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Discussions des résultats auprès d’experts

INTRODUCTION DE LA DEUXIEME PARTIE

Section 2 : Une nécessaire approche exploratoire

4.3. Discussions des résultats auprès d’experts

En vue de comprendre l’absence de corrélation que nous avons obtenue entre les dimensions affective et cognitive de l’autonomie lors de l’analyse factorielle confirmatoire « intermédiaire », nous avons réalisé des entretiens semi-directifs d’une durée approximative d’une heure auprès de cinq experts46 dans le domaine de la psychologie de l’adolescent (deux experts français et trois experts américains). La retranscription des entretiens figure en annexe II-4-6. Ces entretiens se sont avérés riches puisque les experts nous ont fourni plusieurs éléments d’ordre méthodologique et théorique pouvant être à l’origine de l’absence de corrélation significative entre les deux dimensions de notre construit autonomie :

4.3.1. Absence de corrélation entre la dimension affective et cognitive du construit d’autonomie : justifications d’ordre théorique

- Un premier élément repose sur la définition de l’autonomie, en tant que processus et non de statut. L’autonomie est une construction progressive qui se fait à différents niveaux (sur le plan cognitif et affectif) chez l’adolescente. Un point important est souligné par un expert : l’adolescente n’est pas forcément autonome à un instant T sur tous les domaines. Elle tend à être plus vite autonome cognitivement qu’affectivement : elle est plus vite amenée à faire des choix engageant son avenir, elle se sent davantage en confiance pour prendre ses propres décisions et faire ses choix seule. L’expert s’appuie sur les travaux de Piaget concernant les schèmes cognitifs que l’adolescente développe. Il insiste sur l’équilibre de la structure cognitive à 15 ans, ce qui pourrait expliquer que les adolescentes lycéennes de notre échantillon, qui pour la plupart ont plus de 15 ans, se perçoivent comme autonomes sur la facette cognitive. Il met en évidence que du côté affectif, les choses se passent différemment. L’autonomie affective est plus longue à atteindre, en particulier pour les filles qui tendent à être plus proches de leurs mères que les garçons.

46 Nous avons interrogé trois experts américains de Iowa State University : Monsieur le Professeur Gibbons qui s’intéresse à divers sujets qui touchent l’adolescence comme la sensibilité à l’influence des pairs, l’effet de la cigarette dans le groupe… ; Madame le professeur Professeur Lynn qui travaille sur l’image de soi, l’image de corps et la publicité durant l’adolescence, et Madame Tyner doctorante en psychologie qui travaille sur la cible des 18 et 25 ans et l’image de soi. Nous avons également interviewé deux experts français en psychologie : Mademoiselle Cartierre, doctorante en psychologie à l’université de Lille 3 et spécialiste des adolescentes ; et Mademoiselle Butori, doctorante à Paris Dauphine en marketing et diplômée d’une licence en psychologie.

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- Un deuxième élément à envisager est ne pas avoir intégré certaines variables susceptibles d’intervenir sur l’autonomie, notamment le réseau social. Un expert prétend que le réseau social (les pairs) doit sans doute intervenir et moduler le lien autonomie affective/ autonomie cognitive.

4.3.2. Absence de corrélation entre la dimension affective et cognitive du construit d’autonomie : justifications d’ordre méthodologique

- Un premier élément renvoie à la nature de notre échantillon.

Un expert avance qu’un âge moyen trop élevé de l’échantillon peut être un premier élément qui expliquerait une corrélation non significative entre l’autonomie affective et cognitive. En effet, il avance qu’un certain nombre de travaux en psychologie ont mis en évidence que la fin de l’adolescence se caractérise par une restauration et un maintien des relations avec les parents (Bronfenbrenner, 1979 ; Claes, 1991). L’autonomie affective doit donc être plus faible à la fin de l’adolescence qu’au début et au milieu de l’adolescence. L’autonomie cognitive, quant à elle, progresse et évolue positivement avec l’âge. Puisque la collecte de données 2 a été réalisée auprès exclusivement d’adolescentes lycéennes, l’âge moyen de notre échantillon est élevé (plus de 16 ans), ce qui peut expliquer cette absence de corrélation.

Un autre expert avance que le fait d’avoir interrogé des adolescentes provenant d’origines sociales relativement homogènes pourrait être à l’origine d’une corrélation non significative. Notre échantillon est composé d’adolescents dont les parents sont tous de classes moyennes. Or, selon l’expert, interroger des adolescents très riches ou au contraire très pauvres auraient sans doute eu un impact significatif sur la corrélation entre l’autonomie affective et cognitive. Il prend l’exemple de la délinquance juvénile ou du niveau de risque dans les familles. Selon lui, le niveau de risque dans les familles (niveau

de revenu des parents) ou le lieu du lycée (en banlieue versus en ville) influe sur

l’autonomie de l’adolescent. Dans les familles à haut risque, les parents ne contrôlent pas le processus d’autonomie de leur adolescent, et cela a un effet destructeur sur lui : délinquance, violence, comportements irresponsables, santé… L’adolescent tend à être distant de ses parents et a plutôt pour habitude de prendre des décisions seul, qui souvent, ne sont pas les meilleures. En revanche, dans les familles à faible risque, les parents contrôlent davantage l’autonomie de leur adolescent, ce qui est lié positivement à son bon fonctionnement : l’adolescent se sent plus confiant et compétent pour prendre des décisions seul en l’absence de ses parents.

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- Un deuxième élément peut être lié à un biais de désirabilité sociale. Ceci a été particulièrement mis en avant par deux experts. Un premier expert avance que les questionnaires sont souvent inadaptés pour mesurer certains concepts, tel est le cas pour la mesure de la conformité sociale auprès des adolescentes américaines. L’échelle de la conformité sociale amène des réponses biaisées soit, parce que certaines adolescentes fournissent de fausses informations de manière à les rendre socialement acceptables, soit parce qu’elles se sentent plus indépendantes par rapport à leurs copines qu’elles ne le sont en réalité. L’expert suggère qu’il en est peut-être de même avec l’échelle d’autonomie. Il se pourrait que l’absence de corrélation résulte d’un biais de désirabilité sociale qui s’explique par un phénomène plus ou moins conscient : soit l’adolescente peut se sentir plus autonome qu’elle ne l’est en réalité ; soit elle ne veut pas s’avouer ses points faibles, le fait qu’elle n’est pas suffisamment autonome sur certains aspects. Un deuxième expert souligne l’importance de garantir l’anonymat et la confidentialité des résultats lors d’une collecte de données auprès des adolescents. Nous avons limité ce biais puisque que nous avons précisé dans les consignes l’anonymat et la confidentialité des réponses des adolescentes.

- Enfin, un troisième élément peut s’expliquer par la formulation des items et/ou un

problème de calibration de l’échelle. L’expert en marketing nous a présenté un problème que les chercheurs rencontrent généralement lors de la construction d’une échelle : la tendance des répondants à répondre positivement aux items. En effet, l’analyse des résultats des deux collectes de données a mis en évidence que les répondantes ont tendance à concentrer leurs réponses vers les valeurs les plus hautes de l’échelle : sur les trois items de l’autonomie cognitive (Acogn4, Acogn8, Acogn9), en moyenne 69,8 % des adolescentes ont déclaré être « d’accord » ou « tout à fait d’accord ». Tous les énoncés associés à la dimension cognitive de l’autonomie présentent donc des coefficients de symétrie négatifs (de -1,493 à – 0,586), ce qui peut expliquer notre validité convergente faible et donc l’absence de corrélation. L’expert nous conseille alors d’accentuer les items qui ont été retenus lors des deux collectes précédentes. Par conséquent, il importe ici de préciser que les conseils de Monsieur le Professeur Chandon nous ont aidés à comprendre qu’un problème de calibration de l’échelle pouvait être l’origine d’une dissymétrie. Pour compenser cette dissymétrie, il préconise de transformer l’échelle symétrique en une échelle

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asymétrique comportant cinq modalités avec un point négatif, un point neutre et trois points positifs47.

Par conséquent, la consultation d’experts amène à nous poser plusieurs questions :

- Cette absence de lien entre les facettes cognitive et affective du construit d’autonomie est-elle la conséquence de l’échantillon retenu pour cette recherche (l’âge, l’origine sociale) ? - S’explique-t-elle plutôt par un problème de formulation des items et/ou de calibration de notre échelle ?

- Ou existe-t-il réellement indépendance entre l’autonomie affective et l’autonomie cognitive ?

Conformément aux recommandations des experts, lors de la collecte 3, nous accentuerons les items de l’autonomie cognitive48. Nous tenterons de calibrer notre échelle en proposant une échelle asymétrique. Enfin, afin de s’assurer de la validité externe de nos résultats, nous administrerons notre enquête finale sur un échantillon représentatif de la population adolescente française (en termes d’âge et d’origine sociale).

47 Peterson et Wilson (1992) avaient déjà évoqué plusieurs explications possibles aux problèmes d’asymétrie dans les études de satisfaction : la calibration de l’échelle en fait partie. Ils proposent d’intégrer plus d’échelons positifs, même si la solution n’est pas suffisante pour résoudre l’intégralité des problèmes.

48 Acogn 8- Je me sens tout à fait capable d’organiser mes vacances toute seule, sans l’aide de mes parents : rechercher les horaires de trains, les meilleurs prix pour l’hébergement et le transport, les destinations de vacances… (ajout de « tout à fait »).

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CHAPITRE 5 : IDENTIFICATION DES GROUPES DE PAIRS ET