation d’un écran noir sans aucune voix. Une ANOVA à mesures répétées a été réalisée sur le temps passé à regarder les visages avec les visages émotionnels (joie, colère) et la condition (1, 2) comme facteur intra-sujets.

L’effet principal du visage était non significatif F(1, 13) = 0.00, p = .995, ηp2 =.000, aucune différence de temps de regard entre le visage de joie (2430 ± 275 ms) et le visage de colère (2428 ± 263 ms) n’a été retrouvé. L’effet principal de la condition était non significatif F(1, 13) = 0.37, p = .552, ηp2 =.028. De plus, l’interaction entre les visages et la condition était non significative F(1, 13) = 1.09, p = .315, ηp2 =.077.

5.3.2.2. Temps de regard sur les AOIs

Nous avons analysé le temps de regard sur les AOIs émotionnelles. Une ANOVA à mesures répétées a été réalisée sur le temps passé à regarder les AOIs avec les AOIs (bouche, yeux), l’émotion sur les visages (joie, colère) et la condition (1, 2) comme facteurs intra-sujets.

L’effet principal des AOIs était non significatif F(1, 13) = 1.32, p = .271, ηp2 =.092, aucune différence de temps de regard entre les yeux (660 ± 135 ms) et la bouche (437 ± 15 ms) n’a été mise en évidence. L’effet principal de l’émotion exprimée par les visages était non significatif F(1, 13) = 0.00, p = .954, ηp2 =.000. De plus, l’effet de la condition était également non significatif F(1, 13) = 0.06, p = .810, ηp2 =.000. L’interaction entre les AOIs et la condition s’est révélée significative F(1, 13) = 5.79, p = .031, ηp2 =.308. Cependant, l’analyse post-hoc réalisée avec Bonferroni n’a indiqué aucune différence significative, simplement une légère tendance à ce que les yeux (856 ± 232 ms) aient été plus regardés que la bouche (272 ± 67 ms) dans la condition 2 (visages virtuels), p = .099. Toutes les autres interactions étaient non-significatives, toutes les ps > .35.

Discussion expérience 3

L’objectif de cette expérience complémentaire était de vérifier que les visages émotionnels n’induisaient pas de regard préférentiel spontané et que l’absence de préférence pour l’un ou l’autre des visages après la voix neutre était bien retrouvée sans aucune voix.

Les résultats de cette étude complémentaire ont confirmé que les visages et les AOIs de colère et de joie semblaient être regardés autant à 6 mois, et ce dans les deux conditions expérimentales. Cette étude complémentaire a mis en avant une seule légère différence concernant le temps de regard entre les yeux et la bouche. Il semblerait qu’avec les visages virtuels, les yeux aient été tendentiellement plus regardés que la bouche, ceci étant en accord avec les résultats de l’expérience 2.

Discussion générale étude 1

L’étude 1 avait pour objectif principal d’examiner si les bébés de 6 mois pouvaient transférer des informations amodales des voix émotionnelles aux visages émotionnels grâce à une analyse eye-tracking. L’objectif secondaire de cette étude était d’étudier les zones d’intérêts (AOIs) explorées par les bébés. Afin d’avoir une meilleure compréhension des capacités de transfert intermodal, nous avons cherché à savoir si un transfert intermodal était présent indépendamment du type de visages et de voix utilisées. De ce fait, deux conditions différentes ont été présentées aux bébés, la condition 1 dans laquelle les voix étaient des vocalisations non-verbales et les visages étaient des photographies (expérience 1 : article publié dans PloSONE) et la condition 2 dans laquelle les voix étaient des pseudo-mots et les visages étaient virtuels (expérience 2). Une troisième expérience a été menée afin de contrôler les préférences visuelles spontanées pour les visages et les AOIs émotionnelles (conditions 1 et 2) sans qu’aucune voix n’ait été entendue préalablement.

Premièrement, les bébés de 6 mois n’ont pas montré de préférence spontanée pour l’un des visages émotionnels de joie ou de colère. Effectivement, dans l’expérience 3, après la présentation d’un écran noir sans voix, les deux visages émotionnels n’étaient pas significativement regardés différemment, et ce dans les deux conditions. Cette absence de résultat significatif pourrait confirmer l’hypothèse que la préférence pour le visage de joie diminue avec l’âge. En effet, la plupart des études ont démontré une préférence spontanée pour le visage de joie durant les premiers mois de vie (A. J. Caron et al., 1988; Farroni et al., 2007;

Kuchuk et al., 1986; LaBarbera et al., 1976; Montague & Walker-Andrews, 2002; Rigato et al., 2011; Rochat et al., 2002) (pour une revue, cf. Bayet et al., 2014). Cependant, de récentes études montrent que cette préférence semble diminuer avec l’âge et est remplacée par une préférence pour une émotion négative. En effet, des chercheurs ont démontré un biais attentionnel pour la peur dès 3-5 mois (Bayet et al., 2017; Heck et al., 2016; Peltola, Leppänen, Mäki, et al., 2009;

Safar et al., 2017). Un biais pour les visages de dégoût comparé aux visages de joie a également été montré à 3, 5 et 7 mois (Godard et al., 2016).

De plus, après l’écoute de la voix neutre (expérience 1 et 2), les deux visages émotionnels n’étaient pas regardés différemment d’une façon significative, et ce dans les deux conditions. Selon notre hypothèse de transfert intermodal, les deux visages émotionnels étaient nouveaux vis-à-vis de la voix entendue, de ce fait l’absence de préférence pour l’un des visages

émotionnels était attendue. Cette absence de différence significative suggérerait que l’écoute d’une voix neutre n’influence pas les temps de regard pour l’un ou l’autre des visages émotionnels.

Deuxièmement, les résultats ont révélé une capacité de transfert intermodal émotionnel à 6 mois, mais seulement à certaines conditions. D’une part, pour la condition 1, les résultats n’indiquaient aucune différence significative de temps de regard sur le visage de joie ou de colère après avoir écouté la voix de colère. Alors qu’après avoir écouté la voix de joie, les bébés regardaient plus longtemps le visage de colère incongruent que le visage de joie congruent.

D’autre part, pour la condition 2, après l’écoute des deux voix émotionnelles (joie et colère), nous n’avons retrouvé aucune préférence pour l’un ou l’autre des visages, contrairement à la condition 1. Cette absence de préférence peut être due à la difficulté des stimuli employés dans la seconde condition. En effet, les visages étaient des visages virtuels 3D permettant d’éliminer les éventuels biais liés aux autres propriétés physiques du visage. Cependant, les bébés sont exposés dans leur environnement à des visages réels et non à des visages virtuels. Ainsi, ces visages non-familliers pourraient perturber leurs capacités d’exploration. Mais encore, faire le lien entre ces visages virtuels et les voix entendues pourrait être trop compliqué. D’autre part, les voix étaient des pseudo-mots émotionnels exprimés par trois identités différentes. Il se peut que l’émotion vocale exprimée par ces différentes identités n’ait pas été catégorisée comme une émotion et, de ce fait, le transfert de la voix aux visages était trop difficile. Du fait de cette absence de préférence en fonction des voix émotionnelles, nous n’avons pas pu confirmer la présence d’un transfert intermodal émotionnel dans la deuxième condition.

Troisièmement, concernant les AOIs, dans la condition 1, nous n’avons pas trouvé de différence de temps de regard entre les yeux et la bouche, en accord avec l’étude de Amso et al., (2010). Alors que dans la condition 2, les yeux semblaient toujours plus regardés que la bouche, peu importe la voix (neutre, joie ou colère). Ce résultat est en accord avec la majorité des études réalisées en eye-tracking (Hunnius et al., 2011; Peltola, Leppänen, Vogel-Farley, et al., 2009; Soussignan et al., 2018). De plus, après la voix neutre, pour la condition 1, les AOIs de la bouche et des yeux n’ont montré aucune différence de temps de regard. Alors que pour la condition 2, les AOIs de joie étaient plus regardées que les AOIs de colère, en particulier les yeux de joie étaient regardés plus longtemps que les yeux de colère. Par ailleurs, après l’écoute des voix émotionnelles, pour la condition 1, après la voix de joie, un temps de regard plus

condition 2, nous n’avons pas retrouvé de différence significative de temps de regard entre les AOIs en fonction de l’émotion exprimée sur le visage. Malgré tout, il semblerait qu’après la voix de joie, bien que non-significatif, les yeux de joie tendaient à être plus regardés que les yeux de colère et la bouche de colère tendait à être plus regardée que la bouche de joie. Alors qu’après la voix de colère, les yeux et la bouche n’ont révélé aucune différence de temps de regard entre les deux visages émotionnels. Ces résultats vont dans le même sens que ceux obtenus dans la condition 1. Cette tendance retrouvée dans la condition 2, ne peut être due à la saillance de la bouche comme proposé dans la discussion de la condition 1, car dans ces stimuli, les bouches avaient le même degré d’ouverture pour les deux émotions. Dans la condition 2, cette tendance nous laisse imaginer que les éléments internes des visages émotionnels étaient explorés différemment en fonction de la voix entendue, mais n’ont pas permis de conclure à un transfert. Néanmoins, ils renforcent l’hypothèse d’une capacité d’un transfert émotionnel précoce dans la condition 1.

En conclusion, ces résultats ont révélé qu’un transfert intermodal (des modalités auditives aux modalités visuelles) était possible pour les bébés de 6 mois seulement dans la condition 1 (expérience 1), après la présentation d’une voix de joie. Suggérant qu’ils sont capables, à certaines conditions, de percevoir cette émotion de manière amodale.

Etude 2: transfert intermodal émotionnel (joie vs. colère) à 2, 4 et 6 mois : analyses caméra

Résumé 10. Etude 2

Cette étude a examiné, à travers 2 expériences, si les bébés de 2, 4 et 6 mois seraient capables d’extraire une information émotionnelle amodale de la voix au visage. Ainsi, des séquences de transfert intermodal émotionnel ont été montrées individuellement à chacun des bébés. Chaque séquence présentait une voix neutre ou émotionnelle (colère ou joie), suivie de la présentation simultanée de deux visages émotionnels statiques (colère et joie). Deux conditions ont été présentées, la condition 1 dans laquelle les voix étaient des vocalisations non-verbales et les visages étaient des photographies (expérience 4 : manuscrit soumis) et la condition 2 dans laquelle les voix étaient des pseudo-mots et les visages étaient virtuels (expérience 5). Les mouvements oculaires en réponse aux stimuli visuels ont été enregistrés à l’aide d’une caméra.

Pour la condition 1 (expérience 4), le résultat principal était qu’à 6 mois seulement, après avoir écouté une voix de joie, les bébés regardaient davantage le visage de colère incongruent que le visage de joie. Ces résultats confirment ceux de l’expérience 1. Pour la condition 2 (expérience 5), aucune préférence pour le visage de joie ou de colère n’a été mise en évidence. Ces résultats confirment ceux de l’étude 1, condition 2 et suggèrent que les stimuli utilisés seraient trop complexes pour déclencher un transfert intermodal émotionnel. La seule différence mise en évidence était que les yeux de joie étaient plus regardés que les yeux de colère après l’écoute de la voix neutre.

L’ensemble de ces résultats a révélé qu’un transfert intermodal émotionnel (des modalités auditives aux modalités visuelles) était possible pour les bébés de 6 mois seulement dans la condition 1, après la présentation d’une voix de joie. Ces résultats suggèrent que la capacité à percevoir l’émotion de joie de manière amodale émergerait entre 4 et 6 mois, à certaines conditions.

Expérience 4: condition 1: photographies de