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C. Discussion

2. Interprétation des variations de composition chimique à l’échelle des bancs

L’hétérogénéité de composition chimique à petite échelle dans les grès est le résultat de la superposition plus ou moins complexe de divers phénomènes comme le transport, la sédimentation, la diagenèse ou l’altération de surface, que nous avons présentés dans le chapitre I. Nous les reprenons ici pour interpréter la variabilité chimique observée au sein des sections.

Le traitement du signal est délicat car il contient à la fois des caractéristiques primaires, fournies par les éléments inertes, et des informations relatives aux processus secondaires (diagénétiques), portées par les éléments mobiles. C’est pourquoi, l’analyse des compositions est un exercice qui nécessite des allers et retours incessants entre ces deux composantes du problème.

a. Variations liées à la composante minéraux lourds, ML

Dans ce paragraphe, nous nous efforcerons de discuter l’origine primaire de la distribution des éléments caractéristiques des minéraux lourds. En effet, il apparaît que ces éléments ont un comportement inerte (cf. infra).

L’existence de corrélations marquées entre les teneurs de constituants tels que TiO2 et Zr dans les

grès a déjà été notée dans des séries sédimentaires anciennes (Haussinger & Kukla 1990, Garcia et al. 1991). Cependant, ces corrélations ne sont possibles qu’en l’absence de tri entre les minéraux lourds. Il faut alors identifier le processus qui sépare efficacement les minéraux lourds du reste du grès sans affecter de manière notable leurs proportions relatives. Ce processus sédimentaire appelé entrainment sorting est attribué au tri des particules traînées sur le fond en milieu aquatique. Il est responsable de la formation des placers dans les sables côtiers, et a été observé et modélisé à plusieurs reprises

(petits) minéraux lourds par soustraction en un dépôt résiduel peu épais (figure I.3). L’efficacité d’un tel tri dépend de l’environnement sédimentaire (Reid & Frostick, 1985 ; Dill, 1998), qui conditionne le type de transport des particules, et de divers paramètres granulométriques et minéralogiques (Slingerland 1977, 1984 ; Komar & Wang, 1984). Elle peut être appréciée par l’amplitude des variations de teneur en Zr au sein des sections. Le tri est très efficace dans les chenaux où les faciès montrent une variabilité considérable des teneurs en Zr. Au contraire, dans le faciès de grès de shoreface (section RV18B), les variations relatives de teneur en Zr sont moindres. Il est probable qu’aux effets de vannage se superpose un brassage important du matériel, avec remise en suspension, sous l’effet des vagues, des différents courants et des tempêtes.

Il est remarquable de constater la subsistance de ces corrélations entre le zirconium dont le minéral détritique porteur, le zircon, est encore présent dans la roche et des éléments tels que Cr, Sc, V, dont les minéraux primaires porteurs, en particulier la magnétite et l’ilménite, ont été complètement dissous et/ou transformés en oxydes de titane lors de la diagenèse (planche III.5). De ce fait, le signal géochimique résultant du tri primaire opéré par les processus de transport et de dépôt est susceptible de subsister à la suite de la disparition totale des minéraux détritiques, si les constituants concernés sont suffisamment inertes au cours de la diagenèse, comme cela semble être le cas pour les constituants tels que Cr, Sc, V. Cette propriété peut être exploitée lorsque l’enfouissement profond a entraîné la dissolution des minéraux lourds et ne permet plus leur observation pétrographique (Milliken, 1988 ; Morton, 1984 ; Morton & Hallsworth, 1999).

b. Variations liées à la composante diagenèse précoce, DP

La composante DP, caractérisée par un enrichissement en Fe et Mn notamment, est présente essentiellement dans la section RV18C et dans l’ensemble du Sycarham Member. Il n’existe alors pas de relation particulière entre les abondances des composantes DP et AL. Les teneurs en Al2O3 et

Fe2O3 sont globalement indépendantes. Comme cette composante géochimique représente ce qu’il

reste d’un ciment précoce, la sidérite, la distribution initiale de ce carbonate au sein du grès n’est pas contrôlée par celle de la fraction alumineuse du sédiment. Toutefois, la formation de sidérite fait appel au processus de dégradation de la matière organique par oxydation (Berner, 1964, 1981 ; Curtis & Coleman, 1986). Par conséquent, la distribution initiale de la matière organique dans le sédiment a pu jouer un rôle important. Nous reviendrons sur cet aspect plus loin lorsque nous discuterons des variations latérales du fer.

c. Variations liées à la fraction alumineuse, AL

La fraction alumineuse est caractérisée par des phases minérales qui portent des éléments dont le comportement est très variable. Ainsi, les éléments tels que le sodium et le potassium ont été mobilisés lors de la diagenèse. Quant à l’aluminium, sa mobilité sera discutée dans ce paragraphe. Nous allons donc préciser les caractéristiques primaires que l’on peut mettre en évidence à travers les variations relatives à cette composante géochimique, avant de discuter longuement de l’influence de la diagenèse sur la distribution élémentaire.

La variabilité des teneurs en Al2O3 est vraisemblablement liée au tri sédimentaire. La présence de

surcroissances de quartz peut avoir un effet indirect sur les teneurs en Al2O3 mais il est difficile

d’admettre que les variations de Al2O3 résultent uniquement de la mobilité de la silice. En effet, ceci

impliquerait que le litage du grès est essentiellement d’origine diagénétique. Il faut donc considérer qu’au tri des minéraux lourds, s’ajoute, lors du dépôt, un tri assez important entre le quartz et le reste du matériel, la fraction alumineuse. A la différence de la ségrégation invoquée dans de nombreux travaux sur la géochimie des sédiments clastiques (Wyborn & Chappell, 1983 ; Sawyer, 1986 ; Argast & Donnelly, 1987 ; Bloch & Hutcheon, 1992 ou encore Fralick & Kronberg, 1997), la ségrégation observée ici n’est pas un tri entre les minéraux grossiers et les minéraux fins et argileux, mais entre le quartz et une fraction clastique comprenant les feldspaths, le mica détritique et les lithoclastes. Ainsi, dans les sections RV18C et F dont le feldspath actuel est exclusivement de l’albite, les seules phases susceptibles de contenir K et Mg sont les résidus des fragments lithiques et des micas détritiques non altérés par la diagenèse. Les variations chimiques observées dans les sections montrent que l’abondance de cette fraction varie proportionnellement à celle de l’albite (figure III.9). On peut donc raisonnablement suggérer que, lors de la sédimentation, il se produit peu de ségrégation locale entre les lithoclastes et les feldspaths détritiques. Toutefois, ce comportement remarquable est difficile à interpréter. Le processus de sédimentation rendrait possible, à l’échelle du banc, le tri entre les minéraux alumineux et le quartz détritique mais difficile la ségrégation entre les divers constituants de la fraction alumineuse. Une explication possible, semblable à celle proposée par Kairo et al. (1993) réside dans le fait que les distributions granulométriques des feldspaths et des lithoclastes sont probablement assez voisines, mais différentes de celle du quartz (plus gros), relativement moins altérable, et que ces deux classes ont des propriétés hydrauliques distinctes.

La distribution de la kaolinite, d’origine diagénétique, et les variations de composition qui y sont associées, permettent de discuter la mobilité de l’aluminium au cours de la diagenèse, un débat toujours actuel (voir par exemple Wilkinson & Haszeldine (1996) et la discussion d’Oxtoby et al. (1997) sur ce

l’aluminium. Ainsi, les observations pétrographiques ont montré que la kaolinite ne remplace pas in situ d’éventuels précurseurs alumineux : il est courant d’observer un feldspath albitisé et partiellement dissous sans que les cavités de dissolution contiennent de la kaolinite. Souvent décrites dans la littérature (Boles, 1984 ; Giles & DeBoer, 1990 ; MacAulay et al., 1993 ; Beaufort et al., 1998), ces textures suggèrent que l’aluminium a été déplacé sur de courtes distances, engendrant alors une dispersion dirigée vers le pôle Al (ou Al-Na) dans les représentations ternaires de la figure III.9. L’abondance de la kaolinite et ses variations permettent également de discuter de la mobilité de l’aluminium à plus grande échelle. En effet, le diagramme Al/K/Na (figure III.9) fait apparaître que les variations d’abondance relatives entre albite et kaolinite sont faibles dans une section donnée. Il en résulte que la proportion de kaolinite reste, au premier ordre, proportionnelle à l’abondance de la fraction alumineuse à l’échelle des bancs, ce que traduisent aussi les corrélations entre Al2O3 et Na2O

dans chaque section (figure III.8). La kaolinite est donc plus abondante, relativement, dans les échantillons riches en albite et en lithoclastes. Si l’aluminium nécessaire à la néoformation de la kaolinite n’était pas pris sur place mais transporté à grande échelle, on pourrait rencontrer, par exemple, des échantillons riches en kaolinite et pauvres en albite (et inversement) au sein d’une même section. Au contraire, l’aluminium se comporte comme un constituant pratiquement inerte, même si des redistributions très locales sont constatées. Par conséquent, la teneur en Al2O3 des grès fournit une

mesure de leur contenu initial en matériel alumineux. Dans les faciès continentaux examinés ici, le contenu en Al des grès diminue depuis le bas de la série jusqu’à la Scalby Formation, à l’exception des grès marins de shoreface de la section RV18B : cette tendance pourrait bien représenter une évolution vers un type de source de plus en plus mature au cours du temps.

Toutefois, les variations chimiques observées ne permettent pas nécessairement de conclure au caractère inerte ou non d’un élément. En effet, certaines observations montrent qu’une partie de l’albite contenue dans les grès est d’origine diagénétique, et donc que la roche a été enrichie en Na2O.

Cependant, l’enrichissement en sodium n’affecte que la composante AL du grès, et en modifie le rapport Na/Al sans perturber la distribution du quartz. Par conséquent, les variations de concentration en Na2O dans les sections restent proportionnelles à celles de Al2O3. Un constituant mobile peut donc

suivre une distribution similaire à un élément inerte. Dans ce cas, l’analyse géochimique des sections ne fournit pas de critère simple pour décider si un constituant a été déplacé ou non lors de la diagenèse.

d. Caractérisation chimique des composantes ML et AL Informations sur la provenance

Les composantes QZ et DP ne concernent qu’un faible nombre de constituants chimiques (essentiellement Si, Fe, Mn). Ce sont les composantes ML et AL qui portent l’essentiel du signal géochimique. Les constituants majeurs tels que Al, Na, K, Mg sont portés par la composante AL. La répartition des éléments mineurs et des traces (Ti, P, Cr, Sc, V, Y, Ce, Th...) dans les phases minérales est plus compliquée car ces éléments se distribuent entre ces mêmes composantes, comme le montrent les distributions observées sur la figure III.6. Toutefois, ces représentations ne sont pas idéales car la composante QZ (et, dans une moindre mesure, DP) introduit une dispersion supplémentaire en direction de l’origine.

L’utilisation de représentations ternaires faisant intervenir Al et des éléments portés par les minéraux lourds, telles que celles présentées sur la figure III.11, permet de contourner cette difficulté. Dans ces projections triangulaires, Si et Fe n’interviennent pas et la position des points n’est pas affectée par l’abondance des composantes QZ et DP. On peut donc visualiser la ségrégation entre les composantes ML et AL. Il apparaît ainsi sur les représentations de la figure III.11 que chaque section s’apparente à un mélange entre deux pôles dont on peut préciser la signature chimique. La composante ML est caractérisée par la quasi-absence d’aluminium. Sa composition se trouve alors sur le côté opposé au sommet Al : sur la figure III.11, ce sont ainsi les rapport Cr/Zr et Sc/Zr de la composante ML qui peuvent être évalués pour chaque section. On peut également définir la composante ML par les rapports de teneur entre Ti, V, Ce, Y et Zr.

De même, la composition du pôle AL, de teneur très faible, voire nulle, en Zr peut être lue sur l’axe opposé au sommet Zr, sur la figure III.11. Pour chaque section, le rapport Cr/Al caractérise approximativement le contenu en Cr de la composante AL. L’opération peut être répétée pour d’autres constituants, ce qui permet de caractériser la composante AL par une série de rapports tels que Ti/Al, V/Al, Sc/Al, Ce/Al, Y/Al.

Une autre possibilité consiste à normaliser les concentrations à une teneur donnée en Al, afin de faire disparaître la dispersion engendrée par l’abondance variable de la silice. Présenté sur la figure III.12, le diagramme Zr*/Cr*, normalisé à 15% d’aluminium, montre des dispersions linéaires des différentes sections plus nettes que celles de la figure III.6. Pour chaque section, dans ce type de représentation, la pente est alors caractéristique du cortège des minéraux lourds et l’ordonnée à l’origine (ou son voisinage) est la signature chimique de la composante AL.

SCALBY SCARBOROUGH GRISTHORPE MILLEPORE BED SYCARHAM CLOUGHTON ELLERBECK SALTW ICK Formations grès argileux, lagon grès propre, upper shoreface grès argileux, middle shoreface grès très argileux, lower shoreface hardground grès argileux, marin carbonates marins argiles marines grès propre, fluviatile grès argileux, fluviatile grès très argileux, fluviatile

grès propre, chenal à méandres deltaïque grès propre, chenal distributaire deltaïque grès argileux, chenal distributaire deltaïque grès argileux à très argileux, épandage de crevasse argiles de plaine d’inondation

Faciès & environnements de dépôt Sections RV18 Sections LN15

A B J K E C D, I G, H F A B C D Zr 20.Sc 50.Al 0,8.Zr 5.Cr 0,8.[50.Al] LN15 - RV18sections

Figure III.11 : Diagrammes ternaires Al/Zr/Cr et Al/Zr/Sc (en proportions molaires) relatifs aux sections des sondages LN15 et RV18. Ceux-ci permettent de caractériser la signature chimique des composantes « minéraux lourds » et « fraction alumineuse ». On peut remarquer que les grès du sondage LN15 présentent des rapports Cr/Zr et Sc/Zr, caractéristiques de la composante ML, différents des sections RV18A, C, K et F. Par ailleurs, le rapport Cr/Al de la section RV18F, caractéristique de la composante AL, est particulièrement élevé en raison de l’abondance de fragments lithiques d’origine volcanique.

SCALBY SCARBOROUGH GRISTHORPE MILLEPORE BED SYCARHAM CLOUGHTON ELLERBECK SALTW ICK Formations grès argileux, lagon grès propre, upper shoreface grès argileux, middle shoreface grès très argileux, lower shoreface hardground grès argileux, marin carbonates marins argiles marines grès propre, fluviatile grès argileux, fluviatile grès très argileux, fluviatile

grès propre, chenal à méandres deltaïque grès propre, chenal distributaire deltaïque grès argileux, chenal distributaire deltaïque grès argileux à très argileux, épandage de crevasse argiles de plaine d’inondation

Faciès & environnements de dépôt Sections RV18 Sections LN15

A B J K E C D, I G, H F A B C D 0 1000 2000 Zr* (ppm) 0 200 Cr* (ppm) 400 0 Zr* 0 Cr* (Ti*, P*, V*, Sc*, Y*)

droite de mélangela pente représente les proportions relatives entre le zircon et les autres minéraux lourds

l’ordonnée à l’origine est représentative de la composition de la fraction alumineuse : feldspaths, micas et lithoclastes

sections LN15 - RV18

Figure III.12 : Diagramme Zr*/Cr* relatif aux sections des sondages LN15 et RV18 et schéma interprétatif des corrélations observées au sein de chaque section gréseuse. Les concentrations sont normalisées à 15% d’Al2O3, afin d’effacer la dilution engendrée par le quartz. La comparaison avec la figure III.6 montre que les distributions des grès ne

On peut constater, en effet, tant sur les représentations ternaires de la figure III.11 que sur le diagramme binaire de la figure III.12 que l’on différencie aisément les sections gréseuses. On peut observer notamment que les sections A et B du sondage LN15 présentent des caractéristiques différentes pour la composante ML de la section A du sondage RV18. A l’exception des sections RV18 A et B, les dispersions engendrées sur les représentations ternaires de la figure III.12 interceptent l’axe caractéristique du pôle ML (Zr/Cr et Zr/Sc) sur une zone restreinte. En revanche, la signature chimique de la composante AL est très variable d’une section à l’autre. Par conséquent, le matériel initial constituant les différents bancs gréseux étudiés était très diversifié.

Les figures III.11 et III.12 illustrent également le contraste entre la composition chimique de la composante AL du grès et celle des niveaux fins et argileux. Les variations de composition chimique que l’on observe dans les sections de grès ne témoignent pas d’une contribution des lithologies argileuses de la formation sédimentaire : les grès étudiés ici sont propres (i.e. sans matrice argileuse primaire), et leur composition chimique ne correspond pas à des mélanges entre plusieurs fractions granulométriques. A propos des niveaux argileux, il est intéressant de souligner que, dans ces représentations (figures III.9, III.11 et III.12) où la dilution par le quartz est effacée, les shales ont une signature géochimique particulièrement stable et peu variable à une échelle supérieure à l’unité stratigraphique.