• Aucun résultat trouvé

Le degré d’intégration est prometteur mais d’autres problèmes sont soulevés

INTRODUCTION DE LA DEUXIEME PARTIE

L’ADOLESCENTE AU SEIN DES GROUPES

2.3. Le degré d’intégration est prometteur mais d’autres problèmes sont soulevés

La première question du test sociométrique « Parmi les filles et les garçons de ta classe, avec qui es-tu le plus souvent ? » a été posée aux 16 adolescentes de la classe de 1°S2 lors du

164

voyage de fin d’année scolaire (St Adrien) et aux 14 adolescentes de la classe de Seconde 8 à notre retour du voyage musical (Fénelon). Contrairement aux réticences que nous avons rencontrées lors des questions nominatives sur le leadership et l’expertise dans le domaine de l’apparence physique, les adolescentes semblent ici avoir répondu avec facilité et spontanéité. Notre objectif est de mesurer le degré d’intégration de l’adolescente au sein de sa classe. Pour cela, nous avons eu recours aux deux indicateurs utilisés classiquement en méthode d’analyse des réseaux sociaux : les indicateurs individuels (mesure de centralité et de prestige55) et les indicateurs groupaux (mesure de cohésion56 et graphes) (Lazega, 1998).

Nous avons d’abord mené une procédure de positionnement des adolescentes au sein de leur classe, au moyen des scores de centralité et de prestige (annexe II-5-5-2). Néanmoins, puisque les scores sont peu élevés et moyennement discriminants en raison sans doute du nombre de réponses limités à deux choix possibles, nous ne pouvons pas identifier les adolescentes populaires et centrales57 dans la classe.

Nous choisissons donc de recourir au deuxième type d’indicateurs : les indicateurs groupaux. A partir du logiciel d’analyse des réseaux sociaux, nous avons reconstitué la structure sociale de la classe en identifiant les sous-groupes de pairs cohésifs. Le logiciel UCINET a permis d’extraire quatre sous-groupes de pairs composés de trois adolescentes pour chacune des deux classes étudiées (1°S2, St Adrien et Seconde 8, Fénelon) (annexe 5-5-1). Les analystes des réseaux sociaux définissent ces sous-groupes de pairs cohésifs sous le terme de cliques puisqu’il s’agit d’un sous-graphe complet de trois sommets ou plus au sein duquel l’adolescente a des relations fréquentes et des liens d’affinité et de similarité (>50%) avec les autres membres de son sous-groupe. L’ensemble des points d’une clique sont dans une relation de forte connexité. Par ailleurs, le graphe correspondant à la classe de 1°S2 fait apparaître trois dyades (relations réciproques) directement reliées à un sous-groupe (Margaux, Claire et Camille reliées au sous-groupe de pairs formé par Marie, Isabelle et Anne). Le graphe révèle également des adolescentes isolées, sans que l’on puisse véritablement dire si ces adolescentes sont marginalisées dans le groupe ou si le nombre de choix limité les ont

55 La centralité identifie les acteurs les plus « importants » du système, c'est-à-dire ceux qui sont engagés dans beaucoup de relations (directement ou indirectement). Le prestige est une mesure de la popularité d’un acteur dans le sens où il identifie les acteurs qui reçoivent beaucoup de choix (Lazega, 1998).

56 La mesure de cohésion d’un sous-groupe repose sur la comparaison entre la fréquence relative des relations entre membres d’un sous-groupe et celle entre membres et non membres.

57 Les scores de centralité sont compris entre 0 et 3 pour les deux classes. Les scores de prestige sont compris entre 0 et 2 pour la Seconde 8 (Fénelon) et entre 0 et 3 pour la 1°S2 (St Adrien).

165

exclues du processus de sélection. Ainsi, Philomène (1°S2) Marieke et Céline (Seconde 8) ne sont nommées par aucune de leurs homologues. Nous n’avons pas identifié de « chaîne » (de liaison, des ponts entre les cliques) sur les graphes, ce qui peut sans doute s’expliquer par le nombre de réponses nominatives limitées à deux choix possibles. La figure II-5-2 présente le graphe des filles d’une même classe (Seconde 8, Fénelon) extrait du logiciel UCINET.

Figure II-5-2 : Exemple d’un graphe, Seconde 8 (Fénelon)

Nous retenons donc trois degrés d’intégration de l’adolescente au sein de sa classe, réduite aux filles : l’intégrée (les cliques), la charnière (les liaisons) et l’isolée. Dans la suite de notre travail, lorsque l’adolescente appartient à une clique ou à une dyade directement reliée à une clique (c'est-à-dire deux adolescentes qui ont des relations réciproques et qui sont liées aux autres filles de la classe), nous la désignerons sous le terme d’adolescente « intégrée ». L’adolescente charnière sera celle qui joue le rôle de pont entre les cliques. Enfin, conformément aux travaux de Moreno (1954), nous désignerons d’adolescente isolée celle qui n’est désignée par personne et/ou elle qui ne choisit personne. Nous inclurons également les « pairs isolés », c'est-à-dire deux adolescentes qui sont liées par affinités et qui sont isolées du reste de la classe.

Si l’analyse du test sociométrique révèle que la mesure du degré d’intégration de l’adolescente dans sa classe semble la plus pertinente (devant les mesures du leadership et de l’expertise), d’autres problèmes sont cependant soulevés : Le degré d’intégration suffit-il à comprendre les comportements en matière vestimentaire et de maquillage des adolescentes ?

166

Ne doit-on pas considérer le degré mais également la nature de l’intégration ? Il semble que le degré d’intégration soit une notion pertinente mais non suffisante à elle seule pour comprendre les comportements de consommation en matière de maquillage et de vêtements des adolescentes. En effet, affirmer que toutes les adolescentes, membres à part entière d’un sous-groupe de pairs, se maquillent quotidiennement, utilisent plus de produits de maquillage que les adolescentes charnières ou isolées et s’habillent à la dernière des modes ne reflète pas la réalité. Grâce aux observations que nous avons menées, il nous est apparu, qu’au-delà du degré d’intégration, la nature de l’intégration (la nature des normes et le besoin de se conformer) est un élément particulièrement intéressant pour comprendre certains comportements de consommation dans le domaine de l’apparence physique (utilisation versus non utilisation de maquillage) à l’adolescence.

A l’issue des observations que nous avons menées lors de nos deux voyages, la nature des normes s’applique particulièrement bien au terrain du maquillage et dans une moindre mesure aux vêtements. En effet, à la différence du voyage de fin d’année scolaire où nous avons observé que la plupart des adolescentes d’un même sous-groupe de pairs tendent à avoir un style vestimentaire identique voire proche58 ; lors du voyage musical, les adolescentes d’un même sous-groupe de pairs présentent des styles vestimentaires différents (original, excentrique, tendance, cool…). De plus, on note une sorte de « scission » du rapport que l’adolescente entretient envers la marque entre le voyage de fin d’année (St Adrien) et le voyage musical (Fénelon). En effet, les adolescentes du lycée public Fénelon semblent moins sensibles aux vêtements de marque que ne le sont les adolescentes du lycée privé St Adrien (« Dans les lycées privés, les filles sont des petites bourges, elles ont toutes les mêmes vêtements de marque alors que dans mon lycée, chacun fait selon ses moyens, chacun est libre », Marieke). Contrairement au premier voyage de classe (voyage de fin d’année scolaire) où nous avons ressenti un fort besoin de l’adolescente de se conformer à son sous-groupe de pairs par les vêtements et les marques, nous n’avons pas ressenti une telle pression lors du voyage musical. Il nous paraît donc difficile de comprendre les phénomènes de normes et de conformité aux normes du groupe appliqués empiriquement au seul domaine vestimentaire.

58 Pour le premier voyage de fin d’année, prenons comme exemple les sous-groupes de pairs formés par Coralie, Clémence et Maud ; Melaine, Marine et Capucine, ces adolescentes portent toutes des vêtements de marque très tendance (Diesel, converses jaunes fluo, petit sac Longchamp…). Nous n’avons pas observé cela lors du voyage musical, les adolescentes d’un même sous-groupe de pairs peuvent même avoir un style vestimentaire différent.

167

En revanche, se maquiller versus ne pas se maquiller semble être une pratique usuelle, une sorte de norme, que l’on retrouve chez les adolescentes des deux voyages. Lorsque nous avons observé les sous-groupes de pairs lors des deux voyages, nous avons noté que les adolescentes qui appartiennent à de tels groupes se maquillaient quotidiennement ou bien à l’inverse ne se maquillaient pas du tout. Se maquiller quotidiennement peut donc être une norme d’un sous-groupe : prenons à titre d’illustration les trois sous-groupes de pairs formés par Clémence, Coralie et Maud (pour le voyage de fin d’année scolaire) ; Alice, Marie et Flore ; Laura, Cécile, Sarah, Léa et Joséphine (pour le voyage musical). Ne pas se maquiller semble être également une norme pour d’autres sous-groupes de pairs : tel est le cas pour Agathe, Daphné et Anaïs ; Isabelle, Anne, Camille et Margaux (voyage de fin d’année scolaire) ; Liloye, Kim et Faustine ; Juliette, Camille, Marion et Audrey… (voyage musical). Concernant les adolescentes isolées (Sadia et Philomène pour le voyage de fin d’année scolaire et Hakima pour le voyage musical), les observations ont permis de déceler deux types de comportements en matière de maquillage. Sadia et Hakima semblent essayer de s’intégrer aux groupes dominants (Clémence, Coralie et Maud pour le voyage de fin d’année scolaire ; Cécile, Laura, Sarah, Léa et Joséphine pour le voyage musical) où se maquiller représente la norme. De plus, elles perçoivent sans doute un fort besoin de conformité aux normes d’apparence physique au sein du groupe de référence. Ainsi, elles adoptent un comportement normatif en matière de maquillage : elles se maquillent quotidiennement et ont recours à différents produits de maquillage (mascara, crayon, fond de teint plus rouge à lèvres pour Hakima) comme le sous-groupe dominant. A l’inverse, l’autre adolescente isolée, Philomène, entretient quelques liens unilatéraux avec un sous-groupe de pairs (Agathe, Daphné et Anaïs) composé d’adolescentes qui ne se maquillent pas. Ne pas se maquiller est la norme de ce sous-groupe de pairs ; Philomène ne s’est pas maquillée pendant les cinq jours du voyage. Ce n’est peut-être pas tant la conformité aux normes du sous-groupe de pairs qui est faible mais plutôt le besoin de se maquiller.