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1. Objectifs repris dans les notes des ministres de la Justice

Dans les notes des deux ministres de la Justice, la surveillance électronique constitue « une solution intermédiaire entre l'incarcération et les voies alternatives plus traditionnelles » dans le cadre d’une politique de diversification. La mesure de SE, en donnant au condamné la possibilité de rester dans son environnement immédiat, concoure à limiter les dommages causés par la détention et à favoriser une intégration maximale dans la société311 et ce, dans

une perspective de « réinsertion » selon le ministre De Clerk ou de « réparation » selon le ministre Verwilghen.

310 Le Centre dispose de deux conseillers-adjoints pour le service social et de 30 assistants sociaux (16 francophones et 14 néerlandophones). Il y a 10 administratifs, un inspecteur conseiller adjoint et 3 assistants sociaux faisant fonction d’inspection.

2. Objectifs repris dans les circulaires

Les deux premières circulaires312 régissant la mesure et élaborées par le groupe de travail au

sein de l’administration pénitentiaire ne définissent pas les objectifs. La troisième circulaire n° 1692 du 27 novembre 1998 définit deux objectifs : la SE s’inscrit dans le contexte de recherche d’alternatives dans le but de diminuer la pression sur la population carcérale et ce en adéquation avec la note d’orientation de 1996 dans laquelle le ministre affirme clairement que la peine d’emprisonnement doit constituer le remède ultime. La mesure s’inscrit dans le cadre de la recherche de moyens de limiter les dommages causés par la détention (la SE permet de maintenir les contacts familiaux, sociaux et économiques). Enfin, il est mis l’accent sur l’importance de préparer le détenu à la mesure et d’inscrire celle-ci dans un programme qui favorise autant que possible sa réinsertion sociale. Dans la circulaire n° 1720 du 13 octobre 2000, on retrouve la même finalité de recherches d’alternatives en faisant, cette fois, référence au Plan fédéral de sécurité et de politique pénitentiaire. Ensuite, la référence à la réparation, placée à l’avant-plan de la Note de politique générale pour la justice de l’an 2000, vient supplanter l’objectif de réinsertion. Ce concept de "justice réparatrice" constitue la clé de voûte du discours politique de l'actuel ministre de la Justice qui tend à renvoyer à un nouveau modèle de justice. L'émergence d'un tel modèle en Belgique n'est pas sans lien, à nouveau, avec "l'affaire Dutroux" qui placé les victimes à l'avant-plan de la scène politique. Dans son acception large, le modèle repose sur l'idée qui y a lieu de rétablir la relation perturbée entre la victime, l'auteur et la société en renouant avec une tradition de résolution de conflits basée sur la communication et la concertation entre les parties, dans le respect de leurs attentes respectives313. La dernière Circulaire n° 1746 du 9 août 2002 reprend les mêmes

objectifs sans référence aux plans mentionnés dans les précédentes.

3. Objectifs définis par le CNSE

Dans le cadre du Centre qui gère la surveillance électronique, primauté est donnée à l’aspect qualitatif de la guidance et du contrôle. La réduction du risque de récidive est un objectif important qui est assuré grâce à une guidance sociale plus intensive et à une réinsertion sociale plus progressive314. Autres avantages avancés : le coût moins élevé que pour une

détention classique, le fait que le détenu devient plus rapidement « rentable » économiquement, mais aussi socialement315, l’aspect moins stigmatisant de la mesure parce

que la personne contrôlée n’est pas écartée aussi longtemps de la société (ou même pas du tout en cas de constitution volontaire), enfin le préjudice moral et matériel qui est moindre par rapport à une incarcération classique puisque les détenus placés sous surveillance électronique peuvent continuer à assumer leur rôle de soutien de famille, de parent et d’époux. Nous ne pouvons ici que relever que de tels propos sont difficilement vérifiables dans la mesure où aucune évaluation n’en a été faite.

Par rapport à l’objectif de diminution de la population carcérale, le directeur du CNSE semble avoir une vision nuancée : « il existe malheureusement la loi de Parkinson selon laquelle toute cellule libérée sera à nouveau occupée. Le problème pour la Direction générale des établissements pénitentiaires est qu’il ne lui est pas possible d’influer sur l’input dans nos prisons. Si nous pouvions effectivement placer au moins 300 détenus par jour sous SE, cela ne nous garantirait pas encore que les places libérées dans nos prisons ne seraient pas très

312 Circulaire n° 1680 du 24 novembre 1997, Circulaire n° 1683 du 27 mars 1998.

313 Définition qui ressort de la circulaire du 4 octobre 2000 instaurant les consultants en justice réparatrice dans les prisons.

314 R.Bas, op. cit. p. 25.

315 Interview de Ralf Bas, Antenne 2000, direction générale des établissements pénitentiaires, octobre 2000, pp. 20-21

rapidement à nouveau attribuées. Si tel devait être le cas, j’estime que nous devrions avoir le courage de nous regarder dans une glace et de nous demander si, en introduisant la surveillance électronique, nous avons réalisé un travail suffisamment utile. Je persiste à dire que nous devrions toujours essayer d’éviter de contrôler encore « plus » de gens par la voie judiciaire, mais plutôt améliorer l’encadrement (d’une partie) de la population carcérale actuelle afin de parvenir à une réinsertion sociale de meilleure qualité … réduisant ainsi les risques de récidive ». Dans un autre article toutefois, le directeur observe que: « ces dernières années, les 32 prisons du royaume hébergeaient une population moyenne de 14.000 détenus sur une base annuelle. En considérant les prévisions formulées ci-dessus pour l’année 2002 - à savoir 2000 surveillances électroniques sur une base annuelle -, la surveillance électronique devrait permettre de faire diminuer quelque peu la pression due à la surpopulation qui touche les prisons belges »316.

4. Objectifs du SCI

Nous avons montré que le SCI considère la mesure comme une modalité parmi d’autres de l’exécution des peines. Bien que la politique affichée du SCI soit celle d’une « individualisation des peines », les conseillers du SCI interrogés se sont néanmoins plaints de devoir travailler dans un certain flou à cause de l’absence de clarté des objectifs. Ce flou a de nombreux effets sur la mise en œuvre de la mesure : la décision des acteurs du SCI variera selon leur conception (par exemple, un fonctionnaire n’attribuera la SE que s’il n’existe aucune contre-indication alors qu’un autre sera moins attentif quant à celles-ci). Cela signifie qu’il n’y a pas d’approche commune. Leurs instructions actuelles sont : de rester attentif à la surpopulation ; de donner une chance au détenu, notamment dans le contexte actuel de la libération conditionnelle ; mais de ne pas octroyer la mesure « à n’importe qui quand même ».

5. A la recherche d’un objectif

Les entretiens menés avec les acteurs des différents services ont montré que finalement, il existe un énorme flou quant aux objectifs de la mesure et, en tout cas, une réappropriation, à chaque niveau, des objectifs prisés.

Si l’objectif de diminution de la surpopulation est soutenu en amont, par le politique (dans les notes des ministres, lors des conseils des ministres, dans les médias), il semble surtout être mobilisé comme levier décisionnel. Remarquons, par exemple, que seule la troisième circulaire du 27 novembre 1998, qui affiche pour la première fois les objectifs de la surveillance électronique, stipule que la mesure s’inscrit dans le contexte de recherche d’alternatives dans le but de diminuer la pression sur la population carcérale et ce, en adéquation avec la note d’orientation de 1996 dans laquelle le ministre affirme clairement que la peine d’emprisonnement doit constituer le remède ultime. A l’inverse, la dernière circulaire du 9 août 2003 ignore, à dessein, l’objectif de diminution de la population carcérale. Dans les faits, si le politique a, à chaque étape décisive, envisagé l’augmentation du nombre de bénéficiaires, le CNSE adopte une logique plus « qualitative » visant à assurer l’encadrement et le contrôle en priorité à tout autre objectif. Le SCI, quant à lui, tente de s’y retrouver parmi ces objectifs plutôt contradictoires, tout en regrettant une absence de clarification de ceux-ci. Les directeurs des établissements pénitentiaires semblent également contrariés par ces doubles injonctions : ils doivent proposer les candidats mais ont le sentiment que, pour ceux qui sont proches de la libération conditionnelle, la sévérité du

316 R.Bas, Visite…, op. cit. p. 25.

contrôle risque surtout de leur « saper » les chances de se voir octroyer une libération conditionnelle, en cas d’échec de la mesure de surveillance électronique, par exemple.

Faire le lien entre « relations tendues » et objectifs épars nous contraint également à regarder du coté de la politique d’évaluation ou plutôt, comme nous allons le voir, de son absence.

IV. Quelle politique d’évaluation ?

Pour rappel, l’expérience mise en place devait s’accompagner d’une recherche évaluative menée par l’université de Leuven (K.U.L). Il s'agissait surtout d'interroger les détenus par rapport à leur vécu de la mesure de surveillance électronique. Cette recherche ne fut toutefois pas prise en compte comme élément valable d’évaluation. Selon Ralf Bas, il y a eu un désaccord d’ordre méthodologique lié à l’insuffisance en nombre des entretiens effectués (« seulement 18 entretiens sévèrement sélectionnés»). De plus, l’absence de budget de prolongation de la recherche lors du départ du ministre De Clerck qui l’avait commandité, a renforcé l’ignorance volontaire de ses résultats.

Ralf Bas ne semble pas chagriné par l’absence d’évaluation externe et semble même prôner la mise en place d’évaluations internes : « nous avons décidé de libérer un membre du personnel pour l’évaluation scientifique et statistique. Cette évaluation permanente est intéressante pour le travail journalier mais aussi pour une évaluation de la surveillance comme alternative à la peine classique d’emprisonnement »317. Peu après cette décision, la personne en charge de

cette mission a été transférée dans un autre service. Actuellement, un membre du CNSE a, entre autres taches, celle de récolter des données quantitatives. En outre, il semblerait que Ralf Bas collabore avec des scientifiques (Ch. Beyens et D. Kaminski) pour compiler et analyser les données en vue de publication. On ressent clairement une certaine réticence à diffuser les informations chiffrées, tant à notre égard318, qu’à l’égard du Cabinet du ministre qui ne

semble, par ailleurs, pas spécialement demandeur. Ralf Bas craint, à cet égard, qu’une diffusion des données ne pousse le Cabinet à étendre la mesure sans renforcer le cadre du personnel existant. Cette objection rappelle la logique dominante du CNSE : privilégier le contrôle et l’encadrement sur tout autre objectif.

Il est à remarquer que cette position du directeur contredit sa critique, lors de nos premiers entretiens, de l’absence d’évaluation correcte et d’absence d’intérêt des scientifiques pour la matière (en comparaison avec, par exemple, la justice réparatrice).

Les éléments d’évaluation que nous allons présenter ici découlent donc de données éparses recueillies dans différentes sources (tableaux, presse, entretiens, réponses aux questions parlementaires, etc.).