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Les interventions de l’EDF dans la gestion des eaux de la Vésubie et de la Gordolasque, et la régression des pratiques agricoles montagnardes :

Chapitre IX: Les métamorphoses sociopolitiques et économiques ambivalentes des zones de montagne de l’arrière-pays niçois au

1- Les interventions de l’EDF dans la gestion des eaux de la Vésubie et de la Gordolasque, et la régression des pratiques agricoles montagnardes :

Au fil des siècles, dans ces zones de montagne de l’arrière-pays niçois, l’eau d’irrigation s’est toujours avérée comme étant un élément éminent à l’équilibre des différentes structures hydrauliques, politiques et surtout sociales des pays vésubiens. C’est à la fois les interactions et les interférences entre les diverses organisations hydrauliques, territoriales et sociales en matière de la gestion collective de l’eau qui ont permis aux groupes sociaux de parvenir à assurer leur cohésion et leur équilibre établi entre l’Homme et son Milieu. Ce n’est qu’à travers les interventions exogènes et les dynamiques internes et externes du début du XXème siècle, que les usages de l’eau d’irrigation vont connaître une nouvelle orientation, l’eau agricole n’étant plus une source de survie des populations locales.

Dans cette zone de montagne, l'abondance de l'eau dans la Vésubie a eu un effet considérable sur le choix du développement de la production de l’énergie hydroélectrique. En effet, les immixtions de l’EDF dans les eaux de la Vésubie et de la Gordolasque vont contribuer à des transformations fondamentales qui ont pour effet la régression des pratiques agricoles. En revanche, l’utilisation de l’énergie hydroélectrique par les communautés villageoises est antérieure aux interventions de l’EDF. Ce sont des usines traditionnelles remontant surtout au XIX ème siècle et appartenant généralement à la commune notamment celle de Belvédère et de Roquebillière, qui ont permis de turbiner quelques modestes kw/h afin de faire face aux nouveaux défis imposés par la révolution industrielle et les systèmes de mécanisation.

Le déclin des pratiques agricoles qui ont toujours façonné l’espace vésubien suite à un aménagement hydraulique remarquable remontant à la période médiévale a permis la mise en place d' autres aménagements hydroélectriques à la fin du XIX ème siècle et a favorisé la généralisation de l’électrification au profit surtout des zones de plaine. La logique étatique basée sur le développement des zones de plaine au détriment de celles de montagne se traduit aussi par les premiers aménagements hydroélectriques mis en place dans les différentes vallées de Nice et de la région des Alpes Maritimes en général. Dans le cadre des approches

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classiques adoptées par les logiques publiques en matière de gestion des ressources en eau, l’État et ses services ont toujours vu en ces zones montagnardes un simple fournisseur d’eau destiné au développement économique des plaines.

Le potentiel de ces zones en grandes superficies irriguées a permis d’asseoir une agriculture à haute valeur ajoutée notamment dans les régions méditerranéennes dépendantes de pénuries d’eau particulièrement dans les périodes estivales. Cela a favorisé l’orientation de l’État vers le choix technique de l’installation d'aménagements hydrauliques en exploitant au maximum les ressources en eau des massifs montagneux au profit des centres urbains et agricoles des plaines. La production de l’eau industrielle et agricole a été pour les services du génie rural et des ingénieurs étatiques un choix crucial au développement économique du pays sans pour autant accorder de l’importance aux questions éminentes relatives aux « amnésies sociales » créées par les surexploitations des ressources en eau par ces politiques purement économiques et leurs conséquences néfastes sur l’équilibre écologique et social qui en résulte. Nous rappelons que ce n’est qu’en 1964, avec la première loi sur l’eau que le législateur a mis en avant la question environnementale alarmante générée par les approches classiques et purement économiques adoptées par l’État et ses services en matière de la gestion de l’eau. C’est pourquoi nous revenons en détail, dans notre troisième partie, sur ces questions environnementales et sociales qui sont à nos yeux incontournables quant à la gestion équilibrée et intégrée des ressources en eau.

L’émergence de la production hydroélectrique dans la région de Nice date de 1866. La deuxième moitié du XIX ème siècle s’est distinguée par l’usage du potentiel hydraulique des différentes rivières des Alpes Maritimes en vertu de la production de l’énergie perçu inéluctablement comme un signe de progrès économique des villages et des centres urbains de la région. L’industrialisation des eaux des vallées de la région a commencé par la première installation de l’usine hydroélectrique du Pont du Loup poursuivie par celle de Siagne (1886), de Plan du Var (1896) et de la Mescla (1897). Ces aménagements vont remplacer bel et bien la primauté de l’eau destinée à l’irrigation et les pratiques agricoles.

Notre objectif est d’analyser les impacts des dynamiques externes générées par les orientations des politiques publiques représentées par des sociétés nationalisées comme l’EDF et d’autres privées, avec quelques restrictions juridiques imposées par l’État vers la production hydroélectrique au détriment des pratiques agricoles et de la gestion collective de

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l’eau d’irrigation dans la Vésubie en créant des ruptures entre deux logiques communautaires et étatiques. La connaissance des aspects historiques, socioéconomiques et politiques nous est nécessaire dans ce contexte pour comprendre l’évolution de la gestion sociale et technique des systèmes irrigués. L’aménagement de l’espace hydraulique de la Vésubie ainsi que d’autres zones de l’arrière-pays niçois y compris les vallées de la Roya et du Var demeurent inéluctables pour les agents de l’État en généralisant les systèmes d’électrification à la fois dans les campagnes mais aussi dans les villes, notamment Nice.

Ainsi, à côté des entreprises souvent privées ou communales chargées à la fin du XIX ème siècle, de produire quelques kw/h d’électricité, c’est la nationalisation de l’EDF, après les deux guerres et leurs effets dévastateurs sur les structures hydrauliques et sociopolitiques des communautés vésubiennes, qui va bouleverser l’évolution de l’administration locale de l’eau d’irrigation par son intervention massive dans la gestion des systèmes irrigués :

« Ce statut lui vient (EDF) de la loi de nationalisation de 1946 qui prévoyait dans son article 2 que « la gestion des entreprises nationalisées d’électricité est confiée à un établissement public national à caractère industriel et commercial dénommé « Electricité de France (EDF), service national ». » (Willman Emmanuel, 7)

L’exploitation des eaux des rivières de la Vésubie ainsi que d’autres des Alpes Maritimes pour la production de l’énergie hydro-électrique a été un choix crucial des services administratifs pour le développement économique. C’est l’eau industrielle, régie par la loi du 16 octobre 1919, qui prendra le dessus dans la vallée de la Vésubie au détriment de l’eau agricole. Ce n’est plus l’eau d’irrigation et l’agriculture irriguée qui constituent le seul vecteur du développement économique mais c’est surtout l’eau industrielle et l’eau urbaine qui demeure le socle des différentes dynamiques socioéconomiques locales et globales. Des aménagements importants ont été envisagés dans la vallée de la Vésubie par les services administratifs afin de parvenir à satisfaire les besoins locaux et régionaux en matière d’énergie. Il est vrai que la capacité de la production en énergie, régie par le législateur, des deux rivières de la Vésubie et de la Gordoalsque, est modeste par rapport aux autres installations des microcentrales de la région telle que les usines de la Durance et de Fréjus, néanmoins l’exemple de la Vésubie en matière de production hydroélectrique reste révélateur. Si le début du XX ème siècle est caractérisé par la mise au second plan des zones de montagne surtout celle de l’arrière-pays niçois en matière des politiques de développement de l’agriculture irriguée et du recul de l’État à l’échelle locale pour asseoir une agriculture

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montagnarde à haute valeur ajoutée, le choix économique des politiques étatiques est orienté principalement vers la production de l’énergie hydroélectrique qui sera le secteur favorable des services administratifs dans ces zones de massif montagneux. Dans cette optique, nous accordons une attention particulière à ces dynamiques sociopolitiques et économiques issues des interventions publiques dans les systèmes de gestion de l’eau particulièrement dans la Vésubie tout en mettant en valeur l’exemple de la voisine de la Roya. Cette dernière, par son histoire politique particulière61 a connu des interventions hydrauliques précoces des entreprises privées et publiques qui ont eu des conséquences non négligeables sur le déclin partiel des pratiques agricoles.

2- De l’eau agricole à l’eau industrielle : quel choix pour le développement local

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