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Le canal de la Cerisière et de la Sarse, d’une vocation agricole à une vocation patrimoniale : les nouveaux usages du réseau

Première partie : les dynamiques locales autour de la gestion de l’eau d’irrigation : rapports Hommes/ Milieu

Chapitre 3- Les aménagements hydrauliques dans la vallée de la Vésubie entre gestion communautaire et interventions publiques

A- Les aménagements hydrauliques : mobilisation, transport et organisation

2- Le canal de la Cerisière et de la Sarse, d’une vocation agricole à une vocation patrimoniale : les nouveaux usages du réseau

d’irrigation gravitaire

Le canal de la Cérisière prend naissance dans le vallon du Riou de Lantosque. Il est alimenté par deux prises d’eau : la première provient du vallon de Riou et la deuxième du Figaret. En franchisant le versant droit du vallon, il passe par Signoli, et en contrebas du Colle Bassa, il obtient l’apport du canal neuf, longe les Caussinières ouest, traverse Muret, La Cabane, Cabray, Pauly, Campauri, la Cerisière et le Pous, en amont de Pélasque-Supérieur (Otho Alain, Revue du Patrimoine du haut pays, pp : 26). Il délaisse toute la région du flanc du vallon de Riou de Lantosque depuis les Cassinières jusqu’à Castellet dans le vallon de Figaret : Campauri, Libaguet, le Seuil, le Terron, Pélasque-Supérieur :

« La prise d’eau est située au vallon de Lantosqua le Rio, 2 ème prise prend l’eau du vallon de Figaret, le 1er quartier irrigué c’est le Consignira, ensuite conpaouri, en bas la Cerisière puis la

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Villet, puis il descend pour rejoindre l’autre canal du Seuil qui n’existe plus, il est abondonné, le Terron, la Salep, le Cayrou » (Entretien sur le vif avec le président de l’ASA de la Cerisière, terrain de Pélasque en 2012)

Plan périmétral du canal de la Cerisière d’après le plan cadastral

De même que pour l’ensemble du réseau d’irrigation de la Vésubie dont les origines restent incertaines, l’absence de traces écrites sur les débuts de ces constructions nous oriente vers la mémoire locale qui est en cours de perdition et vers le récit oral afin de suivre les traces de sa mise en place. Nous estimons que le début graduel de sa mise en place par les Sociétés d’Arrosage remonte bien au Moyen-Âge. Ce réseau a connu une évolution perpétuelle du Moyen- Âge jusqu à la fin du XIX ème siècle au cours duquel l’agriculture irriguée a connu un développement intensif pour parvenir à l’autosuffisance alimentaire d’une population en croissance démographique. L’importance du réseau d’irrigation à Pélasque y compris celui du canal de la Cerisière illustre la nécessité primordiale de l’aménagement hydraulique pour assurer la durabilité des groupes sociaux. Un réseau d’irrigation creusé à même la terre et les aménagements perpétuels entrepris par les irrigants sur le réseau afin de palier aux problèmes d’infiltration et de perte d’eau ne remontent pas à une date récente. Une organisation collective

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autour de la gestion du réseau à la fois à l’échelle sociale et technique a permis le maintien de quelques canaux malgré le dépeuplement qu’a connu la vallée de la Vésubie.

Le canal de la Cerisière par l’importance de son rôle d’eau, préalablement fixé par les aïeux, qui dépasse 28 jours de tours d’eau, démontre la primauté des pratiques agricoles dans l’économie montagnarde vésubienne. 732 heures d’irrigation est la durée à laquelle les irrigants d’autrefois doivent se plier avant que leur tour d’eau n'arrive. Les arrosants n’ont le droit d’irriguer qu’une fois par mois. Ce tour d’eau, qui reste non figé en fonction du nombre d’arrosants et du débit d’eau du canal, peut atteindre 30 jours comme autant il peut baisser jusqu'à 27 jours. Désormais les heures d’arrosage de ce canal sont passées à 600 heures au lieu de 732 heures d’arrosage. La superficie irriguée couverte par le canal de la Cerisière dépasse 63 ha irrigués.

Devant la diminution des pratiques agricoles et le nombre des usagers, de nouveaux usages de l’eau s’imposent au canal notamment dans les périodes d’étiage au cours desquelles il sert non seulement à l’arrosage mais aussi à l’alimentation de la commune en eau potable. La transformation dans les usages des eaux du canal de même que ceux de l’ensemble des canaux de la Vésubie, par le passage d’une vocation agricole à une vocation patrimoniale, illustre l’attachement communautaire au maintien du réseau d’irrigation traditionnel inculqué dans l’histoire des communautés de la Vésubie. Ladki dans son mémoire sur les externalités de l’irrigation gravitaire dans le Sud Est de la France, met en exergue les métamorphoses qu’a connues le réseau d’irrigation gravitaire des zones de montagne surtout celles des Languedoc- Roussillon et de la région PACA. Ces transformations particulièrement dirigées vers le maintien d’un patrimoine hydraulique territorial, architectural, social et aussi culturel permettent une appréhension approfondie des rôles des associations syndicales et les différentes externalités des canaux d’irrigation inscrites dans une logique de contractualisation et de gouvernance de l’eau :

« Certains canaux d’irrigation sont des ouvrages très anciens, datant parfois du XII ème siècle…

qui témoignent de l’histoire hydraulique, et par là même économique et sociale d’un territoire. Ils constituent plus généralement un patrimoine à la fois architectural, historique et culturel. Ces ouvrages font partie du patrimoine d’un territoire, et sont considérés comme tel par les populations vivant à proximité des canaux, ou encore par les tenants d’un tourisme rural qui exploite cette richesse dans le cadre d’activités de loisir. Il existe de multiples déclinaisons locales de ce patrimoine, selon les territoires et leur culture. Ces déclinaisons peuvent se faire dans les ouvrages hydrauliques associés aux canaux, comme c’est le cas dans la région de plaine de Cavaillon, dont nous avons exposé quelques exemples ci-dessus. Il peut aussi les canaux

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d’irrigation en eux-mêmes, comme le reflète l’histoire de l’hydraulique agricole des montagnes ardéchoises, où est pratiquée depuis des siècles l’irrigation par béalières22 [Chambre d'agriculture PACA, 2000]. Les canaux avaient également pour vocation d’alimenter de nombreuses sources et fontaines de villages de montagne, dont certaines sont toujours en activité (village de Braux depuis le canal de Braux, village de Jausiers depuis le canal du Clos de Gueynier) [Chambre d'agriculture PACA, 2000].

Si certains ouvrages du patrimoine font l’objet d’une mobilisation pour leur sauvegarde, comme c’est le cas pour les béalières, d’autres sont abandonnés ou en passe de l’être, souvent du fait de l’incapacité pour les ASA qui en ont la charge d’assumer les coûts très importants de pérennisation et de valorisation de ces ouvrages. C’est le cas des canaux de montagne des Alpes de Haute-Provence, qui comptaient en 1934 dans le département près d’une quinzaine de moulins à huile et plus de soixante moulins à farine. » (Ladki, pp 73)

Les transformations qu’ont subies les pratiques de l’irrigation dans la région de la Vésubie dues aux événements précités ne touchent pas seulement au déclin de l’agriculture irriguée montagnarde mais aussi aux mutations territoriales, architecturales, sociales, structurelles et institutionnelles relatives à la gestion du réseau d’irrigation. Cela ne cesse désormais de compliquer le rôle joué par les associations syndicales de Pélasque et généralement de la Vésubie à l’échelle du maintien du réseau d’irrigation gravitaire. De ce point de vue, ces structures associatives sont-elles aptes à maintenir la durabilité des canaux d’irrigation et ainsi toute la gestion sociale ancestrale de l’eau d’irrigation inculquée dans les règles communautaires des aïeux sachant que les types d’associations qui différent d’une ASL, ASA et Association loi 1901 peuvent déterminer le maintien de cette tradition d’irrigation séculaire ? La disparition spatiale non négligeable des réseaux d’irrigation gravitaire est-elle de la responsabilité des associations syndicales incapables de maintenir la durabilité et la gestion des canaux d’irrigation ou bien de celle, étatique, par la dépendance financière lourde des ASA qui ne peuvent garder une autonomie réelle en matière de la gestion du réseau ? Toutes ces questions trouveront une réponse tout au long de cette thèse.

En outre, le canal de la Sarse en faisant partie du réseau d’irrigation du bassin de Riou-Figaret est d’une longueur supérieure à 3448 mètres. Sa prise d’eau se situe à une altitude de 770 mètres. Il dessert une superficie de 117 hectares.

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Source : Les batailles de l'eau dans le Haut Pays Niçois : l'exemple des canaux d'irrigation de la Vésubie (XVe-

XXe siècles), A.Otho, « Les canaux du canton de Pélasque-Utelle », revue Patrimoines du Haut Pays, pp : 19

Il irrigue les différents quartiers42 qui se trouvent dans les zones intermédiaires entre le canal de la Cerisière et celui des Condamines. Ces quartiers desservis par le canal sont au nombre de cinq : quartier du Farget, de la Sarse, du Cognas, quartier de l’Aiguille, de Balmas bas. Il arrose jusqu’à la prise du canal de Condamine en constituant un étage territorial des canaux avec ceux de la Sarse et de la Cerisière. Ce deuxième canal principal de Pélasque partage les mêmes caractéristiques en matière de la gestion sociale de l’eau d’irrigation que celui de la Cerisière. En revanche, les métamorphoses relatives au système de tour d’eau, des types d’association mis en place et l’importance des travaux d’aménagements du réseau gravitaire sont différentes de ceux de la Cerisière. Le tour d’eau qui passe de trois semaines d’irrigation à une semaine par la diminution du nombre des usagers de l’eau, le choix de la préservation du type d’association syndicale libre malgré ses exclusions des subventions étatiques relatives à la promotion des aménagements hydrauliques et la modestie des travaux d’aménagements à l’échelle du réseau gravitaire du canal qui sont indissociables des cotisations des adhérents de l’association sont caractéristiques de la gestion de ce réseau par rapport à celui de la Cerisière.

En revanche, les transformations et les changements, les continuités et les discontinuités à l’échelle de la gestion collective des systèmes irrigués de ces deux canaux marqués par

42 Dans ce contexte nous déployons parfois les termes de quartiers irrigués au lieu de périmètres irrigués en

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l’orientation vers des nouveaux usages du réseau d’irrigation traditionnel sont partagés entre le canal de la Sarse et la Cerisière. Afin d’assurer la durabilité du réseau à l’échelle spatiale et patrimoniale, les usagers de l’eau ont toujours trouvé dans le déploiement des stratégies vis-à-vis des différents acteurs de développement local et régional un moyen éminent à la sauvegarde de ce patrimoine local. La réorientation vers les nouveaux usages du réseau gravitaire de ces deux canaux et de ceux de la Vésubie surtout en matière d’alimentation en eau potable permet la consolidation de son statut à l’intérieur des communautés villageoises. Des coordinations entre les associations et la commune de Lantosque sont envisagées pour l’utilisation de ces deux canaux de Pélasque permettant d'amener l’eau jusqu’aux réservoirs destinés à l’alimentation de la commune en eau domestique. Les engagements de la commune par le payement des droits d’eau à l’association ou par la contribution effective dans l’entretien du réseau gravitaire est un moyen employé par les usagers de l’eau afin de parvenir à instaurer un équilibre en matière de la gestion de l’eau et des principes d’une « bonne gouvernance » locale de la ressource.

3- Le canal des Condamines et l’évolution de la gestion territoriale des aménagements

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