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La loi n°2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice manifeste la volonté du gouvernement de renforcer le dispositif du PSE. Ainsi le rapport annexé à la loi prévoit comme objectif "de permettre, à l'échéance d'un délai de cinq ans, le placement simultané sous surveillance électronique de 3000 personnes". Elle introduit à ce titre dans son article 49 de nouvelles dispositions relatives au PSE. Ainsi prévoit-elle, de façon innovante, que l'obligation prévue au titre du contrôle judiciaire par l'article 138, 2° du Code de procédure pénale "de ne pas s'absenter de son domicile ou de la résidence fixée par le juge d'instruction qu'aux conditions et pour les motifs déterminés par ce magistrat", peut désormais être exécutée sous le régime du PSE. Le Conseil constitutionnel, saisi de cette loi, était sollicité par les requérants sur cette disposition sur le fondement de son éventuelle contrariété à la déclaration des droits de l'homme du citoyen du 26 août 1789. Ainsi, ces derniers estimaient-ils que ce dispositif portait une atteinte excessive à la liberté individuelle et à la vie privée. Le Conseil constitutionnel n'a pas suivi ce raisonnement en considérant que le recours au PSE n'ajoutait qu'une contrainte limitée aux conditions de l'article 138, 2° du CPP et qu'il était prévu qu'il suppose l'accord de l'intéressé169.

A ce titre, la loi s'éloigne de façon incontestable des objectifs et débats initiaux sur le PSE comme nouveau "mécanisme pénal" susceptible de réduire l'importance de la surpopulation carcérale. Les hypothèses des chercheurs estimant que ces motivations s'inscrivaient dans une logique de justification d'un dispositif destiné progressivement à renforcer le contrôle des personnes s'avèrent ainsi confirmées. De ce point de vue, la France se situe dans la lignée des évolutions enregistrées dans certains Etats anglo-saxons, et notamment en Grande-Bretagne, venant démentir la légitimation politique initiale du recours à un tel dispositif. En effet, même si cette disposition s'accompagne d'une abrogation de l'article 144-2 CPP introduit par la loi du 15 juin 2000 visant à permettre d'effectuer une détention provisoire sous le régime de la surveillance électronique et qu'elle permet de remplacer ce dernier par le principe d'un contrôle judiciaire "sécurisé" de nature à mordre a priori plus fortement sur le recours par le juge au placement en détention provisoire, on doit aussi souligner les risques renforcés d'un usage par extension de ce même dispositif. En effet, le recours au PSE dans le cadre du contrôle judiciaire ne s'accompagne pas des mêmes limites et précautions que dans celui de la détention provisoire. On l'applique, dans le premier cas, dans un cadre de droit commun banalisé et plus général pour en renforcer la dimension de contrainte alors qu'il s'inscrivait, dans le second, dans une logique d'atténuation des effets coercitifs d'une mesure plus restreinte et contestée. Ce déplacement de registre d'utilisation du PSE aboutit, de façon plus générale, à la fois à en changer la signification (non plus adoucir les conditions d'exécution des peines privatives de liberté pour en éviter les effets désocialisant, mais renforcer le contrôle et les contraintes de l'exécution des peines) et à modifier son champ potentiel de mise en œuvre (par la voie d'une extension possible de son recours dans des domaines ne permettant plus de mordre sur la détention). A ce titre, ont peut craindre que ce changement de sens progressif de la surveillance électronique ne prive plus encore le débat pénal qui pouvait l'accompagner de son intérêt principal, à savoir interroger les impacts positifs et négatifs de cette nouvelle modalité du pouvoir de punir sur les condamnés, leur représentation

de la peine, leur réinsertion, etc. Le PSE devient alors un simple outil de contrôle technologique perdant toute portée d’innovation pénale pour venir relayer un discours axé sur le renforcement de la contrainte pénale et de la fonction rétributive de la peine.

Ce glissement de sens du PSE est encore confirmé par une autre précision apportée par cette même loi indiquant que "la mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance peut être confiée à une personne de droit privé habilitée dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat". Même si, sur le plan juridique, cette disposition était sans doute superfétatoire au sens où les dispositions concernées, sauf à considérer que la notion de "dispositif technique de contrôle à distance" est de nature à intégrer une dimension de surveillance170, pouvaient être adoptées par voie réglementaire, elles traduisent

symboliquement la volonté d'affirmer de la part du nouveau gouvernement la légitimité du recours aux personnes de droit privé. Elle doit être rapprochée à ce titre des orientations dégagées par la loi N°2002-1094 d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure du 29 août 2002 qui traduisent une volonté plus ou moins directement exprimée d'associer plus fortement le secteur privé à l'exercice de tâches de sécurité.

Outre la question de la mémoire de nos interlocuteurs, de leurs défaillances, de leurs confusions ou de leurs oublis, ce travail de reconstitution d’un processus législatif pose celle de la reconstruction d’un passé pourtant proche. On s’aperçoit ainsi que les visions en présence et les façons de vivre ce processus d’élaboration de la loi et du décret sur le placement sous surveillance électronique sont éminemment diverses et qu’elles s’analysent certainement en lien avec une représentation de l’administration pénitentiaire ainsi qu’avec la place occupée dans ce système politico-administratif complexe.

170 Cette interprétation est celle qui était évoquée par les requérants auteurs de la saisine du Conseil constitutionnel. Ce dernier cependant, en rapprochant les deuxième, troisième et quatrième alinéas de l'article 723-9 du CPP dans leur rédaction issue de l'article contesté, a considéré que l'Etat conservait le monopole des tâches régaliennes associes à la surveillance électronique et estimé que les dispositions contestées ne visaient à confier aux personnes privées que de simples "prestations techniques détables des fonctions de souveraineté",

Chapitre 2 : Les arguments structurants du débat sur le

placement sous surveillance électronique en France

Le PSE est « un des dossiers à cinétique lente de l’administration pénitentiaire »171. Outre

qu’il ne faut pas sous-estimer l’influence d’éléments conjoncturels ou plus structurels du climat politique autour des questions de justice et de détention dans l’acceptabilité du projet de société qu’est le PSE, le temps a constitué une variable importante dans la construction de cette acceptabilité, et ce, aux différents stades de son introduction réelle dans les pratiques (progressivité de l'évocation du dispositif dans les rapports parlementaires, élaboration successive de plusieurs propositions de loi, lenteur de la rédaction du décret d’application, temps de mise en route de l’expérimentation dans les sites, extension de l'expérimentation à l'ensemble des directions régionales métropolitaines). L'un des constats parmi les plus importants qui se dégagent des entretiens réalisés est celui d'un progressif désinvestissement de la question du placement sous surveillance électronique sur le terrain idéologique. Alors même que la mesure a initialement suscité des oppositions parfois radicales, on a le sentiment que l'acceptation, voire la « banalisation » du procédé, a résulté d'un processus - conscient ou non - de désubstantialisation progressive des débats et des enjeux de son instauration. Plus précisément, si le débat sur le principe du PSE a été progressivement neutralisé, un certain nombre de questions ont persisté plus longtemps, qui concernent les principales options de sa mise en œuvre.

I/ La neutralisation idéologique progressive du débat sur le