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INTRODUCTION : LE CHANTIER EMPIRIQUE DE LA RECHERCHE

Ce cinquième chapitre est consacré à la méthodologie entendue comme explicitation du processus de recherche. Celle-ci est liée à un projet et à un sujet (le chercheur). Elle présente la recherche incarnée dans un « je méthodologique » (Olivier de Sardan, 2000). Sans tomber dans les travers d’une vaine introspection, ce chapitre se veut un retour réflexif sur l’ « arrière cuisine » de la recherche. Il s’agit, au-delà de la description des temps, lieux et pratiques explicites du travail de terrain et d’analyse, de montrer comment le travail d’auto-analyse du chercheur (Noiriel, 1990 ; Weber, 2009) et des différentes manières dont il est « affecté » (Favret-Saada, 1990, 2009) devient une donnée de la recherche (Devereux, 2012).

La démarche générale, fondamentalement inductive, emprunte à la méthodologie de la théorisation enracinée (Guillemette, 2006 ; Luckerhoff et Guillemette, 2012). Notre projet de recherche n’applique pas de manière orthodoxe la méthodologie initialement proposée par Barney Glaser et Anselm Strauss (2010) (traduite par « théorie ancrée ») mais témoigne d’une adhésion à la philosophie de cette démarche intellectuelle qui « est surtout une attitude » (Grawitz, 2001, p.353), un processus constant de curiosité intellectuelle et de questionnement dont l’étonnement est le moteur. La démarche combine ainsi rigueur (liée à l’enracinement dans les données et aux procédures d’analyse et de vérification) et créativité (lié à l’ouverture théorique et au processus – constant – de questionnement). Dans ce cadre, « le chercheur ne se situe pas tant dans une démarche de codification d’un corpus existant […] que dans un processus de questionnement […] tentant toujours de mieux comprendre, cerner, expliciter, théoriser le phénomène faisant l’objet de son étude » (Paillé, 1994, p.152). Par ailleurs, la démarche itérative n’organise pas de manière séquentielle les différentes pratiques de la recherche. La problématisation, la formulation des hypothèses, la production des données empiriques et les analyses sont bien souvent menées en parallèle (Lejeune, 2014). « Une théorie ancrée est construite et validée simultanément par la comparaison constante entre la réalité observée et l’analyse en émergence » (Paillé, 1994, p.150). La démarche inductive vise alors davantage à découvrir qu’à démontrer et, dans ce cadre, les hypothèses désignent des propositions interprétatives des matériaux empiriques et des processus étudiés (Le Boucher, 2015). Bien loin du modèle hypothético-déductif, le terme hypothèse est ici utilisé dans « un sens « léger », ou « faible »,

équivalent à « piste » ou à « interprétation provisoire » » (Olivier de Sardan, 2008, p.78). La théorie ancrée est ainsi convoquée dans un registre davantage épistémologique que méthodologique.

Dans ce cadre, le terrain est fondateur. Il est « posé comme une contrainte a priori et non comme un cadre a posteriori de test de vérification » (Soulet, 2010, p.12). Il est le lieu central de la production des données et, pour une bonne part des interprétations qui en sont faites (Olivier de Sardan, 2008, p.10). Nous montrerons alors comment nous avons procédé pour circonscrire et caractériser les lieux de l’enquête.

Enfin, comme souligné dans le chapitre précédent, nous reviendrons sur le processus de construction de l’objet de recherche lui-même. En effet, « en analyse par théorisation ancrée, il arrive parfois que le plus difficile réside dans la détermination précise de l’objet d’étude. Quel fil suivons-nous, où mène-t-il ? » (Paillé, 1994, p.172). Ainsi, cette contrainte première du terrain ne nourrit pas automatiquement une question de recherche claire. En effet, si j’entre sur le terrain avec un objectif descriptif de documentation des pratiques numériques des personnes en errance, le travail de problématisation est un long processus itératif.

La nécessité d’une démarche ethnographique

Dans une perspective écologique, l’appréhension des pratiques (numériques mais pas seulement) quotidiennes nécessite un travail en immersion dans les terrains, au plus près des acteurs. Il ne s’agit pas seulement d’aller « sur » le terrain, mais de plonger « dans » un univers social. Si je partage avec les personnes enquêtées le même environnement quotidien (le centre-ville rennais), nous en avons une appréciation et des pratiques tout à fait différentes. Cela implique d’aller à leur rencontre dans leur environnement propre, dans une démarche empathique.L'ethnographie permet d'observer directement les conduites des individus et d'avoir accès aux aspects implicites contenus dans les pratiques les plus banales. Elle permet également, par la multiplication des situations de parole, d'assouplir la relation d'enquête. L’investissement systématique des lieux d’accueil de l’errance qui composent la « géographie du savoir survivre » (Zeneidi-Henry, 2002) en tant qu’observatrice participante et l’instauration d’une relation ouverte d’écoute et de dialogue sont donc mes principaux outils d’investigation.

Daniel Cefaï (2010, p.7) donne une définition « minimale » de l’ethnographie, permettant à chacun de s’entendre, malgré la diversité des pratiques dites « de terrain » :

« Par ethnographie, on entendra une démarche d’enquête, qui s’appuie sur une observation prolongée, continue ou fractionnée, d’un milieu, de situations ou d’activités, adossée à des savoir-faire qui comprennent l’accès au(x) terrain(s) (se faire accepter, gagner la confiance, trouver sa place, savoir en sortir…), la prise de notes la plus dense et la plus précise possible et/ou l’enregistrement audio ou vidéo de séquences d’activités in situ. Le cœur de la démarche s’appuie donc sur l’implication directe […]. Le principal médium de l’enquête est ainsi l’expérience incarnée de l’enquêteur ».

Pour Jean-Pierre Olivier de Sardan (2008, p.41), l’enquête socio-anthropologique se déroule

« au plus près des « situations naturelles » des sujets – vie quotidienne, conversations, routines –, dans une situation d’interaction prolongée entre le chercheur en personne et les populations locales, afin de produire des connaissances in situ, contextualisées, transversales, visant à

rendre compte du « point de vue de l’acteur », des représentations ordinaires, des pratiques usuelles et de leurs significations autochtones ».

Plus qu’une méthode, l’ethnographie est une manière de faire des sciences sociales. Il s’agit avant tout de faire avec son terrain dans la double nécessité de se faire accepter et de produire des données. Le verbe « produire » souligne l’activité du chercheur qui ne peut être décrite comme un recueil de données existant comme une réalité objective extérieure. Le travail d’enquête est un processus relationnel avec le terrain. Les données sont produites dans l’interaction entre le chercheur et son terrain. Les données ne sont ni des morceaux « cueillis » ou « recueillis » du réel (illusion positiviste) ni une pure construction de la subjectivité du chercheur. Elles sont la transformation en traces objectivables de morceaux du réel sollicités, perçus, sélectionnés et transcrits par le chercheur (Olivier de Sardan, 2008, p.50). Dans cette optique, la place du journal de terrain est centrale. La démarche ethnographique procède ainsi d’un mélange d’improvisation, de cohérence et de systématicité : organisation de la production des données et réflexivité sur les choix (Olivier de Sardan, 2008, p.50). Ce qui apparait in fine

comme une démarche globale cohérente est vécu, en cheminant, comme une longue improvisation, habile conciliation de logiques parfois divergentes (logique de la recherche, logique des enquêtés, logique académique, logique personnelle du chercheur).

Une ethnographie multi-située

« Comment, dans le flux des événements, découper un « champ de réalité », lui assigner des limites dans l’espace et dans le temps, enclore un domaine de phénomènes qui soit pertinent pour engager une enquête ? […] Le terrain, dans sa singularité même, doit avoir un pouvoir de « révélateur », au sens chimique du terme, de processus généraux » (Cefaï, 2010, p.224).

Afin de rentrer en contact avec un public que l’on côtoie sans le fréquenter, les structures d’aide sociale spécifiquement destinées au public « à la rue », ont été choisies comme porte d’entrée sur le terrain. Les premiers mois d’enquête sont le moment de négociations intenses entre l’enquêteur et les enquêtés que nous analysons comme un lent processus d’apprivoisement réciproque. La nécessité de passer par les structures existant sur le territoire, pour entrer en contact avec un public que l’on côtoie sans nouer de contact106, m’a semblé une obligation107. La ville de Rennes représente alors un terrain de recherche riche par le nombre de structures présentes sur le territoire, ce qui permet la construction d’espaces d’enquête diversifiés ; mais relativement limité, ce qui autorise une appréhension exhaustive de la géographie de la survie. J’ai ainsi visité l’ensemble des espaces d’accueil de jour et de nuit dans une perspective d’acculturation à « la rue ». « La rue » désigne alors tout à la fois un milieu d’interconnaissance et de pratique composé de plusieurs espaces (publics, institutionnels, privés ou privatisés par l’usage). Puis, j’ai investi quatre structures d’accueil de jour et de soirée dites à « bas seuil » d’exigence108, différenciées en fonction des services proposés, du statut

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106 Ainsi, la figure du SDF est une figure extrême mais banale de la pauvreté contemporaine (Pichon, 2009) avec qui nous n’avons, très souvent, pas de contact en dehors des interactions entretenues dans le cadre de la pratique de la mendicité. 107 D’autres chercheurs travaillant sur l’errance ont procédé autrement (Girola, 1996 ; Pimor, 2014 par exemple). 108 La notion de « bas seuil » apparait dans le champ de la toxicomanie pour désigner les dispositifs d’accompagnement des usagers de drogue qui œuvrent dans une perspective de réduction des risques avec une aide médicale et sociale de base, sans visée d’abstinence, ni dossier ou prise en charge individuelle. Leur action s’inscrit dans un processus qui vise à reconstruire une base d’adhésion aux règles de la vie sociale sans que des conditions préalables ou des contreparties soient exigées (Cattacini, Lucas et Vetter, 1996, p.217). Le vocabulaire a été étendu aux structures en charge de la grande exclusion et aux dispositifs spécifiques s’adressant aux « jeunes en errance » pour souligner l’absence de contrat, de projet et de contrepartie (Rothé, 2013).

des intervenants (professionnels ou bénévoles), de leurs modalités de fonctionnement (horaires, règlement intérieur, etc.) et de financement. Enfin, l’apprivoisement réciproque m’a permis, sur invitation des enquêtés, de les rencontrer dans d’autres lieux.

Pour Barney Glaser et Anselm Strauss (2010), le site d’enquête ne doit pas répondre à une définition spatiotemporelle trop étroite, ni le terrain se réduire aux situations d’interactions directes avec les enquêtés. Il faudrait alors penser la situation ethnographique autrement que sur le mode de la présence afin de rendre compte à la fois de l’incarnation et de la transcendance de l’expérience humaine. Ainsi, le milieu de la rue pourrait être décrit comme un terrain ethnographique dans lequel nous circonscrivons plusieurs sites (portes d’entrée). Nous décrivons donc notre projet d’enquête comme une ethnographie multi-située dont nous caractériserons les principaux espaces d’observation (deuxième partie de ce chapitre). Si, bien sûr, l’ethnographe adopte nécessairement une multitude de postes d’observation lui permettant d’accéder à la diversité des points de vue, nous soulignons la diversité des espaces institutionnels d’observation. L’objectif est alors de constater comment les pratiques numériques sont convoquées comme support du maintien de soi dans ces différents espaces et d’analyser la manière dont cela est appréhendé par les intervenants sociaux. Enfin, il s’agit de comprendre comment la solitude (dans ses trois dimensions d’intimité, de sociabilités insatisfaisantes et de précarité) est vécue dans ces différents espaces109. La configuration matérielle des lieux, leurs normes de sociabilités propres et le type de relations nouées entre les usagers et les intervenants sociaux orientent et limitent les pratiques numériques.

Observer la solitude, un paradoxe ?

Bien que la solitude ne soit pas au centre de notre questionnement de départ, elle apparaît rapidement comme une dimension essentielle dans la définition émique de l’expérience de l’errance. L’observation de la solitude pose alors des questions méthodologiques essentielles : comment observer ces moments vécus seul ? comment observer ce qui est caché ? De même, le maintien de soi apparaît à la fois comme une lutte constante et un travail invisible, parfois paradoxal comme le montre le recours à des supports pathologiques. Il semble que l’entrée par les pratiques numériques offre alors une perspective intéressante. Ces dernières permettent de dévoiler (Plantard, 2011, 2014), en partie, ces dimensions masquées de l’expérience.

Les trois premiers points de ce chapitre sont consacrés à la description des temps, lieux et outils de l’enquête. La quatrième partie décrit la manière dont ont été traitées les données : transcriptions, mises en forme et analyses « enracinées ». Au-delà de la description des éléments objectivés de la pratique ethnographique, une part de cet exposé méthodologique est réservée au travail auto-analytique. Cette introspection est un retour réflexif sur les conditions de scientificité de la démarche et de ses inévitables biais mais ne s’oppose en rien à un processus d’objectivation. Elle l’alimente au contraire. Dans ce chapitre, plus encore que dans le reste de la thèse, l’usage des pronoms « je » et « nous » ne doit pas être confondu. Le « je » désigne l’enquêteur impliqué sur son terrain, engagé avec les acteurs, pris dans la situation. Il vise à objectiver la place que ce dernier a occupée et les « bruits » que sa présence a pu produire. Le « nous » désigne le chercheur distancié et rend justice à l’aspect toujours collectif du travail de recherche.

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1. LES TEMPS DE L’ENQUETE (RECIT CHRONOLOGIQUE)

Cette première partie de chapitre fait le récit chronologique de l’enquête110, des prémisses du projet jusqu’à l’écriture finale de la thèse. Ainsi la recherche exploratoire menée en master 2, ayant permis de produire les premières données et d’élaborer les premières hypothèses, de construire le projet de thèse et les différents terrains d’enquête, est conçue – bien que précédant l’inscription officielle en doctorat – comme faisant pleinement partie de la recherche. Elle en constitue la phase exploratoire. A cette phase exploratoire a succédé une première phase d’immersion qualifiée « d’intensive ». Cette phase d’immersion a entrainé une sensation « d’engloutissement » par le terrain qui m’a fragilisée sur les plans personnel et psychique. Elle a donc été suivie d’une phase de repli et de réorientation marquée par une coupure de la relation aux enquêtés. Cette distanciation a été l’occasion de consolider le dispositif méthodologique ainsi que la problématique et les hypothèses de travail exposées dans le chapitre précédent. Cette phase a été suivie d’une deuxième période d’immersion, cette fois qualifiée « d’outillée ». Ce retour sur le terrain, nouvellement armée, a été l’occasion de poursuivre les observations et de mettre en œuvre les entretiens afin de produire l’essentiel des données mobilisées dans le cadre des analyses présentées dans la troisième partie de ce document. Cette dernière phase d’immersion a été suivie par une période d’analyse et de consolidation puis par une phase d’écriture.

Ces différents temps de l’enquête sont présentés dans les paragraphes qui suivent. Pour chacun sont explicités le statut de l’enquêteur, les terrains investis, les relations entretenues avec les enquêtés et les outils méthodologiques mis en œuvre. Un tableau propose une synthèse en fin de partie. Cette reconstruction a posteriori fait apparaître des phases clairement distinctes bien qu’elles se superposent en partie et que les itérations successives forment une démarche bien plus circulaire que linéaire dont la progression prend la forme d’une spirale.

1.1 – Exploration (septembre 2009 – mars 2010) 1.1.1 – En quête de terrains

Au départ, la recherche exploratoire menée dans le cadre de mon master 2 concerne, selon les termes de la convention initiale, les « personnes en situation d’exclusion sociale ». Peu familière avec le milieu de l’intervention sociale, je monte un projet de recherche coopératif avec la Ville de Rennes. Les acteurs de la municipalité s’interrogent sur ce qu’il est bienvenu de nommer l’e-inclusion (Plantard, 2014b) pour désigner les potentialités des pratiques numériques et de la médiation numérique auprès des personnes socialement vulnérables ; et nous sommes à la recherche d’entrées sur le terrain. Je deviens donc stagiaire de la direction générale solidarité et santé de la Ville. Le stage, co-conventionné et financé par le laboratoire vise explicitement le développement d’un projet scientifique.

Je rencontre, dans un premier temps, les animateurs locaux d’insertion chargés du suivi des bénéficiaires du revenu de solidarité active. La terminologie « personnes en situation d’exclusion sociale » apparaît dès lors très peu opérante en tant que catégorie sociologique. Encouragée par Laurence Arenou, chargée du suivi de la recherche pour le compte de la Ville, je me rends ensuite au restaurant social Leperdit dit « Le Fourneau », accueil de jour proposant des repas chauds, géré par le centre

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communal d’action sociale. J’y rencontre alors un public peu familier, éveillant mon désir de « comprendre », et une équipe ouverte à l’inconnu de la recherche et de l’expérimentation. De fait, mes objectifs de départ sont assez flous. Un éducateur de la structure me confie ainsi beaucoup plus tard, « peut-être que si on avait su dans quoi on s’embarquait on n’aurait pas dit oui, non pas qu’on regrette mais on n’imaginait pas que tu passerais autant de temps avec nous » (journal d’enquête, mai 2011).

J’y passe beaucoup de temps, au quotidien, en tant qu’observatrice extérieure. Mon statut de stagiaire de la direction générale assure mon intégration (relative) à l’équipe de professionnels. A travers l’humour, la nature de mon intérêt et l’utilité de ma démarche sont tout de même régulièrement questionnées. Par ailleurs, je ressens parfois une certaine crainte vis-à-vis d’un regard évaluateur. Ainsi, pour enquêter, doit-on obtenir à la fois l’accord officiel des institutions et le consentement personnel des acteurs, ce qui est tout à fait différent. Et même une fois ce consentement obtenu, ce sont toujours les enquêtés qui choisissent ce qu’ils disent et ce qu’ils taisent. Ils contrôlent l’accès à l’information et peuvent le bloquer en cas de malentendu ou de conflit. Pierre Bonte et Michel Izard soulignent également cette difficulté :

« Le chercheur a dû obtenir un « permis de recherche » […]. Il est censé avoir des relations en haut lieu. Sa position est ambigüe dans la mesure où ses hôtes ne savent pas s’il y travaille au bénéfice des autorités, ou au contraire, s’il a la capacité de représenter et de défendre sa communauté d’adoption » (Bonte et Izard, 2002, p.387).

C’est dans le partage du quotidien que se construit la confiance. Toutefois, les inquiétudes et vigilances relayées ici ne doivent pas masquer l’intérêt et le soutien manifestés les professionnels.

Les usagers, quant à eux, habitués à voir « défiler les stagiaires » en formation d’assistant de service social ou d’éducateur spécialisé m’assimilent rapidement à ces derniers. En effet, l’activité de recherche ne revêt pas de sens dans leur quotidien. Pour eux, le « social » renvoie bien plus à un champ d’intervention qu’il ne constitue un domaine de recherche. Ils m’assimilent ainsi à une figure connue (l’« éduc » stagiaire) renvoyant à un répertoire d’interactions constitué.

Afin de légitimer ma présence et d’obtenir des données concernant mon objet (les pratiques numériques) je m’associe à un projet d’animation de la structure mobilisant les technologies. Dans l’atelier morphing111, il est proposé aux participants de mélanger deux photos (dont une les représentant) grâce à un logiciel gratuit pour obtenir une animation vidéo dans laquelle la première photo se fond progressivement dans la seconde jusqu’à transformation complète. Les objectifs de cet atelier sont de créer du lien et de la confiance et de travailler sur l’image de soi, dans le cadre d’une activité originale. L’atelier se situe ainsi entre la récréation, au sens de « prendre une pause » en proposant une activité ludique rompant avec le quotidien, et la re-création. Le participant devient alors démiurge de lui-même en racontant de manière médiatisée et novatrice une part de lui qu’il n’a pas l’occasion d’exprimer ailleurs112. C’est un éducateur de la structure qui est à l’origine du projet mais j’en deviens, peu à peu, la référente, légitimant ainsi progressivement ma place de personne extérieure.

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111 Un chapitre traitant de cette expérimentation a été publié :

Trainoir, M. (2011). « l’e-dentité en question ». Dans P. Plantard (dir.) Pour en finir avec la fracture numérique (p.117-138). Limoges : Fyp Editions.

112 Les premiers participants sont les « habitués ». Puis le projet mobilise des personnes nouvelles, ou plus en retrait,