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Un jeu d’hypothèses explorant la possibilité de ruptures majeures dans les régimes alimentaires

Les hypothèses relatives aux régimes alimentaires dans le scénario Agrimonde 1 sont en rupture très marquée par rapport aux tendances puisqu’elles supposent que les régimes alimentaires vont s’ajuster aux objectifs de développement durable du fait des tensions plus marquées sur les ressources et des problèmes de santé publique associés à l’alimentation. Il s’agit donc d’un jeu d’hypothèses très fortes puisqu’il implique une prise en compte par les consommateurs, par les producteurs et par les politiques publiques des conséquences globales et locales des modes de production et de consommation alimentaire sur l’environnement et la santé.

Le choix de ce jeu d’hypothèses par le groupe de travail repose essentiellement sur quatre arguments :

- l’écart très marqué qui existe aujourd’hui entre disponibilités observées et disponibilités nécessaires à la sécurité alimentaire dans chaque région ;

- l’importance de l’équité dans un scénario de développement durable ; - la relation santé-alimentation ;

- la relation entre régimes alimentaires et pressions sur les ressources naturelles.

Des écarts marqués entre disponibilités observées et disponibilités nécessaires à la sécurité alimentaire67

Une disponibilité moyenne de 3000 kcal est jugée satisfaisante, à l’échelle d’une population, pour garantir à chacun une alimentation suffisante et saine. En effet, selon la FAO ce chiffre permettrait, en fonction de l’inégalité d’accès à la nourriture et de l’hétérogénéité des rations alimentaires dans la population, et en tenant compte de pertes limitées, de maintenir la proportion de sous-alimentés à un chiffre relativement bas (de l’ordre de 6% de la population mondiale si l’inégalité est forte) [FAO, 2003 et 2002].

Ainsi, notre hypothèse qui établit à 3000 kcal/j/hab. la disponibilité alimentaire moyenne dans toutes les régions en 2050 a l’intérêt de mettre en évidence les écarts qui existent aujourd’hui entre la disponibilité nécessaire à la sécurité alimentaire et les disponibilités constatées en 2000, notamment pour les pays ayant généralisé le mode de consommation « occidental ». Les disponibilités moyennes par habitant en 2000 approchent en effet les 4000 kcal/hab./j dans la zone OCDE-1990 et atteignent presque 4500 kcal/hab./j aux Etats-Unis.

Ces écarts peuvent s’expliquer par la dispersion des régimes au sein même des populations considérées, mais aussi par la surconsommation dans les pays riches ou encore par la proportion des pertes entre la mise à disposition auprès de l’usager et la consommation réelle, en fonction des modes de consommation. Les pertes liées à la consommation alimentaire chez les consommateurs sont en effet relativement importantes notamment dans les pays développés. Les chiffres varient selon les études mais restent élevés. Une étude réalisée aux Etats-Unis chiffre, par exemple, à 14% de l’alimentation achetée, la perte chez le consommateur en ce qui concerne la viande, les grains et les fruits et légumes [Jones, 2004] tandis qu’une étude anglaise chiffre à 30% les pertes chez les consommateurs en Grande-Bretagne [WRAP, 2007].

La question de l’équité dans un scénario de développement durable

La question de l’équité, et notamment entre les pays des Nord et ceux des Sud, a également été importante dans la construction des hypothèses sur les régimes alimentaires dans le scénario Agrimonde 1. Au niveau régional, il est possible de calculer à partir des bilans alimentaires la répartition actuelle des disponibilités mondiales de nourriture exprimées en calories finales totales. À cet effet on multiplie les disponibilités journalières par tête par la population et par 365 jours. On aboutit alors à des chiffres considérables qu’il convient d’exprimer, non pas en kilocalories, mais en gigakilocalories (Gkcal), soit 109 kcal. Ces données doivent être considérées comme des ordres de grandeur des prélèvements qui sont opérés en termes de produits alimentaires sur les écosystèmes mondiaux. On constate que ces disponibilités alimentaires ne sont pas aujourd’hui partagées de façon équitable, même si les distorsions sont moins frappantes que dans le cas de la richesse (PIB).

67 Les pertes entre la récolte et la mise à disposition du consommateur ne sont pas traitées dans ce chapitre sur les emplois des productions agricoles. Elles seront déduites des ressources en biomasse agricole (cf. encadré 11 dans le chapitre II.3).

Ainsi, l’OCDE-1990 qui regroupe 16% de la population mondiale consomme 21% des calories, alors que l’Asie qui représente 54% de la population ne dispose que de 49% des calories (cf. tableau 9).

Tableau 9 : Répartition mondiale des disponibilités de calories finales, moyenne 2001-2003.

Zones Population (en milliers) Disponibilités totale de calories finales (Gkcal)

Afrique du Nord - Moyen Orient 6% 7%

Afrique subsaharienne 11% 9% Amérique Latine 9% 9% Asie 54% 49% Ex-URSS 5% 5% OCDE-1990 16% 21% Total monde 100% 100% Monde 6 200 194 6 755

Source : Dorin (cf. I.2 Agribiom)

L’hypothèse retenue par Philippe Collomb dans son ouvrage Une voie étroite pour la sécurité

alimentaire d’ici à 2050 [Collomb, 1999] était une option envisageable pour prendre en compte la

question de l’équité. Cet auteur suppose qu’en 2050 les populations des pays en développement bénéficient d’un régime alimentaire proche de celui du Mexique à la fin des années 1990 (3040 kcal/j/hab. en termes de disponibilités alimentaires). Plus précisément, les pays actuellement en dessous de ce régime verraient leur disponibilité augmenter et les pays actuellement au-dessus, notamment les pays développés, garderaient leur régime inchangé. Cette hypothèse consiste à mettre à disposition de manière équitable au moins le minimum nutritionnel : dans cette optique, libre à ceux qui le peuvent et le souhaitent de consommer davantage que nécessaire. Finalement, le groupe de travail s’est inspiré de l’hypothèse de P. Collomb mais a choisi de retenir une approche plus exigeante de l’équité, considérant de plus que les questions de santé liées à l’alimentation influencent fortement les régimes alimentaires dans le scénario Agrimonde 1.

Une prise en compte de la relation alimentation-santé

Une disponibilité de 3000 kcal/j/hab. peut en effet avoir des conséquences positives en termes de santé publique. Tout d’abord, comme précisé ci-dessus, ce niveau de disponibilité maintient la proportion de alimentés à un chiffre relativement bas et diminue ainsi les risques de sous-alimentation dans les pays en développement. Ensuite, une surconsommation favorise la survenue de maladies non transmissibles liées à l'alimentation (MNTA), comme l’obésité. Leur progression pousse à une mutation de la consommation alimentaire. En effet des études montrent que les incidences du régime alimentaire actuel sur la santé affectent l’espérance de vie dans des pays comme les Etats-Unis [Olshansky et al, 2005]. L’obésité est bien évidemment la première maladie impliquée, mais elle n’est pas la seule concernée et d’autres maladies (diabète de type 2, maladies cardio- ou cérébro-vasculaires et certains cancers) font partie des MNTA. Ces maladies ont souvent comme facteurs de risques l’obésité mais sont plus généralement liées à une mauvaise alimentation. Même si le scénario Agrimonde 1 ne fait pas d’hypothèses quantitatives sur les nutriments présents dans les régimes alimentaires, la quantification du scénario se fondant sur les calories sans les décomposer en macro et micro nutriments ; il suppose cependant que les régimes alimentaires seront plus équilibrés du point de vue nutritionnel.

Limiter la pression sur les ressources naturelles

Une excès d’apport calorique entraîne des problèmes de santé, mais a également des conséquences en termes de pression sur l’environnement. L’objectif de nourrir convenablement neuf milliards d’habitants en 2050 suppose, quels que soient le volume et les méthodes de production envisagés, une pression importante sur les ressources naturelles (besoins en terre, en eau et en énergie, impacts environnementaux). Le jeu d’hypothèses sur les régimes alimentaires retenu par le groupe de travail permet d’explorer cette question de la pression sur les ressources naturelles.

Cette dernière marque différents aspects du scénario. Les disponibilités de produits aquatiques d’eau douce n’augmentent par exemple que légèrement dans le scénario afin de tenir compte des tensions et des pressions existant déjà sur l’eau douce dans de nombreuses régions du monde.

L’hypothèse de moindres disponibilités de produits animaux et notamment de produits issus de ruminants en OCDE-1990 et d’une augmentation limitée dans les autres régions, tient aussi à l’impact environnemental et énergétique de la production animale. Le scénario TechnoGarden envisage également pour des raisons environnementales, une modification dans la consommation de viandes dans plusieurs régions.

D’une manière générale, l’étude des évolutions des disponibilités montrent une consommation élevée de protéines animales, dont la production utilise ¼ des disponibilités en calories alimentaires d’origine végétale au niveau mondial (cf. figure 26).

Figure 26 : Usage des disponibilités à l’échelle mondiale 1961-2003.

Source : Dorin (cf. I.2 Agribiom et annexe 9)

Si l’on s’intéresse à la répartition qui s’opère, au sein de notre alimentation, entre calories d’origine végétale et celles fournies par les animaux, on constate que 84% des calories finales proviennent des produits végétaux (moyenne 2001-2003), faisant de l'agriculture - stricto sensu - la base de l'alimentation mondiale.

Nutritionnellement parlant, les calories animales ne représentent que 16 % des calories finales disponibles, mais économiquement, et du point de vue de l’environnement, leur importance s’avère beaucoup plus grande. En effet, les calories végétales (CV) servent à produire des calories animales (CA) ou bien directement des calories finales (CF) consommées par l’Homme. Lorsqu'on mesure le niveau calorique de la ration alimentaire d'un individu ou d'une population, on peut tenir compte de l'ensemble des calories végétales nécessaires à la production des calories finales. On parlera alors de calories initiales (CI). On peut ainsi calculer la ration alimentaire (exprimée en calories initiales) selon :

CI = CV + CA x CT.

CT étant le coefficient de transformation indiquant le nombre de calories végétales nécessaires pour produire une calorie animale. Ce coefficient varie entre 4 et 14 suivant les animaux transformateurs considérés68.

Cette distinction apparaît vite comme essentielle si l’on entend mesurer les besoins futurs. Elle permet de remonter ensuite vers l’ensemble des besoins en produits végétaux nécessaire à la production des aliments, puis d’évaluer les besoins en terre, en eau et en intrants, à partir des coefficients techniques de production.

On peut, avec cette méthode, refaire une estimation mondiale des disponibilités énergétiques (cf. tableau 10).

68 Pour le porc, il faut 4 kg d’aliments sous forme de grains pour produire 1 kg de viande consommée. Le taux de conversion alimentaire est inférieur pour le poulet et beaucoup plus élevé pour le bœuf. Ce qui signifie que les animaux consomment (pour nous) environ 400 kg de grains de toute sorte pour ensuite les transformer en 80 kg de viande correspondant à notre consommation annuelle.

Tableau 10 : Disponibilités énergétiques alimentaires exprimées en calories initiales

Calories initiales totales (en Gkcal)

Part des calories initiales transformées en calories animales (en %) Zones Moyenne 1961-63 Moyenne 2001-03 Coefficient multiplicateur des calories initiales entre 1961-1963 et 2001-2003 Moyenne 1961-63 Moyenne 2001-03 Afrique du Nord - Moyen Orient 204 785 3,9 46 44 Afrique subsaharienne 263 840 3,1 32 30 Amérique Latine 398 1 299 3,3 57 63 Asie 1 389 5 852 4,2 24 50 Ex-URSS 650 726 1,1 64 64 OCDE-1990 2 475 3 953 1,6 74 75 Total monde 5 379 13 426 2,5 56 58

Ces données illustrent de manière brutale l’évolution de la consommation alimentaire mondiale. On y observe en premier lieu le fait que les calories initiales représentent au total deux fois les calories finales consommées par les humains (voir tableau 10). Pour une calorie finale, il faut donc produire deux calories végétales. Elles confirment, ensuite, l’extraordinaire progression asiatique en quarante ans (multiplication par 4,2 contre 2,5 en moyenne mondiale) et la stagnation de l’OCDE-199069

. On y constate, aussi, le fait que la croissance des calories initiales demeure nettement supérieure, durant la période considérée, à celle de la population (multipliée par 2,5 contre 2 pour la population). Enfin, considérant en première approximation que 7 calories végétales sont nécessaires à la production d’une calorie animale, les produits animaux représentent l'équivalent de 58 % des calories initiales utilisées dans le monde.

Si la production de calories animales demande un volume conséquent de calories végétales, il est cependant important d’être prudent concernant l’impact environnemental des productions animales. En effet, on peut considérer que l’on trouverait un avantage à produire des animaux qui optimisent l’usage des ressources végétales (ils broutent de la pâture, et donc des fibres que les humains ne peuvent digérer). Cependant, les systèmes de production ont évolué au cours de ces quarante dernières années et la réponse à l’augmentation de la demande de viande bovine a été l’intensification des systèmes, qui s’est traduite, en général, par la diminution des pâtures et l’augmentation de concentrés, notamment des grains. Ainsi, alors que la production des ruminants a augmenté entre 1970 et 1995 de 40%, les surfaces en pâtures n’ont progressé que de 4% [Bouwman et al, 2005]. Or les ruminants ont des efficiences de conversion de l’amidon et de plantes protéagineuses en viande, plus faibles que les monogastriques [Bouwman et al, 2005]. Une étude montre notamment que, dans certains systèmes de bovins à viande, la surface cultivée nécessaire est trois fois plus importante que celle utilisée pour une même production de monogastriques [Wirsenius, 2003], bien que cette conclusion ne soit pas généralisable à tous les systèmes de production, notamment dans les pays en développement.

Des avantages de la production de ruminants résident encore dans la valorisation de terres souvent incultivables, par des animaux (zones d’altitude, de pentes, semi-arides…), et dans le stockage de carbone par ces surfaces. Mais la production de ruminants est également génératrice de gaz à effet de serre comme le méthane, le dioxyde de carbone et l'hémioxyde [Steinfeld et al, 2006], de manière directe (respiration, rumination) ou indirecte (alimentation animale, transformation, transport), cette dernière composante devenant de plus en plus importante avec l’intensification de la production. Enfin, les ruminants ont également des utilités diverses car ils représentent un capital pour leur propriétaire, ils fournissent des amendements organiques et sont souvent utilisés comme bêtes de trait, sans compter l’apport nutritionnel, lacté ou carné, ou encore une trésorerie régulière qu’ils offrent à des populations, souvent parmi les plus pauvres du monde en regard des critères économiques.

La production alimentaire utilise également des quantités d’eau très variables en fonction de la denrée produite : il faut 100 litres d’eau pour 1 kg de pomme de terre, 4600 litres pour 1 kg de viande de porc, 4100 litres pour 1kg de viande de poulet et 13 000 litres d’eau pour 1 kg de viande

de bœuf [Zimmer et Renault, 2003]. Ces chiffres sont bien sûr des indications (calculées en Californie) et varient en fonction des sols, des climats, et des systèmes de production, notamment lorsque les porcs sont nourris à l’aide de déchets, mais donnent cependant une indication de l’écart qui existe entre les consommations d’eau des différentes denrées alimentaires.

Au point de vue énergétique, la conversion de la production de ruminants, nourris à partir des ressources pastorales locales, en une production de monogastriques demandant une production et le transport d’aliments sur de longues distances, est à l’origine des dépenses d’énergie supplémentaires considérables [Steinfeld et al, 2006]. Il faut par exemple aux Etats-Unis, 2700 kcal d’énergie fossile pour produire 100 kcal de porc et seulement 1600 kcal pour produire 100 kcal de bœuf [Pimentel, 1996].

D’une manière plus générale, la production, de même que la fabrication et la commercialisation d’aliments est fortement consommatrice d’énergie. L’ensemble de la chaîne alimentaire utiliserait aux Etats-Unis 17% de la consommation totale d’énergie fossile [Horrigan et al., 2002]. En outre, le système utiliserait 100 kcal pour en produire 7,6 d’utiles [Eshel et al, 2006]. La surconsommation alimentaire entraîne donc une sur-utilisation d’énergie fossile, dommageables pour l’environnement.

Tableau 11 : Récapitulatif des hypothèses quantitatives relatives aux emplois agricoles des productions agricoles en 2000 et 2050 dans les

scénarios Agrimonde 1 et Agrimonde GO

Population (en millions) Disponibilités totales (kcal/hab./j) 2000 2050 Agrimonde 2000 2050 Agrimonde 1 2050 Agrimonde GO Afrique du Nord – Moyen Orient 352 631 3343 3000 3458 Afrique subsaharienne 659 1 661 2392 3000 2972 Amérique latine 515 773 3106 3000 3698 Asie 3 204 4 442 2776 3000 3702 Ex-URSS 281 239 3050 3000 3457 OCDE-1990 961 1 066 3931 3000 4099 Monde 5 973 8 812 2962 3000 3590

Sources : d’après Carpenter et al. (2005), Dorin (cf. I.2 Agribiom)

II.2.2 Les hypothèses quantitatives relatives aux ressources agricoles

Dans le scénario Agrimonde 1, la quantification des ressources agricoles est réalisée à l’échelle de chaque région et se fonde :

- pour les ressources en calories végétales, sur le chiffrage des surfaces alimentaires et du rendement des cultures,

- pour les ressources en calories d’origine animale, sur le chiffrage des surfaces pâturées et sur l’utilisation des fonctions de production animale régionales présentées dans la section I.2.1.8.

Nous nous attacherons ici à retracer, dans un premier temps, les principes retenus par le groupe de travail pour la construction des hypothèses sur les surfaces, et à rappeler les arguments qui ont motivé le choix de ces hypothèses région par région avant de présenter un récapitulatif au niveau mondial. La présentation des hypothèses sur les rendements des cultures alimentaires suit le même plan.

II.2.2.1 Quelles occupations des sols en 2050 ?