• Aucun résultat trouvé

1. Une gestion autonome du projet par l'autorité administrative

L'initiative de l'introduction dans le Canton de Vaud de la surveillance électronique revient à un député cantonal, M. Vuillemin. C'est essentiellement à des fins d'économies qu'il a déposé une motion en ce sens. Celle-ci, si elle a été acceptée, n'a pas été immédiatement mise en œuvre dans la mesure où le service pénitentiaire était engagé dans un processus d'expérimentation et d'évaluation du travail d'intérêt général qui mobilisait alors l'essentiel de ses forces. Il n'apparaissait pas, dans ce contexte, opportun d'engager une nouvelle expérimentation. Ce n'est que lorsque le canton de Bâle a lancé un appel à partenariat pour engager une telle expérimentation en 1997 que le canton de Vaud ayant terminé l'expérience TIG a décidé de s'associer au programme.

La définition du programme a par la suite totalement échappé au politique pour être entièrement géré par le service des corrections pénitentiaires. Le directeur des services pénitentiaires, M. André Vallotton, a de fait joué un rôle déterminant dans ce processus. La définition du cadre juridique du dispositif n'a ainsi pas impliqué l'intervention du législatif pour être adopté uniquement par le pouvoir exécutif par voie de règlement. De la même façon, si les juges ont été sollicités pour avis et information sur le dispositif, il apparaît qu'ils n'ont à aucun moment jouer de rôle décisif dans le processus décisionnel. Dès lors que les AD constituent une modalité d'exécution des peines, et dans le contexte d'une absence en suisse de l'équivalent du juge de l'application des peines français, c'est le service administratif en charge de l'exécution des peines qui maîtrise le processus. Les entreprises privées ne semblent pas non plus avoir joué un rôle très important dans le processus décisionnel. Pour le service pénitentiaire, cela s'explique par le caractère réduit du projet suisse non constitutif d'un marché très attrayant. La généralisation du dispositif à l'ensemble de la Suisse pourrait générer des attitudes plus offensives de ces dernières.

En revanche, on notera l'originalité des modalités d'association de plusieurs cantons à l'expérience. Ces mécanismes d'association s'inscrivent dans une tradition de coopération intercantonale dans le domaine de l'exécution des peines. En effet, si l'autonomie cantonale en matière d'exécution des peines est très forte, des mécanismes d'harmonisation entre cantons, permettant notamment une mutualisation des moyens, ont été depuis longtemps engagés. Ainsi, la Suisse est divisée en trois zones : Suisse Romande, Suisse Centrale, Suisse Occidentale, au sein desquelles les cantons définissent via des concordats les principes d'une répartition des missions.

Dans le domaine de l'exécution des peines, en Suisse Romande, le Canton de Vaud assume la responsabilité des condamnés dangereux, celui de Neuchâtel celle des délinquants primaires, celui de Genève celle des condamnés à profil psychiatrique, etc. Ces ententes permettent à la fois une mise en cohérence des choix cantonaux et une rationalisation des moyens. Pour autant, chaque canton peut conserver dans ce système ses propres spécificités. Dans l'expérience des AD, on retrouve cette même logique même si la coopération engagée entre les six cantons ne s'inscrit pas dans le cadre d'un concordat. Ainsi, si un certain nombre de choix ont été communs (par exemple, le fait d'implanter la centrale de surveillance à Bâle), chaque canton a pu aménager l'expérimentation (certains retenant par exemple ce dispositif pour des peines maximales de six mois, d'autres d'un an).

Les autorités administratives, maîtres du projet, ont aussi entrepris des contacts avec les Etats déjà engagés dans des expériences de surveillance électronique. C'est essentiellement avec les Etats du nord de l'Europe, Suède, Pays-Bas, Grande-Bretagne et Allemagne que des relations ont été nouées. Ces contacts se sont souvent fait sur la base de réseaux de relations préexistantes et de façon informelle. Les relations les plus privilégiées ont été engagées avec la Suède et les Pays-Bas, même si comme on le constatera par la suite, les Suisses tendent aujourd'hui à s'éloigner des Pays-bas en raison de l'évolution des logiques présidant à l'utilisation de la surveillance électronique dans cet Etat. Pour nos interlocuteurs, le workshop organisé à Freiburg par l'Institut Max Planck en juin 2002 s'est en grande partie appuyé sur les réseaux partenariaux précédents à la fois en permettant leur élargissement (notamment aux pays du sud de l'Europe engagés plus récemment dans la mise en œuvre de ces dispositifs) et la confrontation sur un plan scientifique de leurs expériences.

2. La stratégie de mise en œuvre de l'expérimentation

L'introduction de la surveillance électronique s'est faite avec prudence dans le Canton de Vaud. L'autorité administrative a pris un ensemble de précautions pour éviter les risques de rejet par l'opinion publique et les professionnels de la justice du dispositif. Cette prudence s'est exprimée à plusieurs niveaux :

- D'abord dans le choix de l'entreprise privée. L'autorité administrative vaudoise a choisi l'entreprise BI pour l'étendue de son expérience aux Etats-Unis et afin d'éviter tout problème technique. De ce point de vue, le choix semble validé a posteriori par l'absence de toute défaillance technique pendant la première phase de l'expérimentation ;

- Ensuite, dans l'organisation d'une véritable campagne d'information (Télévision, radio, presse) de l'opinion publique sur les caractéristiques et le sens de la surveillance électronique. Ce même travail a aussi été engagé en direction des magistrats du Canton (Cf infra) ;

- Le choix a aussi été réalisé d'une expérience restreinte. Ainsi, si techniquement le service pénitentiaire a les moyens de placer en simultané 50 personnes en AD sous surveillance électronique, il a été décidé de ne pas aller au-delà de 25 bracelets. Le directeur des services pénitentiaires formule ce choix dans les termes suivants : "Partir petit aide à faire accepter le dispositif". L'objectif est de banaliser progressivement le recours à la surveillance électronique. La patience est stratégique.

- Enfin, la prudence est aussi de mise dans le choix des personnes placées sous surveillance électronique. Si juridiquement, aucun critère d'exclusion n'a été fixé, notamment en fonction de la nature de l'infraction, il apparaît de façon évidente que ce critère intervient dans la pratique. Ainsi, les services pénitentiaires vaudois excluent du dispositif les délinquants sexuels ou les personnes condamnées pour violences. Là encore, cette exclusion intervient pour favoriser l'acceptation du dispositif. Elle apparaît pour le directeur des services pénitentiaires comme une "condition de la réussite, si l'on veut étendre à l'avenir le dispositif".

3. Le cadre de l'évaluation de l'expérimentation

La tradition d'expérimentation que l'on a évoquée en Suisse s'accompagne d'un effort systématique d'évaluation. Ainsi, cette dernière est obligatoire dans les cas où des cantons veulent mettre en oeuvre l'article 397 bis, al. 4. Si cette évaluation est généralement réalisée au niveau fédéral, les cantons concernés peuvent aussi la compléter par leur propre dispositif d'évaluation. Ainsi, dans l'expérimentation des AD, la majeure partie de l'évaluation scientifique a été confiée à un bureau d'étude zurichois chargé de suivre l'ensemble de l'expérience dans les cantons pilotes.

Cependant, le canton de Vaud se caractérise dans ce domaine par une réelle originalité engagée à l'occasion de l'expérimentation des Travaux d'Intérêt Général (TIG) commencée en 1990. Ainsi, à cette occasion, les services pénitentiaires du Canton de Vaud ont demandé à l'Institut Scientifique de Police et de Criminologie (Faculté de droit) de l'Université de Lausanne une évaluation randomisée du dispositif. Cette évaluation reposait sur le principe d'un tirage au sort des candidats à un TIG. L'objectif est d'éviter une évaluation qui reposerait sur une sélection préalable des personnes orientant les résultats de l'évaluation. La procédure de tirage au sort permettait de différencier deux groupes de condamnés (ceux retenus pour les TIG, ceux non tirés au sort) pour ensuite évaluer de façon comparative leur perception des conditions de l'exécution de leur peine. Les buts de cette évaluation étaient donc de pouvoir comparer sans biais les effets et les conséquences des deux formes d'exécution sur des

groupes semblables et de vérifier si les hypothèses validées lors de l'introduction du travail d'intérêt général dans le canton étaient confirmées dans ce nouveau mode d'exécution. De cette première expérience a été dégagé un enseignement paradoxal. En effet, il est apparu que le fait pour les personnes concernées d'avoir exécuté leur peine sous la forme d'un TIG ou d'une incarcération n'avait finalement aucune conséquence sur leur situation socio- professionnelle. Ce résultat tordait déjà le cou à des représentations dominantes. Mais dans le même, on notait un impact considérable du mode d'exécution de la peine sur la représentation par le condamné de sa peine, du système de justice et de l'autorité en général. Ainsi, 80 % des personnes ayant exécuté leur peine sous la forme d'un TIG exprimait une vision positive de la peine prononcée à leur encontre, de ses conditions de mise en œuvre et du fonctionnement de la Justice. La proportion était exactement inversée dans le cas d'une peine exécutée sous la forme d'une incarcération. Ainsi, c'est plus fondamentalement le rapport de la personne à la justice, à la société et aux institutions qui est modifié par les caractéristiques des modalités d'exécution des peines373. La richesse de ces enseignements a conduit les autorités

administratives du Canton de Vaud à renouveler la même commande à l'Université de Lausanne à l'occasion de l'expérience des AD. Les résultats ne seront cependant connus qu'en 2004.