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1.1

Intérêts et applications des boîtes quantiques auto-assemblées

L’utilisation d’hétérostructures quantiques dans des dispositifs électroniques et optoélectroniques améliore les performances de ces derniers en permettant, par l’ingénierie des bandes de conduction et de valence, l’optimisation du confinement ou encore du transport des porteurs de charge (les électrons et les trous). Les boîtes (ou points) quantiques (BQ) sont des nanostructures dans lesquelles se produit un confinement tridimensionnel des porteurs de charge; elles comportent donc une densité d’états électroniques discrète. Elles ont été proposées pour plusieurs applications : les diodes lasers [1], les photodétecteurs infrarouges [2], les transistors à un seul électron [3,4], etc. Il a été prédit que les performances des lasers à BQ pouvaient surpasser celles des dispositifs à puits quantiques (PQ) grâce à un gain spectral étroit, une densité de courant de seuil moins importante et une faible dépendance en température de ces deux paramètres [1]. Dans le cas des photodétecteurs infrarouges, les dispositifs intégrant des BQ permettraient un courant d’obscurité plus faible et un gain photoélectrique plus élevé [2] et seraient moins sensibles aux variations de température que ceux à PQ [5]. De plus, les BQ sont sensibles au rayonnement à incidence normale, contrairement aux puits [2].

Les semi-conducteurs III-V présentent plusieurs avantages par rapport aux alliages IV-IV (de Si et de Ge) pour l’intégration aux diodes lasers : ils possèdent une bande interdite directe, une mobilité électronique plus élevée et les effets quantiques y surviennent pour des nanostructures de plus grande taille (à cause de leurs masses effectives plus faibles). La plupart des études sur les boîtes quantiques de semi-conducteurs III-V portent sur le système InAs/GaAs. Des diodes lasers et des amplificateurs optiques à BQ sur substrat de GaAs pour les applications à 1,3 µm sont d’ailleurs commercialisés actuellement (voir par exemple [6]). Les BQ d’InAs/InP sont également d’un grand intérêt technologique, puisqu’elles peuvent être utilisées pour la fabrication de lasers émettant à 1,55 µm [7-10] et pour les photodétecteurs à rayons infrarouges lointains (absorption à 10-20 µm) [11,12].

Les boîtes quantiques sont en général fabriquées par auto-assemblage : lors de l’épitaxie d’un matériau ayant un paramètre de maille relativement plus élevé (désaccord de maille supérieur à ∼ 3%) que celui du substrat, il est possible de stimuler l’arrangement spontané des

atomes en amas, formant ainsi des îlots de taille nanométrique. Ces derniers agiront comme des boîtes quantiques si la largeur de leur bande interdite est inférieure à celle de la matrice les entourant, qui fera alors office de barrière de potentiel. Cette dernière est habituellement constituée d’un matériau dont le paramètre de maille est le même que celui du substrat. Selon la combinaison de matériaux utilisée, la croissance épitaxiale peut d’abord être plane pour quelques monocouches, puis des îlots vont ensuite germer sur cette couche de mouillage. L’utilisation d’une telle technique d’auto-assemblage est nettement avantageuse pour la fabrication de dispositifs par rapport à la définition de motifs par des techniques de lithographie/gravure qui, en plus d’être complexes et limitées à une taille minimale, engendrent généralement des interfaces de piètre qualité entre les boîtes quantiques et la matrice, ce qui dégrade fortement leur émission optique (voir par exemple [13]).

1.2 Défis associés à l’intégration des boîtes quantiques auto-assemblées

d’InAs/InP à des dispositifs

1.2.1 Inhomogénéité des boîtes quantiques auto-assemblées

La principale limite à la performance des dispositifs à boîtes quantiques auto-assemblées est la non uniformité en taille des îlots formés lors de la croissance. Des calculs ont en effet montré que l’inhomogénéité des niveaux d’énergie résultant de la distribution de taille cause l’augmentation du courant d’obscurité et la diminution du pic d’absorption des photodétecteurs à BQ [14], en plus de l’élargissement de la réponse spectrale, ce qui explique les performances en deçà des prédictions obtenues jusqu’à maintenant pour ce type de dispositifs. De manière similaire, pour les lasers, l’inhomogénéité en taille des BQ cause un élargissement du pic d’émission, de même qu’une augmentation du courant de seuil [15].

Toutefois, il a été observé que l’empilement de plusieurs couches de BQ auto-assemblées mène, dans certaines conditions, à l’amélioration de l’uniformité de la taille et de la distribution latérale des îlots d’une couche à l’autre [16-19]. En effet, les îlots enfouis génèrent dans les couches de séparation (voir Figure 1-1) des champs de déformation qui créent des sites

préférentiels de germination sur les couches subséquentes et donc une auto-organisation* tridimensionnelle (3D) des BQ dans la multicouche. Deux régimes d’auto-organisation ont été observés : (i) l’alignement vertical, pour lequel les BQ croissent les unes au-dessus des autres et (ii) l’anti-alignement, lorsque les BQ germent à des positions latérales situées entre celles de la couche précédente. Ils sont schématisés à la figure 1-1. Le régime aligné est caractérisé par un accroissement de la taille des nanostructures d’une couche à l’autre [16,18,20-23], tandis que les structures anti-alignées présentent une bien meilleure uniformité à travers la multicouche [20-23]. Le régime anti-aligné est donc tout indiqué pour l’obtention d’un réseau périodique tridimensionnel de boîtes quantiques.

a)

Couche

b)

d’encapsulation

Couche de

mouillage

Couche de séparation

a)

a)

Couche

b)b)

d’encapsulation

Couche

d’encapsulation

Couche de

mouillage

Couche de

mouillage

Couche de séparationCouche de séparation

Figure 1-1 : Représentation schématique des régimes d’auto-organisation dans les multicouches : a) alignement vertical et b) anti-alignement des îlots d’un plan à l’autre. La matrice (InP dans notre cas) est représentée en gris foncé, tandis que le matériau constituant les BQ (InAs ici) est en gris pâle.

On peut également tirer profit de l’alignement vertical des îlots afin de rapprocher suffisamment les BQ des différents plans pour provoquer leur interaction électronique (ou couplage) et le transfert des porteurs de charge vers les nanostructures des couches supérieures, dont le niveau fondamental est de plus faible énergie. Comme ces dernières présentent une meilleure uniformité en taille, une diminution de la largeur du pic d’émission des BQ peut être

* L’auto-assemblage désigne la formation spontanée d’îlots lors de la croissance, tandis que le terme « auto-

organisation » est utilisé pour qualifier l’arrangement tridimensionnel ordonné des îlots qui résulte des champs de déformation générés par les îlots enfouis des couches précédentes.

obtenue pour des multicouches de faible période par rapport à un plan unique de nanostructures, et ce, malgré l’augmentation systématique de la taille des îlots [17,24-27].

1.2.2 Défis reliés à la croissance pour le système de matériaux InAs/InP

En ce qui a trait au système InAs/InP, le retard technologique pour ces matériaux par rapport au système InAs/GaAs s’explique par la complexité accrue de leur fabrication. Premièrement, les difficultés associées à la croissance d’alliages comprenant du phosphore par épitaxie à jets moléculaire (MBE pour Molecular Beam epitaxy), la technique de dépôt la plus utilisée en recherche à cause de sa simplicité par rapport à celles utilisant des précurseurs chimiques et du fait qu’on peut l’allier à plusieurs techniques de caractérisation in situ, ont fortement contribué au fait que les îlots crus sur substrat d’InP ont été relativement peu étudiés.

D’autre part, il est plus difficile de produire des interfaces abruptes et de qualité entre des couches de matériaux dont l’élément V n’est pas le même, comme il sera exposé aux sections 2.1.3 et 3.1.4, où nous reviendrons plus en détail sur la croissance d’îlots auto-assemblés d’InAs/InP.

1.3 Objectifs et organisation de la thèse

L’objectif général de cette thèse est de mettre à profit l’organisation spontanée des îlots lors de la croissance de multicouches afin d’améliorer les propriétés optoélectroniques des BQ auto-assemblées, et ce, pour le système InAs/InP, relativement peu étudié. Il est sous-tendu par les objectifs spécifiques suivants :

1. Clarifier les mécanismes d’auto-organisation afin d’obtenir le type d’arrangement tridimensionnel approprié à l’application visée.

2. Rapprocher suffisamment les îlots afin de générer du couplage électronique entre les boîtes quantiques des différents plans.

3. Étudier l’effet des propriétés structurales des multicouches (nombre de couches, épaisseur de la couche de séparation et taille des îlots) sur la dynamique des porteurs de charge, en particulier leur transfert entre les boîtes quantiques et les couches de mouillage, et sur la stabilité en température en résultant.

Afin de mieux comprendre le contexte scientifique ayant mené à ces objectifs, une revue de la littérature est d’abord présentée au chapitre 2. Une brève introduction aux mécanismes d’auto-assemblage y est d’abord faite, suivie d’un relevé des connaissances actuelles sur les propriétés d’auto-organisation et de luminescence des multicouches d’îlots de semi-conducteurs III-V.

Les techniques utilisées pour l’épitaxie et la caractérisation des échantillons sont ensuite explicitées dans le chapitre 3.

Le chapitre 4 traite de l’organisation dans les multicouches de BQ en fonction des propriétés (densité et taille des nanostructures) de la première couche d’îlots déposée. La première section (4.1) est pour cela dédiée à l’étude de la morphologie d’une couche simple d’InAs déposée, en particulier à la corrélation importante entre la taille et la densité des îlots causée par la cinétique des atomes sur la surface lors de l’auto-assemblage. La section suivante (4.2) porte sur le contrôle du type d’auto-organisation tridimensionnelle des îlots ainsi que sur la fabrication d’échantillons comportant des BQ alignées avec de minces couches de séparation, en vue de l’étude de leurs propriétés optiques.

Le chapitre 5 s’attarde quant à lui à la luminescence des multicouches en fonction de leurs propriétés structurales (nombre de couches et leur distance de séparation, taille et densité des îlots), ainsi qu’à leur comportement en fonction de la température. Nous étudions en particulier l’interaction entre les boîtes quantiques et les couches de mouillage d’InAs/InP, qui diffère considérablement de la dynamique observée sur substrat de GaAs.

Deux sections ont été remplacées par des articles rédigés en anglais. Le premier, présenté à la section 4.2.1, a été publié dans la revue Physical Review Letters et le second a été soumis pour publication dans le périodique Physical Review B (section 5.2.1). Nous les précédons d’un court résumé en français.

Nous concluons au chapitre 6 avec une discussion générale des résultats, suivi des perspectives et recommandations.