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A la sortie du rapport de Cabanel, en 1995, les médias se sont intéressés particulièrement au PSE – alors qualifié d’ADSE, assignation à domicile sous surveillance électronique – qui constituait la proposition la plus innovante. S’affrontent alors deux approches du PSE. L’une, fortement défavorable au PSE, se focalise à la fois sur ce que cette nouvelle peine symbolise

171 Entretien avec Emmanuel Rébeillé-Borgella, op. cit. 172 Entretien avec Emmanuel Rébeillé-Borgella, op. cit. 173 Entretien avec Pascal Faucher, 29/11/2001.

en termes de développement des nouvelles technologies dans le champ pénal et sur les risques nouveaux qu'elle est susceptible d'emporter pour les droits et libertés des individus. L’autre, clairement favorable au bracelet, met en exergue des objectifs de saine gestion de la pénitentiaire.

1. Des arguments fortement défavorables au PSE

L’argument selon lequel le PSE ne constituerait pas une véritable mesure de privation de liberté ne semble pas avoir été invoqué dans les débats. Le cabinet du ministère de la Justice entre 1993-1995 l’envisage même avant tout comme un moyen de s’assurer du respect par le placé d’un certain nombre d’obligations174. En ce sens, il génère plutôt un sentiment

sécurisant par rapport à d’autres peines ou aménagement de peines. A l’inverse, le PSE a été vivement critiqué sur le plan du respect des droits de l’homme et de la démocratie. C’est sur ce terrain que la plupart des oppositions initiales à cette mesure se focalisent, que ce soit de la part des politiques, des magistrats, des agents pénitentiaire, etc.

L’argument le plus souvent invoqué à l’encontre du PSE réside dans le caractère stigmatisant du port d’un bracelet électronique, dont la symbolique renverrait à celle du boulet du bagnard ou du marquage du corps des condamnés, voire de l’espace concentrationnaire175. Cette

position se retrouve très souvent chez les travailleurs sociaux, notamment176. Le port du

bracelet serait générateur d’une désocialisation et d’une déconsidération devant ses voisins, devant ses enfants, etc. Le Syndicat de la Magistrature ajoute que la logique de rationalisation de l’institution pénitentiaire dans laquelle cette réforme s’inscrit conduit à privilégier clairement le contrôle et la sanction sur le volet socio-éducatif, y compris pour les mineurs177.

C’est ainsi l’utilité sociale du dispositif qui doit être interrogée. Dans un autre ordre d’idée, se pose le problème du domicile du condamné ou du prévenu qui devient un instrument du contrôle dès lors que la peine y est exécutée178. Le principe d’inviolabilité du domicile est

ainsi invoqué à l’encontre d’une telle possibilité179. En effet, que se passe-t-il si une alerte se

produit ? Peut-il y avoir des visites au domicile pour vérifier la présence du placé180 ? Enfin,

se profile le risque d’une justice à deux vitesses, les délinquants en col blanc pouvant bénéficier du PSE tandis que les autres seraient envoyés en prison181. En effet, le PSE suppose

une localisation géographique avec un téléphone et n’est donc pas adapté aux sans domicile fixe ; il n’est pas applicable non plus aux personnes sans activité182.

L’opposition de principe au PSE a été d’autant plus forte qu’une incertitude planait sur les options technologiques retenues et sur le type de surveillance qu’elles permettraient. Avant le décret d’application, restait en suspens la question du dispositif technique qui serait utilisé, et dont les caractéristiques ne sont pas précisées dans la loi. Rien n’empêche, par exemple, qu’une éventuelle dérive sécuritaire n’amène à introduire une technologie plus invasive de

174 Entretien avec Xavier Salvat, 31/10/2001.

175 Entretiens avec Gilbert Azibert, Catherine Giudicelli, Pascal Faucher, Guy Cabanel, Bernard Prévost, Emmanuel Rébeillé-Borgella, Xavier Salvat, op. cit.

176 Entretien avec Catherine Giudicelli, op. cit. 177 Entretien avec Ulrich Schalchi, 13/02/2002. 178 Entretien avec Catherine Giudicelli, op. cit.

179 Entretien avec Emmanuel Rébeillé-Borgella, op. cit. 180 Entretien avec Catherine Giudicelli, op. cit.

181 Entretiens avec Bernard Prévost, Gilbert Azibert, Catherine Giudicelli, op. cit. 182 Entretien avec Gilbert Azibert, op. cit.

type GPS183. Une partie des médias voyaient en effet dans le PSE les prémisses d’un moyen

d’identification et de suivi permanent, dont le ressenti dans l’imaginaire collectif était évidemment, depuis le 1984 d’Orwell, particulièrement négatif. Dans le cas particulier de la peine, les aspects - ici considérés comme positifs - de contractualisation, et d’implication personnelle du condamné, deviendraient sans objet dans le cas d’une surveillance 24h/24, éventuellement itinérante. Ce serait incohérent avec le principe de l’individualisation de la peine184. La perspective de mise en place d’un « nouveau panopticon » était ainsi très mal

reçue et le spectre de Big Brother hante les esprits d’un certain nombre d’acteurs185.

Plus largement, plusieurs de nos interlocuteurs citent la méfiance vis-à-vis d’un contrôle technicisé parmi les causes de réticence au PSE186. Le SNEPAP critique l’évolution qui

consiste à remplacer l’encadrement humain – et notamment l’accompagnement social – par un ordinateur. Celui-ci rend l’Etat moins « présent » dans la sanction, conduisant à une diminution de sa lisibilité et, plus largement, à une dilution des repères et une forme de remise en cause des fonctions régaliennes de l’Etat187. Plus largement, pour Ulrich Schalchli, le

recours au PSE n’est que l’une des manifestations d’une évolution technologique – à laquelle appartient également, notamment, le fichage informatisé des suspects dans le cadre du système de traitement des infractions constatées (STIC) – qui contribue à l’évacuation des concepts juridiques pertinents. La gestion technologique des personnes supplante alors l’approche juridique de la sécurité et du pénal, avec des conséquences potentiellement très graves. L’argumentaire développé en faveur du dispositif du PSE est presque aussi véhément.

2. Des arguments valorisant ce dispositif

Le sénateur Cabanel était intéressé par l’idée d’un dispositif de surveillance fondé sur la science, sur la technologie, alliant fiabilité et possibilité d’éviter la construction d’établissements pénitentiaires. Cet objectif visant à réduire le besoin de prisons s’inscrit dans une double problématique : la lutte contre la surpopulation carcérale, d’une part, la maîtrise des coûts, d’autre part. L’idée du PSE émerge à une période où le nombre de détenus en France atteint des sommets, toutes les prévisions tablant en outre sur une augmentation constante. De fait, il est présenté comme une « recette miracle » sur le double plan de la baisse de la pression sur les prisons et du coût, bien moindre que celui de la prison.

L’argument de la réduction de la population carcérale a été fortement mobilisé au niveau politique. Il était présenté comme une justification décisive du recours au PSE, qui permet une réelle exécution des peines tout en « soulageant » les établissements pénitentiaires. C’est également le premier argument invoqué par Bernard Prévost pour expliquer les raisons qui l’ont conduit à s’intéresser au PSE dès 1993. Il mentionne en outre le fait que le PSE permet de réduire le coût financier par rapport à un séjour en prison. De même, Eric Veyssière estime que l’administration pénitentiaire avait tout à gagner à utiliser le bracelet électronique, qui lui permettait à la fois « d’ouvrir la prison » et de réduire les coûts. L’évaluation comparée du coût d’une journée en prison et d’une journée en placement sous surveillance électronique donne lieu à des appréciations variables. Gilbert Azibert considère que le PSE coûtera moins cher que le million de francs que coûte une cellule dans une maison centrale et que si les

183 Entretien avec Pascal Faucher, op. cit. 184 Ibid.

185 La crainte de « Big Brother » est mentionnée par la plupart de nos interlocuteurs comme étant l’une des raisons les plus invoquées à l’encontre du PSE.

186 Entretiens avec Emmanuel Rébeillé-Borgella et Jean-Pierre Dintilhac, op. cit. 187 Entretien avec Francis Marini, 26/04/2002.

investissements initiaux ne sont pas négligeables pour le PSE, ils ne sont pas plus lourds que la construction d’un établissement pénitentiaire… Le PSE est un dispositif présenté comme coûtant 5 fois moins cher que la prison, c’est donc un argument qui n’est pas complètement à exclure. L’« argument économique » existe. Selon Daniel Picotin, le programme prévoyant une cellule par prisonnier à échéance de 2006 va coûter de l’argent, dans un contexte de crise de la justice, qui est secouée par des « spasmes récurrents ». Le PSE présente l’avantage non négligeable de coûter moins cher188.

Pourtant, l’impact de ces arguments va progressivement s’atténuer pour laisser place à une approche plus pacifiée de la question du placement sous surveillance électronique.