• Aucun résultat trouvé

Lors de la revue de la littérature, la question de la spécificité d’une adolescente consommatrice nous a conduits à explorer les travaux à la fois sur l’identité, le groupe de pairs et les rites de passage. Une notion a émergé de l’analyse de ces rites de passage: il s’agit de l’autonomie. Nous avons, au vue de la littérature, été en mesure de poser nos questions de recherche.

Pour répondre à ces questions, nous allons mettre en place une démarche de recherche dont la présente partie a pour objet de rendre compte.

Cette partie a pour objectif d’exposer la démarche empirique adoptée pour comprendre l’impact des variables centrales que nous avons mobilisées dans notre recherche, l’autonomie, la sensibilité à l’influence interpersonnelle des pairs et le degré d’intégration de l’adolescente dans son groupe de pairs, sur les éléments caractéristiques de l’achat et de l’utilisation, dans le domaine de l’apparence physique et plus spécifiquement du maquillage.

Le chapitre 6 sera consacré à la démarche de recherche proprement dite et nous permet de justifier les choix épistémologiques : utilisation du positivisme et de l’approche quantitative. Le cadre théorique ainsi que le corps d’hypothèses y sont présentés.

Au cours du chapitre 7, nous présenterons l’opérationnalisation des variables et nous

CHAPITRE 6 : POSITIONNEMENT EPISTEMOLOGIQUE DE

LA RECHERCHE, CADRE THEORIQUE ET CORPS

D’HYPOTHESES

Le chercheur, en quête de réponses à ses interrogations, se trouve confronté à des choix méthodologiques difficiles. Il doit mener une réflexion fondamentale pour répondre à deux questions centrales. La première porte sur la stratégie de sa recherche. Il s’agit de s’interroger et de justifier les choix épistémologiques. La seconde porte sur la stratégie d’accès au réel (Wacheux, 1996). Elle consiste à choisir « les outils et les techniques qui vont l’aider dans la réalisation de son programme » (Wacheux, 1996, p.87).

La première section de ce chapitre portera sur l’objet de la recherche et la situera dans le positionnement épistémologique retenu, à savoir le positivisme. Ainsi que nous l’avons présenté dans la deuxième partie de ce travail, nous avions dans un premier temps, et en phase exploratoire, du fait des connaissances limitées sur le domaine de recherche, mis en œuvre une démarche qualitative (réalisation d’entretiens individuels) pour comprendre la notion et le concept d’autonomie. Par ailleurs, nous avons testé et croisé différentes méthodes (observation participante, méthode d’analyse des réseaux sociaux, simulation sur des sous-groupes de pairs à partir des planches de vêtements et de produits de maquillage…) pour identifier les sous-groupes de pairs effectifs à l’adolescence ainsi que la caractérisation de la situation la plus pertinente de l’adolescente dans son groupe (à savoir le degré d’intégration). Les entretiens semi-directifs ou encore l’observation participante s’inscrivent généralement dans le courant interprétativiste. Nous développons ici ces méthodologies dans une optique d’affiner notre cadre théorique et de poser et de valider des hypothèses au moyen d’une approche quantitative lors d’une prochaine étape de la recherche. Nous construisons à cet effet un cadre hypothético-déductif.

La seconde section de ce chapitre présentera le cadre théorique et le corps d’hypothèses de la recherche. Certaines hypothèses sont soutenues par la revue de la littérature et résultent de l’utilisation de théories et de résultats antérieurs. D’autres, dites plutôt « exploratoires », ne peuvent être étayées par des fondements théoriques solides. En effet, du fait de l’inexistence

des recherches antérieures en marketing sur l’autonomie et le degré d’intégration de l’adolescente dans son groupe de pairs, la revue de la littérature (principalement issue d’ouvrages et de références en psychologie et en sociologie) n’aboutit pas à des conclusions suffisamment claires. Ces hypothèses sont principalement issues de l’interprétation des matériaux générés par l’analyse de la phase exploratoire (analyse des entretiens semi-directifs sur l’autonomie, analyse des carnets de bord et du journalier lors de l’observation participante, analyse des réseaux sociaux… pour le degré d’intégration). Quelques hypothèses reposent également sur l’intuition et sur une certaine logique du chercheur.

Le plan de ce chapitre est schématisé à la figure III-6-1.

Figure III-6-1: Plan du chapitre 6

Chapitre 6 : Positionnement épistémologique de la recherche, cadre théorique et corps d’hypothèses

Section 1. Positionnement épistémologique de la recherche Section 2. Elaboration du cadre théorique et corps d’hypothèses

Section 1 : Choix du paradigme positiviste de la recherche

Toute recherche repose inévitablement sur une vision du monde et de la connaissance (Thiétart, 2003). Répondre à la question de la scientificité de la recherche nécessite de s’engager dans une voie épistémologique dont l’objet est de s’interroger sur ce qu’est la science en discutant de la nature, de la méthode et de la valeur de la connaissance.

La réflexion épistémologique permet de comprendre l’ensemble des présupposés sur lesquels la recherche s’appuie et d’expliquer les implications qui en découlent. Parce que le positionnement épistémologique permet aux lecteurs de mieux comprendre le propos de la recherche, il est nécessaire de le justifier.

Le choix du paradigme positiviste pour notre recherche se justifie par sa cohérence avec les thèmes et concepts mobilisés, à savoir l’adolescence, l’autonomie, le groupe de pairs et la consommation comme « une possible conséquence sociale» et non comme « une ressource ».

1. L’adolescence et l’autonomie : deux phénomènes universels

Le paradigme positiviste repose sur l’idée qu’il existe des phénomènes universels, sociaux et naturels (Thiétart, 2003). L’adolescence en fait partie : elle n’est pas un épiphénomène que l’on rencontre dans quelques cultures aujourd’hui. En effet, il s’agit d’un phénomène extrêmement courant dans notre société occidentale, c’est une étape de la vie à laquelle aucun individu ne peut échapper. De plus, l’adolescence est socialement reconnue et identifiée dans notre société actuelle occidentale, à l’instar des autres étapes de la vie, la naissance, le mariage et la mort.

La naissance constitue la première expérience d’autonomie et l’adolescence, le deuxième processus d’autonomisation (Blos, 1979 ; Guillaumin, 1981). La prise d’autonomie est donc une caractéristique de la nature humaine, ce qui en fait donc également un concept universel. Même si l’autonomie peut prendre des colorations différentes selon les cultures59, la finalité de toute espèce humaine est de savoir se débrouiller seul.

59 En effet, ce qui caractérise l’autonomie, c’est être membre de l’espèce humaine mais également être membre d’une culture, ce qui en fait un concept à la fois universel et contextuel.

2. Le groupe de pairs plutôt que la tribu

C’est ici que nous justifions le choix de retenir le groupe de pairs plutôt que celui de la tribu dans le cadre de notre thèse. Maffesoli (1988) utilise la métaphore, baptisée de postmoderne, pour faire référence aux tribus d’aujourd’hui qui se forment à partir d’une passion commune et partagée et non plus à partir des liens de parentés comme les tribus traditionnelles. Dans le cadre de notre recherche, l’utilisation de la notion de « tribu », sous entendu postmoderne, nous semble moins pertinente que celle de groupe de pairs pour deux raisons principales :

- 1. le caractère libre et éphémère de la tribu ;

- 2. le pouvoir peu explicatif de la tribu pour rendre compte des phénomènes

d’influence et d’achat du consommateur.

Tout d’abord, la revue de la littérature et l’étude exploratoire ont mis en évidence que l’école, et en particulier la classe, faisant partie du quotidien des adolescents, est une entité sociale à l’intérieur de laquelle les groupes de pairs coexistent. Contrairement à la tribu postmoderne qui repose sur le libre choix d’appartenance, à l’adolescence, le groupe de pairs est socialement constitué par des institutions scolaires (la direction administrative établit la liste des élèves d’une même classe) et les adolescents doivent s’en accommoder. Si les classes sont des figures imposées aux adolescents, des groupes robustes se forment et perdurent au-delà du lycée. Ainsi, contrairement aux tribus postmodernes qui se caractérisent par leur caractère éphémère (Maffesoli, 1988), les groupes de pairs, à l’âge de l’adolescence, deviennent stables et durables. Très souvent, les adolescents appartiennent à un groupe de pairs bien précis à l’école et n’en changent pas.

Ensuite, la tribu postmoderne, renvoyant à une passion commune et partagée, a un pouvoir explicatif très faible sur des achats en dehors de ceux liés à la passion. En revanche, le groupe de pairs permet de rendre compte de manière plus précise et opérationnelle de l’influence des pairs sur l’individu, et notamment sur la prise de décision d’achat ou sur la catégorie de produit acheté. A partir de là, la différence de la nature des comportements de consommation de groupe étudié apparaît nettement. Les recherches en marketing sur le « groupe de pairs » se placent dans une logique d’influence du groupe sur l’individu, ou de l’individu sur le groupe. Les chercheurs s’intéressent entre autres aux différents groupes exerçant une influence (groupe d’appartenance versus de référence ; groupe primaire versus secondaire), au type

Netemeyer et Teel, 1989) mais également aux facteurs explicatifs de l’influence qui sont cherchés chez l’individu (Bearden et Rose, 1990), le groupe (Park et Lessig, 1977) ou dans les objets (Bearden et Etzel, 1982). La conformité, la norme et la déviance par rapport à ses normes font partie intégrante de ces facteurs explicatifs de l’influence (Muratore, 2006, 2008). Dans cette optique, le groupe est constitué a priori et les choix de consommation en sont une possible conséquence sociale. L’influence agit également puisqu’elle provoque des comportements de consommation normalisés par le groupe. Les recherches en marketing sur la « tribu postmoderne » tentent d’étudier non pas l’influence du groupe mais ce qui fait du lien entre les individus à l’intérieur de ce groupe (Cova, 1995) et quelles sont les significations accordées à ces valeurs de liens. Cela ne veut pas dire que les jeux d’influence n’existent pas, mais les chercheurs défenseurs de la tribu optent pour une autre « paire de lunettes » afin d’observer la réalité. Ils partent de ce qui unit : la consommation. Dans cette perspective, la consommation, par ses pouvoirs unificateurs, est à l’origine de l’appartenance à une tribu. Ces différences dans la façon d’aborder la consommation, en tant que cause ou résultat de l’existence des groupes, sont associées naturellement à un choix en termes de positionnement épistémologique et de méthodologie de la recherche.

Les chercheurs qui s’intéressent au groupe de pairs à proprement parlé adoptent une approche positiviste et se focalisent sur l’acte d’achat (leur but est de répondre à la question « pour quelles raisons » ; « quel est l’impact de l’influence sur l’acte d’achat, notamment en matière de prise de décision, de critères de choix… ? »). Pour cela, ils ont recours à des techniques empruntées à la psychologie sociale telles que les études expérimentales, les méthodes d’identification des leaders (sociométrie, auto-désignation…). A titre d’exemple, nous pouvons citer les travaux d’Ezan (2007b) qui ont pour objet d’identifier les enfants leaders dans la cours de récréation à partir d’une approche sociométrique. Au contraire, un bon nombre de partisans des « tribus postmodernes » privilégient l’approche interprétativiste et s’intéressent à la consommation en tant qu’expérience (leur but est de répondre à la question « pour quelles motivations » ; « qu’est-ce qui motivent les individus à consommer ? »). Ces recherches sont rassemblées dans la mouvance actuelle dite de la Consumer Culture Theory

(Arnould et Thompson, 2005 ; Cova et Ozcaglar-Toulouse, 2008). Ce champ théorique CCT

s’appuie sur les « aspects socioculturels, expérientiels, symboliques et idéologiques de la consommation » (Arnould et Thompson, 2005, p.868). Elles ont donné lieu à des investigations de type ethnographique avec des études de terrain, prise de photographies, vidéo… (Cova et Roncaglio, 1999 ; Cova, 1999).