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Joëlle Tuerlinck

Dans le document Faire, faire faire, ne pas faire (Page 146-161)

J’ai étudié à l’ERG1, école fondée à Bruxelles en 1972 par un groupe de praticiens et de théoriciens, parmi lesquels Pierre Carlier, Roland Jadinon et Marc Vanhove qui furent tous trois de véritables pédagogues. C’était une petite école expérimentale qui ne correspondait à aucun modèle existant. Dès ses débuts, l’ERG a aboli toute notion d’atelier spécialisé ou organisé autour d’un maître. Tout était basé sur le projet de l’étudiant. C’est la première école en Europe à avoir remis en cause radicalement l’idée d’une pratique prédéterminée par l’intitulé d’un atelier ou établie selon des catégories historiquement définies telles que sculpture, dessin, peinture… J’y suis arrivée par hasard et j’ai vite compris que ce mode de fonctionnement me correspondait. Je m’y sentais libérée, puisqu’il me fallait tout inventer d’une pratique, à commencer par son cadre. J’y enseigne d’ailleurs aujourd’hui. Jean-Marie Bolay

Aviez-vous déjà une pratique polymorphe ?

Joëlle Tuerlinckx

1 L’École de recherche graphique a été fondée en 1972 par Thierry de Duve et Jean Guiraud. Elle fait partie des Instituts Saint-Luc de Bruxelles.

JT L’ERG est fondée sur le principe d’équivalence des techniques et des

médiums dans tout processus de travail. Cette réflexion m’a confirmé qu’une pratique, quelle qu’elle soit, est toujours le lieu d’une tech- nique. Dès lors que l’on commence à manipuler, chaque chose nous enseigne sa petite technique. Cela m’apparaît comme une évidence lorsque je communique à un assistant les détails sur ma manière de faire telle boulette de papier, de tracer tel trait, d’agencer telle dispo- sition de pierres sur une table afin qu’il puisse l’exécuter à ma place. L’exercice de la transmission révèle que tout acte d’auteur requiert un haut niveau de technicité. L’apparence simple de mes interventions peut tromper. Le paradoxe étant que plus elles sont simples, comme peindre une tache sur un mur, plus elles se révèlent finalement complexes sur le plan de leur réalisation.

JMB Si la technique peut se dissimuler dans la simplicité, mettez-vous

en scène cette apparente contradiction entre haut et bas degré de technicité ?

JT Je les oppose volontairement jusqu’à la confrontation. Par exemple,

lors de mon exposition personnelle à Bâle⁴, j’ai fait usiner une sorte de plateau-étagère. Il s’agit de la copie en métal d’un morceau de papier qui se trouvait dans mon atelier et qui avait servi dans la maquette préparatoire que j’avais faite des salles. Le recours à la technologie est parfois un choix conceptuel, pour être au plus près de l’idée première, ici du morceau de papier de la maquette. Un tel agrandissement, exécuté en métal, à la main, sans machine de dé- coupe, rendrait l’œuvre impensable ou d’un romantisme extrême. Un effort physique intense et un long travail ne m’ont jamais paru être des facteurs de plus-value. Je tenais vraiment à cette parfaite transposition de la maquette à la salle d’exposition, à ce passage à « l’échelle de réalité ». Je n’ai pas rejeté la technique, tout au contraire, je l’ai convoquée.

JMB En réalité, après avoir visité cette exposition, je me souviens mieux

des pièces qui ne sont pas techniques ou qui mobilisaient ce que j’appellerais « une technique économique ». Je pense notamment à vos papiers simplement trempés dans de l’eau ou exposés à la pluie.

JT Oui, en effet, il semble que ce soit cette économie qui fasse le

caractère de mon œuvre et, sans doute, son aspect mémorable. Je me souviens de l’une de mes premières interventions, c’était à Boston dans l’exposition collective « Inside the Visible » organisée par Catherine de Zegher. Elle portait un regard sur les femmes artistes

JT Oui, dès le début. J’étais très inquiète à l’idée d’entrer dans une école

d’art où l’on ferait des exercices académiques comme du dessin d’ob- servation. Je ne dessinais pas d’après nature, je faisais plutôt des expériences, sans décider si elles tenaient de l’art ou de la science. Avant d’entrer à l’ERG, j’ai fait une année préparatoire à Saint-Luc2, où l’enseignement était plus classique. Je me souviens que l’on y dessinait des nus. J’étais toujours étonnée de voir le modèle placé au centre de la salle de classe, au milieu de personnes vêtues. Je voyais le blanc des feuilles se recouvrir selon des techniques dont mes camarades semblaient maîtriser les codes. Des corps aux proportions assez remarquables apparaissaient de partout, quand j’en étais tou- jours à me demander où j’avais envie de me placer, comment cadrer ce nu ou que faire du contexte. Rien n’allait de soi et me positionner dans la classe me prenait tout le temps imparti à l’exercice. Un jour, le professeur est arrivé derrière moi ; je l’entends encore aujourd’hui me dire : « Je vois tout de suite qui n’a pas sa place dans une école d’art. » C’est ainsi que ça a commencé.

BLP Vous ne répondiez pas à l’exercice.

JT J’étais pourtant occupée à me demander si le papier devait être tenu

verticalement ou horizontalement. Je bougeais, me rapprochais, mais je ne voyais pas comment traduire ce que je voyais dans l’espace de la feuille de papier. À supposer déjà qu’il faille une feuille de papier !

JMB Était-ce une stratégie pour ne pas faire ?

JT Non, ce n’était pas une stratégie. Aujourd’hui, je me pose toujours

cette même question du rapport au contexte. Comment organiser l’espace perçu, comment le mettre en scène ? Comment convoquer le visiteur pour l’encourager lui aussi à chercher sa place ? Au-delà de cette inoubliable apostrophe du professeur de dessin, je me souviens que, dans le hall d’entrée de Saint-Luc, figuraient bustes et statues de bronze d’hommes d’importance. Je décelais là aussi les signes d’une autorité qu’il me fallait fuir. Et malgré l’excellente réputation de « l’atelier de peinture » tenu par Marthe Wéry, dont j’appréciais et l’œuvre et la personne, j’ai cherché une place autre pour la suite. L’alternative aurait pu être La Cambre3, une des écoles réputées de Bruxelles, mais, entre-temps, j’avais entendu parler de l’ERG.

BLP Dans quelle mesure votre formation à l’ERG a-t-elle également in-

fluencé votre rapport à la technique ? D’une manière générale, quelle serait votre réponse quand se pose la question de la technique ?

2 École supérieure des arts Saint-Luc, Bruxelles.

à travers le XXe siècle⁵. Normalement, je refuse ce type d’exposition, mais c’était un vrai sujet en 1996 et Catherine posait les bonnes questions. C’était très émouvant d’exposer avec Eva Hesse, avec de grandes artistes dont je découvrais physiquement l’œuvre. On n’évoquait pas trop les femmes artistes à cette époque. C’est bien plus tard, et non quand j’ai commencé mes études en école d’art, qu’on a commencé à parler, par exemple, de Louise Bourgeois. Il me fallait alors me positionner par rapport à des figures masculines de l’histoire de l’art. C’est en réaction à l’artiste-sculpteur, à la statuaire, que j’ai développé cette approche de l’espace et de la sculpture ca- ractérisée par une instabilité et des matériaux légers, éphémères – d’où le titre pour mon exposition à Bâle « Nothing for Eternity ». Mes recherches se légitiment dans une visibilité moindre, dans une perméabilité aux événements, dans une aptitude aux changements comme caractère premier de l’œuvre. C’était le cas, en effet, des papiers mouillés de l’eau du Rhin exposés au Mamco⁶ ou de cette grande pièce de papier, en partie découpée, en partie déchirée, posée sur le sol dans la première salle à Bâle. Une table ou un mur, fixant les choses par leur poids ou par leur mode d’exposition, n’auraient pas pu révéler cette vulnérabilité. Si je n’avais pas été une femme avec l’idée d’inscrire mon œuvre dans une histoire pensée et écrite au masculin, j’aurais peut-être fait un tout autre travail.

BLP Vous évoquez l’une de vos premières interventions aux États-Unis,

qu’avez-vous proposé pour cette exposition à Boston ?

JT Ann Veronica Janssens et moi devions exposer dans une salle où

l’architecte Paul Robbrecht devait encore installer un socle pour une œuvre de Katarzyna Kobro. Il ne trouvait pas la bonne forme et son socle devenait franchement monumental. Nous passions notre temps à attendre et nous avons pris beaucoup de retard. Le dernier jour du montage, je suis allée visiter le Musée des Sciences de la ville. Dans la section mathématiques, je suis tombée sur une définition de « zéro » impensable avant le XXe siècle, une idée positive du zéro. Mon travail en porte encore la trace, elle me semblait destinée : « Zero, it is the

number of things you have when you don’t have anything. » [« Zéro est

le nombre de choses que vous avez quand vous n’avez rien. »] Voilà, je tenais mon sujet ! Mais il me fallait encore savoir quoi faire de cette phrase griffonnée en vitesse sur un morceau de papier… « Inside the Visible » étant la thématique qui chapeautait l’exposition, le plus juste était encore de sortir la phrase de ma poche et de la retranscrire sur

Joëlle Tuerlinckx, Vitrine : ‘The River corner St. Alban-Teich’, 15. October 2016 –

26. February 2017’, 2016, inox, média mixtes (‘Objets Trouvés sur place’),

exposition « NOTHING FOR ETERNITY », Kunstmuseum Basel | Gegenwart, Bâle, 2016

Joëlle Tuerlinckx, Planche d’atelier : série REBUS ‘NOTHING FOR ETERNITY’ #12

(‘Original RIVER CORNER – ½ COPY TABLEAU/EAU’), 2016, peinture sur carton,

photocopie, aluminium, 50 × 70 cm (cadre) et 13,8 × 9,2 cm (papier), exposition « NOTHING FOR ETERNITY », Kunstmuseum Basel | Gegenwart, Bâle, 2016

5 Exposition « Inside the Visible », commissariat de Catherine de Zegher, Institute of Contemporary Art, Boston ; Whitechapel Art Gallery, Londres ; National Museum of Women in the Arts, Washington ; The Art Gallery of Western Australia, Perth, 1996.

6 Joëlle Tuerlinckx, exposition « 64 expositions-minute. Sur mesure, échelle variable », Mamco, Genève, 2007.

au crayon. Les mots au crayon semblent tantôt chuchoter à l’oreille, tantôt clamer quelque chose. Écrire au crayon sur le mur, c’est recon- quérir sa propre liberté au sein même de l’institution. Je remarque de plus que cette forme de présence, évidente dans l’espace, n’apparaît pas sur les documents photographiques, ce qui me plaît aussi. Des messages relevant en principe de l’autorité institutionnelle muséale, qu’il s’agisse de « NE PAS TOUCHER », de titres, de dates ou de plans, disparaissent. À chaque fois, je m’étonne du pouvoir d’un mot écrit au crayon. J’aime particulièrement reprendre à mon propre compte toute information à caractère institutionnel ou, disons, réservé d’habitude à l’institution. De plus, la technique n’est ni coûteuse ni polluante !

BLP Je crois que vous avez d’ailleurs écrit sur le mur à la main le nom des

collectionneurs de vos œuvres lors d’une exposition personnelle à la Haus der Kunst de Munich, n’est-ce pas ?

JT Oui, j’ai tenu à les écrire personnellement au crayon en grandes lettres

capitales⁸. J’étais obligée de mentionner le nom des collectionneurs dans cette rétrospective, j’y ai donc répondu en toute logique. Sim- plement, la taille de mes caractères était absolument hors convention. Certains collectionneurs ont été quelque peu choqués de découvrir leur nom plus grand que la pièce qui lui était associée !

BLP Ce geste d’écriture n’était-il pas une forme de critique ?

JT L’écriture telle que je la pratique, telle que je l’ai réinventée, la dési-

gnant comme écriture muséale, est par essence revendicatrice. Et donc critique, oui. Le sens critique me devance et me poursuit ; il va de soi, il colle aux choses, aux gestes, aux objets exposés. Il s’infiltre et s’immisce là où on lui fait place. Le manuel dans l’écriture a ceci de formidable qu’il est extrêmement parlant, on y voit l’intention, l’hu- mour, le ton, rien que dans la manière d’écrire un mot, une lettre. Dans l’un des premiers textes que l’on a écrit sur mon travail, Mark Kremer m’a décrite comme une sweet iconoclast⁹. Je pense encore être une

sweet critic, c’est une nécessité. Face à toute obligation, je m’arrange

pour que ça m’arrange.

JMB Quand avez-vous utilisé l’écriture muséale pour la première fois ? JT La toute première fois, c’était lors d’une exposition à Lisbonne en

19981⁰. J’avais tracé chaque lettre du titre au crayon sur toute la un rétroprojecteur. Étrangement, cette technique du rétroprojecteur,

bien qu’archaïque, permettait finalement, en une unique opération, de faire passer la phrase originale de l’horizontalité à la verticalité et d’obtenir un échange fusionnel entre le manuel et le technologique. Ce que j’ai réalisé là, c’est en fait le projecteur qui l’a induit, c’est sa présence qui en a décidé.

BLP Comment reconnaissez-vous qu’un geste est juste ? Est-ce que cela

ne tient qu’au hasard ?

JT Il y a à cela différentes raisons inextricablement mêlées. Je choisis

un geste dans son rapport au contexte, en fonction du moment de l’année, de la lumière naturelle… C’est le fait d’un sentiment tout d’abord impossible à verbaliser. Et puis, cela s’impose comme une évidence. À Boston, il y avait ce dernier mur laissé vide et Catherine de Zegher me demandant ce qu’on pourrait bien y faire qui puisse donner une idée de fin. La projection de lumière que j’ai proposée dessinait un cadre imaginaire, une porte qui nous invitait à conclure et à sortir. Et puis, de l’autre côté, il y avait cette phrase. Lorsqu’elle m’est apparue dans le musée, je m’y reconnaissais tellement qu’elle semblait déjà comme sortie de ma poche. Elle devançait le temps réel. Le sentiment de justesse vient bien souvent d’un tel mouvement, un mouvement du probable au réel. Dans ce cheminement entre ima- ginaire et réalité, j’ai écrit de ma main la phrase sur le morceau de pa- pier, puis sur la vitre du rétroprojecteur. L’idée que quelque chose soit juste vient bien souvent encore d’une forme d’économie des moyens utilisés. Les raisons de ce geste étaient donc ici le manque de temps, mon état, mon envie ou non d’écrire sur le mur, d’apparaître dans l’exposition, de me confronter aux autres œuvres présentes. Bref, c’est ce qui constitue « les étant donnés » d’une exposition comme j’ai pu les définir plus tard à Chicago⁷. Quelque chose est juste quand, paradoxalement, je n’y suis pour rien, quand tout s’est joué sans moi. Je m’invente mille scénarios me prouvant que tout est déjà là.

BLP Vous y êtes pour quelque chose par le fait de copier la phrase deux

fois à la main. Vous en parlez d’ailleurs comme d’un travail « manuel ». Comment ce manuel se manifeste-t-il dans votre travail ? S’agit-il d’un rapport général à la main ou est-ce plutôt lié à une pratique d’écriture ?

JT Le manuel est pour moi fortement lié à l’écriture. Dans le mot

« manuel », je vois d’emblée la trace d’une écriture manuelle. Lorsqu’il s’agit de m’adresser au visiteur dans une exposition, je m’adresse à lui

7 Joëlle Tuerlinckx, exposition « Chicago Studies : Les étants donnés », The Renaissance Society, Chicago, 2003.

8 Joëlle Tuerlinckx, exposition « WORLD(K) IN PROGRESS? », Haus der Kunst, Munich, 2013. 9 Mark Kremer, « A Sweet Iconoclasm. The Work of Joëlle Tuerlinckx », Witte De With Cahier #3,

Düsseldorf, Richter Verlag, février 1995, pp. 154-161.

10 Exposition collective, « The Fascinating Faces of Flanders », Centre culturel de Belém, Lisbonne, 1998.

Quand est-ce que ce rapport minimal à la technique est apparu dans vos expositions ?

JT Il faut revenir à ma première exposition. C’était une exposition

collective organisée par Chris Dercon au Witte de With en 199311. Chaque artiste s’était vu attribuer une salle et Chris m’avait quelque peu provoquée ; je me souviens bien de ses paroles : « Ça doit être fort ! Tu représentes la Belgique ! » J’avais un peu peur, je ne savais pas comment m’y prendre. J’avais également peur de ce contexte d’ex- position collective. Il y avait des jeunes stars dans toutes les salles, dont les frères Chapman qui se fichaient de moi. Nous étions de la même génération, mais je n’étais pas du tout connue, ni reconnue. De là date le pauvrement comme une réponse inattendue, un contrepoint à Charles Saatchi et à son influence londonienne dans ces années-là.

BLP Qu’avez-vous produit pour cette exposition ?

JT Je voulais faire quelque chose de très minimal, une exposition de

fortune, très… économique. Je suis arrivée avec une simple feuille de papier DIN A4. J’ai tiré le maximum de cette feuille, la découpant à la main par pliage, la déchiquetant jusqu’au plus petit confetti possible. J’ai délimité des périmètres, agencé des formes, localisé des terri- toires qui marquaient les emplacements de sculptures ou d’objets à venir ou censés avoir été là. Des objets plus ou moins solides, denses, improbables, fragiles, imposants. Je suis partie dormir à l’hôtel après avoir travaillé toute la nuit. Le matin, Dercon m’a appelée, il trouvait ça « formidable ». Ouf ! Dire que j’étais venue en train avec cette unique feuille de papier [rires].

JMB Vous avez donc ensuite gardé ce goût pour ce type d’intervention. JT C’est plus fort que moi, je crois que c’est là l’aspect politique de ma

pratique. Je viens d’un pays où la culture n’est pas considérée. Il n’y a pas d’argent pour les artistes francophones. La situation est radica- lement différente dans la partie néerlandophone du pays. Rendre leur travail public pour les artistes francophones, c’est toujours une mi- sère. Et il m’importe de rendre visibles les conditions d’un travail, avec ou sans argent. C’est ce qui me préoccupe toujours aujourd’hui. En rendant « tout visible », ce que l’on peut définir comme une stratégie ou une méthode propre à mon œuvre, je montre aussi les conditions de son effectuation, qui en font partie intégrante. À la suite de ces bouts de papier, Chris Dercon a voulu me donner le double étage du Witte de With12.

longueur du mur de la salle qui m’était impartie. Les lettres étaient de l’envergure de mon bras. L’ensemble avait une présence monu- mentale, tenant presque du placard publicitaire. J’avais également utilisé une codification mathématique du langage pour barrer cer- tains mots, le processus d’écriture ne tolérant pas le repentir. Les erreurs étaient barrées d’un trait ou d’un double trait selon les cas. Le mot « OBJET » désignait certaines sculptures posées au sol et qui étaient conçues comme idées d’objets, tandis que le mot « OBJET » désignait des objets ayant existé, mais ils étaient barrés en raison de leur déplacement. « OBJET BELGIQUE », par l’unique fait de sa déloca- lisation, se retrouvait par exemple transformé en « OBJET BELGIQUE » le temps de son exposition.

JMB Mais au-delà de l’envergure de votre bras et de la définition d’un code

graphique, comment avez-vous défini cette écriture ?

JT Je ne voulais surtout pas d’une écriture cursive à la Marcel Broodthaers

ou à la René Magritte. Il me fallait une écriture inverse, en tant que femme plus encore ! J’ai donc naturellement utilisé la technique du corps et de la mémoire kinesthésique pour le tracé et l’alignement des lettres. J’ai commencé par déconstruire la lettre, c’est-à-dire par la penser en oubliant son projet. J’ai tracé des lignes à angle droit, de façon moderniste. La lettre apparaît par morceaux, en capitale, sans aucune rondeur, pas même pour la lettre B. C’est ce qu’on appelle parfois l’écriture bâton. C’était une façon simple d’avancer librement, assumant l’erreur, ne se fiant qu’au corps, aux gestes répétés sans

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