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Le canal des Condamines et l’évolution de la gestion territoriale des aménagements hydrauliques

Première partie : les dynamiques locales autour de la gestion de l’eau d’irrigation : rapports Hommes/ Milieu

Chapitre 3- Les aménagements hydrauliques dans la vallée de la Vésubie entre gestion communautaire et interventions publiques

A- Les aménagements hydrauliques : mobilisation, transport et organisation

3- Le canal des Condamines et l’évolution de la gestion territoriale des aménagements hydrauliques

Le canal des Condamines constitue le troisième grand canal de Pélasque, situé sur la rive gauche des Granges de la Brasque. Il fait 3,5 km de longueur dont 700 mètres de tête morte. Sa prise d’eau se trouve à 520 m d’altitude. Seulement 2,8 km2 de superficies sont irrigables par le canal. En prenant en considération le principe de l’étagement ou de ce nous appelons stratification territoriale des aménagements hydrauliques, ce canal dessert les zones de basse altitude de Pélasque. Il irriguait autrefois huit quartiers dont le quartier de Pataros. Désormais le canal des Condamines n’arrose plus les terrains qui se trouvent au-dessous de ce quartier. Il s’agit également du quartier de la Pountcha dont les terrains sont actuellement non arrosables. En revanche, de nos jours les quartiers desservis par le canal sont : le quartier du Meurrier, des Condamines43, le plus grand quartier irrigué, ensuite le canal se divise en deux branches ravitaillant les quartiers du Siscles, le Clot, Soustecamines et la Péya 2 avant de rejoindre la rivière de la Vésubie en bas.

43 Les quartiers qui se trouvent au-dessus sont arrosés par le canal de la Sarse qui irrigue, comme nous l'avons

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Nous avons pu suivre les traces de l’ensemble des quartiers irrigués par ce canal dans un acte de l’association des Condamines datant de 190244.

S’agissant de l’évolution de la répartition des eaux d’irrigation de ce canal, il sera opportun pour nous d’analyser les dynamiques actuelles autour de la gestion collective de la ressource dans la deuxième partie. En revanche, les éléments techniques et d’aménagements du territoire hydraulique des Condamines sont importants, dans ce cadre, pour l'appréhension des transformations non seulement sociales mais aussi techniques qui ont affecté la gestion du réseau d’irrigation gravitaire. En effet, la primauté des pratiques agricoles et leur importance dans la vie sociale et économique des communautés villageoises sont toujours gravés dans le processus de l’aménagement du territoire hydraulique. L’organisation autour de la répartition des eaux du canal par quartier, le nombre de ces périmètres irrigués et les pratiques alternatives liées à l’irrigation en rotation entre le jour et la nuit s’avèrent primordiaux pour la perception de l’adaptabilité de l’Homme à son milieu afin d'assurer la cohésion sociale des groupes sociaux. Avant de mettre en perspective les différents quartiers irrigués du canal au début du XX ème siècle, il nous apparait primordial d'observer les pratiques agricoles de cette époque qui n’ont pas encore connu de bouleversements socio-économiques néfastes dus aux ruptures qu’a connues l’usage agricole dans cette zone de montagne. L’eau d’irrigation des Condamines et des autres réseaux hydrographiques de la Vésubie n’a pas perdu au cours de cette période sa primauté dans la vie économique, sociale et politique des communautés villageoises. C’est pourquoi la répartition minutieuse des eaux du canal le jour et la nuit, révélée par le document ci-dessus met en exergue la dépendance des Sociétés d’Arrosages au développement de l’agriculture irriguée solidaire pour assurer au maximum leur autarcie et leur durabilité.

Les quartiers irrigués par le canal des Condamines en 1902 sont au nombre de 16 : le Pouncia, le Loost, le Saint Jaune, le Moulin, le Capelas, le Merrountoin, La Broin, le Massiera, l’Eisclas, l’Esclos, le Canabiers, le Clot, le Prioulou, le Cobla, le Maboussina et le SotoCouni. Le tour d’eau a été établi par les usagers et les ayants droit sur une rotation de 8 jours soit 192 d’heures d’irrigation. Un système de répartition que nous détaillerons dans la deuxième partie repose sur

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les principes de l’équité en matière de distribution de l’eau entre les arrosants du canal en alternance entre une irrigation le jour et une irrigation la nuit. Pour parer à la complexité du milieu écologique le recours à l’irrigation intensive demeurait un moyen inéluctable à l’équilibre des structures sociales et hydrauliques. Désormais ce système de répartition a connu quelques changements car l’irrigation devient de plus en plus libre. Elle ne se pratique actuellement que le jour. Les droits d’eau qui sont à l’origine de l’ordre de 192 heures d’irrigation passent à 81 heures dans un tour d’eau de 8 jours.

La particularité de ce canal est aussi dans la répartition et l’attribution des droits d’eau et leur rapport avec l’entretien du réseau et des aménagements hydrauliques mis en place par les anciens et maintenus actuellement par les membres de l'association syndicale des Condamines. L’entretien du réseau gravitaire du canal se fait de nos jours par les usagers de l’eau en fonction des droits d’eau de chacun au prorata du travail à fournir dans le canal. Si un irrigant dispose d’un droit de quatre heures d’irrigation dans le tour d’eau de huit jours, il est engagé à fournir 16 heures de travail d’entretien, de réhabilitation des aménagements hydrauliques du canal, un droit d’une heure d’irrigation étant l’équivalent de quatre heures de travail. Il est à noter que ces droits sont saisonniers de même que pour l’ensemble des canaux desservis par la rivière de la Vésubie à l’exception des canaux de Belvédère qui jouissent d’un mode de fonctionnement différent vu l'approvisionnement qui se fait d’une façon autonome depuis la rivière de la Godolasque.

Devant la perte progressive de la mémoire locale, les communautés villageoises voient toujours dans le maintien territorial du réseau gravitaire un moyen de préservation du patrimoine hydraulique qui ne cesse de se fragiliser par la diminution des usagers de l’eau. Par ce biais, l’ASA des Condamines met en œuvre des règles strictes en matière de réhabilitation et d'entretien du réseau que chaque adhérent est obligé de respecter. Une taxe d’entretien est obligatoire pour les 81 adhérents actuels répartis entre résidents principaux et résidents secondaires. Les règles établies par les collectivités villageoises des Condamines sont strictes, mais également flexibles car les arrosants qui ne veulent pas bénéficier de leurs droits d’eau ont la possibilité d'y renoncer en ne payant que la moitié de la taxe d’entretien ou de cotisation annuelle. Par contre ces adhérents n’auront pas le droit de bénéficier de l’eau pour une durée de 5 ans renouvelables. Si un arrosant ne veut pas bénéficier de son droit d’eau pour une période donnée, les membres d’association l'avertissent qu’en fonction du règlement intérieur de l’ASA cette période est

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limitée à 5 ans. Autrement dit, si l’arrosant ne jouit pas de ses droits d’eau en 2010 il n’aura le droit de reprendre ses droits d’usages de l’eau du canal qu’en 2015; toute utilisation de l’eau du canal dans cette période sera systématiquement interdite par l’ASA des Condamines et des sanctions régies par la loi seront appliquées. Le rôle d’eau de ce canal comme nous allons le voir dans la deuxième partie est établi par l’ASA pour une durée fixe de 5 ans. De ce fait, la cotisation de l’entretien du réseau est inaliénable au droit d’eau lié à la terre.

Ainsi s'exerce la volonté des acteurs locaux de maintenir spatialement les aménagements hydrauliques en collaboration avec les différents acteurs régionaux y compris les communes, le conseil général et régional et les départements d’agriculture pour palier à un certain nombre de contraintes imposées à l’échelle de la gestion mais surtout à celle financière dont les ASA restent dépendantes. Si l’eau d’irrigation dans cette zone n’est plus un vecteur de développement de l’agriculture irriguée et de la survie de la population locale, elle demeure un « bien fragile » qui exige des règles bien adaptées aux complexités des contextes micro-locaux et à l’évolution des systèmes de gestion de l’eau. La concurrence sectorielle entre les différents usages de l’eau met l’eau d’irrigation au troisième rang après l’eau potable et l’eau hydro-électrique. En contrepartie, malgré la diminution des pratiques agricoles et l’absence de volonté politique en matière de stratégies étatiques relatives au développement de l’agriculture irriguée dans cette zone de montagne, les arrosant organisés en associations syndicales prouvent leur attachement à leur patrimoine hydraulique par l’entretien constant du réseau et des aménagements qui rappellent une histoire hydraulique florissante.

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