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Introduction et contexte international

L’état plasma, qui représente près de 99% de la matière dans l’univers visible, se rencontre principalement dans les étoiles et le milieu interstellaire mais un plasma peut toutefois se former à basse température (cinétique) si la source d’ionisation lui est extérieure, comme dans le cas de l’ionosphère qui subit en permanence un intense bombardement ionisant de particules venant du soleil. Pour atteindre le régime des basses températures une source d’ionisation extérieure laser doit donc être utilisée comme nous allons le montrer ici.

Fig. 5.1 – Classification de plasmas naturels ou de laboratoire repérés par leur température en Kelvins et par leur densité exprimée en particules chargées par mètre cube. Dans la zone foncée le plasma est dit cinétique (Γe< 1), tandis que dans la zone claire le plasma est dit fortement corrélé (Γe > 1) où Γe est le rapport de l’énergie de Coulomb à l’énergie thermique.

Nous ne considérerons ici que des plasmas (quasiment totalement) neutres. De façon géné-47

rale, un plasma est caractérisé par la force des interactions mises en jeu et qui dépendent de la température Te et de la densité ne des électrons (on notera Ti et ni pour les ions). La tempéra-ture permet de connaître l’énergie cinétique Ecin ∼ kBTe d’un électron alors que la densité est reliée à l’interaction potentielle coulombienne Epot ∼ e2/a entre deux électrons (e2 = qe2/(4πε0)) où a ' (4πne/3)1/3 est la distance moyenne entre plus proches voisins. Te et ne sont donc les deux paramètres à la base de la classification des plasmas présentée sur la figure 5.1.

5.1.1 Vers un plasma corrélé ?

La réalisation de plasmas (neutres) "ultra-froids", dans la partie basse température de cette classification permettrait d’aborder un nouveau type de physique. En particulier ils permet-traient d’approcher en laboratoire un état "fortement corrélé" où l’énergie de Coulomb domine l’énergie thermique. Dans ce type de plasma le paramètre plasma Γe = Epot/Ecine pour les électrons et Γion pour les ions), qui compare l’énergie de Coulomb et l’énergie thermique, devient plus grand que l’unité. Les effets physiques attendus sont particulièrement spectacu-laires. La théorie [Ichimaru, 1982, Dubin and O’Neil, 1999] prédit des corrélations en position des électrons ou des ions pour Γ > 1 et une cristallisation, i.e. un ordre à très grande distance si Γ > 174. Le système tend alors à se mettre dans une configuration d’énergie minimale corres-pondant à des particules éloignés le plus possible de leurs voisins, les particules formant alors un réseau ("Coulomb crystal") ou un cristal de Wigner [Wigner, 1934].

À ma connaissance [Bonitz et al., 2005, Bonitz et al., 2008], les principaux plasmas corrélés sont :

– Naines blanches : T ∼ 107 K, n∼ 1040m−3 et Γe ∼ 300.

– Naines Brunes (ou le centre des planètes comme Jupiter) : T ∼ 104 K, n ∼ 1030m−3 et Γe ∼ 20. Mais évidemment, tout comme les naines blanches, leur étude en laboratoire n’est pas aisée.

– Plasmas laser réalisés par impact sur une cible : T ∼ 104 K, n ∼ 1030m−3 et Γe ∼ 20. Mais ils ne restent corrélés que durant quelques picosecondes.

– Les ions piégés et refroidis par laser avec Γi > 10000.

– Des particules multi-chargées en suspension colloïdale. (Dusty plasma) : Ti ∼ 10 K et Γi ∼ 200.

– Le cristal de Wigner d’électrons qui a pu être observé dans des héterojonctions GaAs/GaAlAs sous champ magnétique [Williams et al., 1991].

Des expériences basées sur des plasmas neutres semblent intéressantes car l’effet de l’inter-action coulombienne est moins évident que dans le cas d’un plasma non neutre comme c’est le cas des ions piégés, les charges ioniques étant alors écrantées par la présence d’électrons.

L’une des premières tentatives pour atteindre l’état de plasma "ultra-froid" eut lieu à Orsay dans les années 1970 et consista à ioniser de l’hélium superfluide à la température d’environ 4 K [Delpech and Gauthier, 1972] en lui appliquant une décharge électrique. Malheureusement, ce plasma, dit cryogénique, n’est pas à l’équilibre thermodynamique et des recombinaisons à trois corps, où deux électrons et un ion collisionnent formant un atome de Rydberg, chauffent l’électron restant. Il peut sembler naturel de partir de températures plus froides et de sys-tèmes plus dilués, comme ceux obtenus par les MOT, pour espérer obtenir des plasmas en-core plus froids. De façon surprenante, ni les plasmiciens ni les physiciens des atomes froids ne semblèrent s’intéresser au sujet. En effet, avant 1998 l’ionisation des atomes froids était même considérée comme nocive car elle perturbait les mesures des sections efficaces

d’ionisa-5.1. INTRODUCTION ET CONTEXTE INTERNATIONAL 49 tion [Maragò et al., 1998, Fuso et al., 2000].

5.1.2 Photoionisation d’atomes froids

Le premier plasma ultra-froid ne fut donc réalisé qu’en 1999 aux Etats-Unis (laboratoire NIST à Gaithersburg) en photoionisant des atomes de xénon métastables refroidis par laser [Killian et al., 1999]. Certains électrons quittent la zone d’ionisation jusqu’à ce que l’énergie potentielle de charge d’espace, créée par les ions restants, devienne égale à l’énergie cinétique moyenne des électrons. Les ions réalisent alors un piège pour les électrons. Ce premier article ouvrit le domaine des plasmas ultra-froids. Depuis, une dizaine de groupes de par le monde étudient ces plasmas en partant d’atomes différents (Rb,Cs, Sr, Ca, ...) [Killian et al., 2003]. Je renvoie pour cela à la revue récente [Killian et al., 2007]. Xénon, par le groupe de Steve Rol-ston (Maryland) [Killian et al., 1999, Fletcher et al., 2006]. Rubidium par les groupes de Tho-mas Gallagher (Virginie) [Robinson et al., 2000], Georg Raithel (Michigan) [Dutta et al., 2001], Michael Noël (Bryn Mawr, Pennsylvanie) [Gallagher et al., 2003], Duncan Tate (Colby, Maine) [Li et al., 2004], Phil Gould (Connecticut) [Farooqi et al., 2003, Gould, 2003] ou Vredenbregt (Amsterdam) [Claessens et al., 2007]). Cesium par notre groupe [Robinson et al., 2000]. Stron-tium par le groupe de Thomas Killian (Rice, Houston) [Killian et al., 2003]). Calcium par le groupe de Scott Bergeson (Brigham Young, Utah) [Cummings et al., 2005a, Cummings et al., 2005b]).

Suite au premier article du NIST, les plasmas ultra-froids semblaient alors des candidats idéaux pour réaliser des plasmas corrélés. En choisissant la longueur d’onde du laser il semblait à priori possible de choisir la température électronique du plasma. À cause de la très faible masse me de l’électron comparée à celle mi de l’ion, la différence entre l’énergie du photon et l’énergie d’ionisation de l’atome est presque entièrement transférée aux électrons sous forme d’énergie cinétique. Ainsi en ionisant "au seuil" avec presque aucune énergie cinétique les para-mètres semblaient être ceux d’un piège magnéto-optique standard, juste après l’ionisation laser, ne∼ ni ∼ 1016m−3et Te∼ Ti ∼ 100 µK ce qui correspond à des plasmas très fortement corrélés. Ces idées étaient néanmoins assez naïves, car basées sur la méconnaissance des travaux histo-riques d’Orsay [Delpech and Gauthier, 1972], que j’ai moi-même découvert récemment (lors du Colloque Delcroix en 2006). Néanmoins, les études de ces plasmas ultra-froids, même si elles ne permettent pas encore d’atteindre le régime fortement corrélé, ont permis de développer de nouvelles techniques de diagnostics de ces plasmas et de découvrir des phénomènes inconnus ou négligeables dans d’autres conditions de température et de densité.

5.1.3 Diagnostiquer les plasmas ultra-froids

Outre la mesure du nombre d’électrons et d’ions par des techniques de temps de vol, la pre-mière technique de diagnostic des plasmas ultra-froids fut mise en œuvre en 1999 par l’équipe du NIST. Elle permet de déterminer la densité électronique ne en excitant les électrons du plasma grâce à un petit champ électrique radio-fréquence externe (voir aussi le travail de [Bergeson and Spencer, 2003]). Lorsque cette radio-fréquence atteint la valeur de la pulsation plasma ωe =p

nee2/(meε0), le mouvement des électrons est fortement amplifié et des électrons sont chauffés et éjectés du plasma. En mesurant, en fonction de la radio-fréquence, le nombre de ces électrons sur un détecteur placé autour du plasma on peut connaître ωe et donc ne. Ce type d’expérience est l’exemple même de l’utilisation possible d’un plasma ultra-froid comme système simple pour l’étude des effets collectifs, des instabilités ou des fluctuations d’un plasma

induits par un champ extérieur comme le prouve aussi l’amélioration de cette technique réalisée en 2006 par le groupe de Steve Rolston [Fletcher et al., 2006].

En 2004 une technique de diagnostique performante apparut dans l’équipe de Thomas Killian [Simien et al., 2004] : la spectroscopie d’absorption. Un faisceau laser de longueur d’onde correspondant à la transition de l’ion et traversant le plasma donne, sur une caméra CCD, l’image de la densité ni des ions. Cette technique convient aux ions (béryllium, strontium, ...) ayant encore un électron de valence, et donc une transition d’excitation de l’ion dans le do-maine visible. Malheureusement, elle ne convient pas aux ions alcalins (rubidium ou césium par exemple) ou de gaz rare (xénon). L’élargissement en fréquence, lié à l’effet Doppler créé par le mouvement des ions, permet de déduire la température ionique Ti du plasma. En étudiant la taille du nuage en fonction du temps on en déduit la vitesse d’expansion radiale ∼pkBTe/mi des ions due à la pression des électrons. La spectroscopie d’absorption permet donc d’avoir accès aux paramètres ni, Ti et de manière un peu indirecte à Te et ceci à n’importe quel ins-tant de l’évolution du plasma. Ces études démontrèrent de façon évidente que les ions, bien que créés originellement à très basse température (Ti ∼ 100 µK), sont créés dans l’état de désordre spatial préexistant dans le nuage d’atomes refroidis par laser. Ainsi et de façon très similaire aux électrons initiaux, ces ions se mettent en mouvement pour rechercher un état plus ordonné en atteignant finalement une température Ti ∼ 1 K en un temps de l’ordre de grandeur de la centaine de nanoseconde. Ceci rend là aussi impossible l’observation du régime corrélé [Pohl et al., 2004c, Pohl et al., 2004b, Simien et al., 2004]. Mais la possibilité d’utiliser un laser externe pour agir sur les ions en les refroidissant par exemple, ou même en les piégeant en réseau permettrait selon des simulations du groupe de Dresde d’atteindre enfin ce régime [Pohl et al., 2004a].

5.1.4 Réchauffement initial et modélisation

L’observation au NIST [Kulin et al., 2000] d’une expansion rapide du nuage lié à un chauf-fage rapide des électrons élevant leur température à Te ∼ 10 K montra que cela éloignait le système du régime corrélé, comme lors des expériences historiques d’Orsay. Ce résultat fut in-terprété comme provenant de plusieurs effets. Le moins important est un effet d’abaissement du continuum [Hahn, 2002, Mazevet et al., 2002] reflétant le fait que les interactions coulom-biennes abaissent le seuil d’ionisation d’un atome dans le plasma et qu’un électron que l’on croyait juste sous le seuil d’ionisation se retrouve ionisé. Un effet plus important, proche du "paradoxe de Langmuir" dans les plasmas de décharges [Tkachev and Yakovlenko, 2001a] ou, comme je l’ai ensuite montré, du phénomène de "relaxation violente" dans les amas d’étoiles [Comparat et al., 2005, Murillo, 2007], provient du désordre spatial initial des électrons créés amenant instantanément un accroissement de leur énergie cinétique lorsqu’ils s’approchent des ions voisins [Kuzmin and O’Neil, 2002b]. Mais, comme pour les plasmas cryogéniques, l’effet do-minant est la recombinaison à trois corps qui fut rapidement observée via la formation d’atomes de Rydberg [Killian et al., 2001]. Finalement la pression du gaz d’électrons amène enfin à l’ex-pansion quasiment-autosimilaire (conservant la forme gaussienne) du plasma et à sa dilution au cours des quelques dizaines de microsecondes de vie de celui-ci [Kulin et al., 2000]. Le nuage s’étend ainsi sous l’effet de la pression des électrons.

Au cours de ces années de nombreuses modélisations furent entreprises. Le groupe de O’Neil [Kuzmin and O’Neil, 2002b, Kuzmin and O’Neil, 2002a] utilisa des codes à N -corps dérivés des codes astrophysiques. Le groupe de Dresde (Thomas Pohl, Thomas Pattard et Jan Michael

5.1. INTRODUCTION ET CONTEXTE INTERNATIONAL 51 Rost) utilisa plusieurs méthodes qui vont d’une dynamique moléculaire [Pohl et al., 2004b] à des équations de taux [Pohl et al., 2003]. Des méthodes Monte-Carlo furent développées par Francis Robicheaux [Robicheaux and Hanson, 2002, Robicheaux and Hanson, 2003]. Elles permettent d’incorporer plus facilement les recombinaisons à trois corps et les aspects radiatifs.

En dehors du fait qu’elles permettent de modéliser les expériences, les théories furent prédictives. La question d’une onde de choc ionique lors de l’expansion du plasma fut par exemple débattue, mais on s’aperçut de façon théorique, avant la vérification expériemen-tale, que celle-ci était moins forte si l’on prenait en compte les corrélations électroniques [Robicheaux and Hanson, 2003, Pohl et al., 2004b, Killian et al., 2007]. Des codes de plus en plus puissants, et souvent inspirés des codes astrophysiques, sont développés comme en té-moigne le ”tree code” développé très récemment à Los Alamos [Jeon et al., 2008].

5.1.5 Ionisation des atomes de Rydberg

La physique entourant les plasmas ultra-froids fut enrichie en l’an 2000 grâce à l’observation, par l’équipe du laboratoire Aimé Cotton (j’étais alors en post-doc aux Etats-Unis) et par celle de Thomas Gallagher du phénomène inverse de la recombinaison à trois corps : l’ionisation "spon-tanée" d’un gaz de Rydberg dense et froid [Robinson et al., 2000]. Ce genre d’ionisation fut étudiée, avec des atomes en jet, dès 1982 par le groupe de Serge Haroche [Vitrant et al., 1982]. Cette "autoionisation" peut sembler paradoxale car l’énergie cinétique pour ioniser ces atomes ne semble pas facilement disponible dans ces échantillon froids. Le démarrage du processus est en effet complexe et plusieurs phénomènes entrent en jeu. Un atome de Rydberg peut être ionisé en absorbant le rayonnement infrarouge du corps noir provenant des parois de l’enceinte qui sont à température ambiante. Une autre voie d’ionisation possible est d’ioniser l’atome par collision avec un proche voisin grâce à la vitesse importante créée par les forces attractives entre atomes.

Cette ionisation (Penning) fut observé par [Walz-Flannigan et al., 2004] et par nous-mêmes [Li et al., 2004]. Le rôle des forces dipolaires entre atomes froids dans la formation du plasma a été mis en évidence par [Li et al., 2005] mais des études plus récentes ont montré un ré-sultat surprenant : même si les forces sont répulsives, comme dans le cas d’atomes Rb(ns) [Amthor et al., 2007b], une ionisation est toujours présente. L’effet du corps noir couplé à un effet radiatif collectif ou couplé à une dynamique spatiale fut mentionné car cela permet-trait de transformer une situation répulsive en une situation attractive [Reinhard et al., 2008, Amthor et al., 2007a]. La compréhension de ces phénomènes est actuellement un de nos su-jets d’étude avec un article en préparation avec Thomas Gallagher que je vais décrire dans la section suivante [Viteau et al., 2008]. Les collisions entre les électrons piégés et les atomes de Rydberg peuvent aussi modifier l’état de l’atome en changeant son nombre quantique principal et/ou en changeant le moment angulaire de rotation de son électron comme observé en 2001 par le groupe de Georg Raithel [Dutta et al., 2001]. Les atomes de Rydberg dont l’énergie de liaison est inférieure à ∼ 4kBTe, i.e. à quelques fois l’énergie cinétique moyenne d’un électron libre du plasma, sont ionisés [Mansbach and Keck, 1969, Robicheaux and Hanson, 2003]. Les atomes de Rydberg plus liés, quant à eux, voient leur nombre quantique principal n diminuer rapidement ; ils vont rapidement se désexciter par émission spontanée dans leur état fonda-mental et ils deviennent alors spectateurs de l’évolution ultérieure du système. Ces prédictions [Tkachev and Yakovlenko, 2001b, Robicheaux and Hanson, 2003] furent confirmées qualitative-ment par des expériences [Killian et al., 2001, Li et al., 2004, Walz-Flannigan et al., 2004].

Ces études nous ont suggéré, en 2004, l’idée d’ajouter des atomes de Rydberg, ayant une énergie de liaison inférieure à 4kBTe, à un plasma ultra-froid afin de refroidir celui-ci lors du processus dominant d’ionisation [Vanhaecke et al., 2005]. La mesure de Tefut donc un enjeu im-portant afin de savoir si le refroidissement est efficace ou non [Gupta et al., 2007]. Il fut montré, conjointement par le groupe de S. Rolston [Roberts et al., 2004] (voir aussi leur travail récent [Fletcher et al., 2007, Dumin, 2008]) et par notre groupe, que d’une façon un peu similaire au processus d’évaporation dans les condensats de Bose-Einstein, le nombre d’électrons éjectés par un pulse électrique calibré donne des informations sur leur température. De plus la théo-rie que je développai [Comparat et al., 2005], en analogie avec l’évolution des amas globulaires stellaires [Lyman Spitzer, 1987], permit de montrer analytiquement que la distribution d’équi-libre électronique est une maxwellienne abaissée appelée distribution de Kramers (1940)-Michie (1963)-King (1965), ce qui nous permit aussi d’estimer le température électronique de notre échantillon. Nous avons ainsi collaboré avec le groupe théorique de Dresde [Pohl et al., 2006] et cette collaboration confirma définitivement que l’ajout d’atomes de Rydberg permet un refroi-dissement des électrons du plasma. Malheureusement cet effet est temporaire car le processus de recombinaison à trois corps vient toujours réchauffer l’échantillon.