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Le réseau d’irrigation villageois et inter-villageois de la Gordolasque : Belvédère un terrain façonné par un tissu hydraulique immanent au « château d’eau » de la vallée

Première partie : les dynamiques locales autour de la gestion de l’eau d’irrigation : rapports Hommes/ Milieu

Chapitre 3- Les aménagements hydrauliques dans la vallée de la Vésubie entre gestion communautaire et interventions publiques

C- Le réseau d’irrigation villageois et inter-villageois de la Gordolasque : Belvédère un terrain façonné par un tissu hydraulique immanent au « château d’eau » de la vallée

de la Vésubie

Comme le démontre le schéma du réseau d’irrigation de Berthemont, le canal principal qui prend sa naissance sur des falaises difficiles à percer par les anciens met en exergue un savoir et un savoir-faire communautaires ancrés dans des modes traditionnels de gestion de l’eau. La primauté de l’eau irrigation dans les pratiques agricoles dans l’économie locale montagnarde conservée jusqu’aux limites du XIX ème siècle a exigé la construction d’un réseau d’irrigation performant faisant face à la complexité topographique du hameau. La canalisation des eaux depuis le vallon de l’Espgliard pour arroser les zones situées en aval du Bethemont ont nécessité la construction d’une partie du canal sur 300 mètres en creusant les falaises des Granges de Palé. De même une construction en bois est demeurée nécessaire surtout au niveau du tronçon du canal passant par le rocher de l’Aigle. L'architecture du canal reste le témoin d’un savoir-faire communautaire et d’une grande adaptabilité de l'homme qui a su gérer les complexités du milieu écologique et social. Au plan architectural, les principes techniques de la construction du canal de Berthemont ressemblent en grande partie aux caractéristiques des « bisses suisses ».

Le réseau d’irrigation au niveau de la colline de Cailla se partage entre deux principaux canaux: un qui dessert les terrains des Condamines sur une superficie de 15 ha (Compain, pp58) et le deuxième qui se divise en quatre canaux secondaires afin d’arroser une surface de 40 ha irriguée correspondant aux terrains de l’aval du chemin de la Madone de Bethemont les Bains. Par

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ailleurs, la régression des pratiques agricoles actuelles n’a pas influencé le bon fonctionnement du réseau d’irrigation de Berthemont jusqu’à nos jours. La gestion collective saisonnière du réseau assurée par les usagers organisés en association syndicale a permis son maintien et par ce biais la préservation d’un patrimoine hydraulique fragile. L’adoption de nouvelles techniques d’irrigation par les adhérents de l’association met en lumière une intelligence communautaire inhérente au maintien de ce patrimoine commun qui parvient à concilier tradition et modernité en matière de la gestion sociale et technique du réseau d’irrigation de Berthemont. Nous reviendrons en détail sur ce point dans les parties qui suivent.

1er carte : ADAM,la situation topographique de la Gordolasque, 2ème carte : Source : Étude identification de la

commune de BELVÉDÈRE, réalisée par Jérôme Berenguer et Amélie Cabuzel, Septembre 2003

Le village de Belvédère de même que l’ensemble du territoire hydraulique de la Vésubie se caractérise par une gestion spatiale et hydraulique atypique en concordance avec le degré d’adaptabilité des communautés de la Gordolasque à la complexité de leur milieu. La mise en place d’un réseau d’irrigation dense est resté inéluctable aux fondements de l’économie montagnarde des collectivités locales et cela depuis la période médiévale. En effet, les anciens

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ont construit des canaux d’irrigation tout au long de la rivière de la Godolasque, ce qui a permis aux Belvédérois de se distinguer, par leur autonomie hydraulique, des autres villages avoisinants tels que Roquebillière et la Bollène Vésubie.

Chaque canal de ce réseau hydrographique est chargé d’alimenter un ou deux quartiers dans le village. Cette gestion spatiale des aménagements hydro-agricoles dépassent parfois le cadre territorial de Belvédère en approvisionnant d’autres villages, à savoir Roquebillière et la Bollène. Ainsi tous les quartiers sont ravitaillés par l’eau du canal. Ils se dotent de multitples usages qui touchent particulièrement à l’irrigation des parcelles et des jardins et à l’alimentation en eau domestique. Jusqu’à nos jours certains quartiers de la commune n’ont toujours pas accès à l’eau potable tel que le quartier des Adrès; néanmoins le réseau d’irrigation y joue un rôle incontournable.

Grâce à la Gordolasque, Belvédère a toujours eu un poids non négligeable sur le territoire de la Vésubie. Il est parfois considéré comme le « château d’eau » de la région. En revanche, l’abondance de ses ressources en eau sont confrontées à une pénurie importante d' autres ressources économiques telles que le bois ou les ressources forestières. Nous pouvons citer un exemple révélateur de la Bollène qui jouit de ressources forestières indispensables à l’équilibre de son économie et à son autarcie malgré un manque d’eau assez flagrant.

La particularité de ce village est dans son mode de gestion et de partage des eaux de la Gordolasque par rapport aux autres villages susmentionnés. L’exemple des deux canaux intercommunautaires de la Fount et du Véseou est révélateur50. Le canal de la Fount alimente jusqu’à nos jours une partie de Belvédère et de Roquebillière-le-vieux. Le réseau d’irrigation du Véseou supérieur et inférieur ravitaille certains quartiers de la Bollène et les parties de basse altitude de Belvédère ainsi qu' une autre partie de Roquebillière. Bien que les transformations dans les modes de gestion de l’eau d’irrigation dans le village et dans l’ensemble de la vallée de la Vésubie ont influencé bel et bien le statut de l’eau dans les modes économiques actuels de la vallée et aussi le maintien spatial du réseau d’irrigation, les communautés locales sont inévitablement restées attachées à leur patrimoine hydraulique notamment à l’entretien du réseau

50 Quelques documents d’archives placés dans les annexes démontrent clairement l’autonomie hydraulique du

village de Belvédère et la particularité de sa gestion de l’eau qui reste autonome vis à vis des autres systèmes de gestion de l’eau d’irrigation dans la Vésubie.

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d’irrigation gravitaire. Quelques canaux ont cependant subi les conséquences des ruptures qu’ont connues les systèmes irrigués mais la plupart du réseau hydrographique est maintenu par les associations syndicales qui y jouent un rôle prépondérant.

L’attachement communautaire à ce patrimoine ne se traduit pas seulement dans le maintien du réseau d’irrigation bélvédérois mais aussi dans le sentiment de l’appropriation des communautés de Bélvédère des eaux de la Gordolasque. Le refus des collectivités locales de l’installation de tout type de compteurs d’eau imposés/proposés par l’Union Européenne de même que pour quelques villages de la Vésubie illustre clairement l’attachement de ces communautés à la propriété collective des eaux de la rivière de la Gordolasque. Cette dernière prend son eau au lac Long, qui constitue aussi une des grandes sources du village. La prospérité de ce village qui nous rappelle la vallée d’Anougal, a attiré depuis des siècles les convoitises des différents acteurs locaux, régionaux et même nationaux. Le lien que nous faisons entre ces deux exemples peut paraître au départ difficile à reconnaitre dans cette analyse; néanmoins le Makhzen comme l’État en France ont été toujours attirés par l’exploitation des ressources en eau des massifs montagneux considérées comme non épuisables.

Par son intervention qui a eu des répercussions sur la régression des pratiques agricoles et l’accélération des ruptures qu’ont connues les modes de fonctionnement et de gestion de l’eau, l'EDF a trouvé dans le terrain de Belvédère les conditions idéales pour l’exploitation des eaux de la Gordolasque en faveur de la production de l’énergie hydroélectrique. Naturellement, cette intervention n’a pas été acceptée facilement par les communautés de Belvédère. L’EDF a du se plier à appliquer les conditions négociées avec les communautés locales qui ont fait preuve d’une grande capacité d’intelligence et d’adaptation pour sauvegarder au moins le maintien de leur réseau d’irrigation demeure un patrimoine ancestral à mettre en valeur. Nous reviendrons dans les parties suivantes sur ce point déterminant qui a marqué l’histoire hydraulique non seulement de ce village mais aussi de la région entière. Nous pouvons également signaler l’ampleur des aménagements hydrauliques installés par l’EDF, particulièrement au pied du Parc de Mercantour Ils justifient également la raison pour laquelle la mise en place de ce type d’aménagement a été destinée non pas au développement de l’agriculture irriguée mais désormais à la production de l’énergie hydraulique. Le statut de l’eau d’irrigation est passée au second rang.

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D- Le réseau d’irrigation villageois et inter-villageois de Belvédère entre maintien et

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