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1. Présentation générale

Les Grès d’Annot constituent une formation gréseuse turbiditique déposée durant l’Eocène supérieur et l’Oligocène inférieur. Ces dépôts de plus de 1000 m d’épaisseur ont rempli des gouttières morphologiques façonnées lors de la formation du bassin d’avant-pays alpin (bassin nummulitique). Les Grès d’Annot affleurent dans plusieurs secteurs du sud-est de la France entre Barcelonnette et Nice. Six principaux sites ont fait l’objet d’importantes études sédimentologiques : Contes, Peira-Cava, Annot, le Massif du Grand Coyer, le Massif des Trois Evêchés et le Massif de Sanguinière (figure II.9). Cette série est mondialement connue depuis les travaux de Bouma (1959, 1962) qui a défini la séquence type des turbidites de basse densité à Peira Cava et ceux de Stanley (1961) relatifs à l’étude des faciès de grès déposés dans un contexte de cône sous-marin près d’Annot. Depuis lors, cette série continue d’intéresser les sédimentologues du fait du grand nombre d’affleurements de qualité dans les massifs alpins qui permettent ainsi la reconstitution de l’architecture spatiale des réservoirs gréseux turbiditiques (par exemple Joseph & Ravenne, 1998 ; Hurst et al., 1999).

Massif de l’Argentera

Substratum Mésozoïque

Calcaires Nummulitiques et Marnes Bleues

Grès d’Annot

Chevauchements majeurs Barrême

Dormillouse

2. Environnement de dépôt et cadre structural

Le dépôt des Grès d’Annot s’est déroulé dans un contexte de cône sous-marin (figure II.10), caractérisé par l’accumulation de turbidites sur un substratum constitué des Marnes Bleues et Brunes. Cette sédimentation résulte de l’apport soudain de matériel détritique issu essentiellement du bloc corso-sarde (Jean et al. 1985 ; Ravenne et al., 1987), lors de la phase tectonique amorçant l’ouverture de la mer Ligure. Le dépôt des grès d’Annot s’est effectué dans des bassins étroits et confinés (gouttières) (figure II.11), probablement séparés par des hauts-fonds, conduisant à la formation d’onlaps (biseaux d’aggradation) remarquables sur les flancs des bassins (Jean et al., 1985). Ces dépressions se sont développées lors d’une phase de compression dans le cadre de la convergence alpine au cours de l’Eocène. Un régime tectonique relativement complexe, caractérisé par des mouvements de compression et d’extension, a favorisé la formation de fossés étroits, orientés nord- ouest/sud-est, dont les dimensions ont pu atteindre une centaine de kilomètres de long et une dizaine de kilomètres de large (Jean et al., 1985). Plusieurs émissaires de direction nord-sud ont pu alimenter les différents fossés (Stanley, 1961, 1975) (figure II.11). Les mesures des paléocourants, orientés principalement dans la direction d’élongation des bassins, vont dans le sens d’une alimentation depuis le sud (Stanley, 1975 ; Elliott et al., 1985 ; Jean et al., 1985 ; Sinclair, 1994), même si, localement, ces mesures impliquent des sources différentes (Jean et al., 1985). Le dépôt successif de turbidites finit par combler les dépressions, aboutissant à des dépôts marins peu profonds (Sinclair, 1993), voire à un comblement par un système deltaïque progradant pour le sommet de la formation (Heller & Dickinson, 1985). Dans le Massif de Sanguinière, la présence de deux niveaux conglomératiques (coulées de débris, debris-flows), épais de 10 à 20 m et repérés à une échelle régionale, montre que la sédimentation a été perturbée par des événements catastrophiques de grande ampleur tels que séismes ou crues (Jean et al., 1985 ; Ravenne et al., 1987). Ces debris-flows ne sont pas présents dans le secteur d’Annot, ce qui constitue un argument en faveur de l’absence de continuité entre les différents bassins de sédimentation. Plaine alluviale Plateforme continentale Dépôts turbiditiques Plaine abyssale 1 - 10 km 250 - 2000 m Talus

Figure II.11 : Paléogéographie et morphologie des bassins de sédimentation lors de la mise en place des Grès d’Annot (d’après Ravenne et al., 1987).

3. Lithostratigraphie

Les Grès d’Annot constituent une formation gréseuse incluse dans un cycle de sédimentation marine fortement influencée par les mouvements tectoniques (Ravenne et al., 1987). Ce cycle forme la « Trilogie Priabonienne » définie par Boussac (1912) (figure II.12). A la base de cette série s’est déposé un faciès de plate-forme, le Calcaire Nummulitique, en discordance angulaire sur un substratum d’âge Mésozoïque. Le haut de la formation calcaire est enrichi en marnes et se caractérise par des phénomènes de resédimentation gravitaire (Ravenne et al., 1987). Ces calcaires sont surmontés par les Marnes Bleues, riches en calcaire et à faune pélagique. Vers le sommet, du fait de l’augmentation de matériel détritique dans les marnes, celles-ci deviennent les Marnes Brunes, plus riches en argiles et en sables. La formation des Grès d’Annot, résultant de la sédimentation par processus gravitaires, repose en onlap sur les Marnes Bleues et Brunes, soulignant ainsi les paléopentes. Ce sont surtout des grès massifs et grossiers déposés dans de larges chenaux au Sud (Annot, Contes). Plus au Nord, ils laissent place à des corps gréseux plus étendus latéralement et à des niveaux riches en argiles dans les parties distales (Joseph & Ravenne, 1998). Ainsi, la bathymétrie estimée pour les premiers dépôts gréseux est de l’ordre de 900 m à Annot et de 3500 m, plus au Nord, dans la zone de Sanguinière (Ravenne et al., 1987). La formation gréseuse est caractérisée par la succession de bancs massifs amalgamés et de niveaux dits hétérolithiques formés par l’alternance de bancs gréseux décimétriques et de niveaux argileux. Les grès d’Annot ont une épaisseur variable de quelques centaines de mètres à plus de 1200 m suivant la paléotopographie. Dans le Massif de Sanguinière, deux niveaux conglomératiques de debris-flow intercalés dans la formation gréseuse ont perturbé la sédimentation normale des grès à l’échelle régionale. Ils permettent aujourd’hui de corréler les unités gréseuses. Au sommet, les Grès d’Annot évoluent vers une moindre chenalisation et laissent place à des silts bruns appelés Marnes Brunes Supérieures qui traduisent un comblement progressif du bassin (Ravenne et al., 1987).

Enfin, la surrection alpine à la fin de l’Oligocène et au début du Miocène, entraîne l’érosion des Grès d’Annot et leur couverture par la formation des Schistes à Blocs, olistostrome sous-marin (Kerckhove, 1964), auquel succède la mise en place de la Nappe de l’Autapie qui recouvre une grande partie des grès.

NAPPE Schistes à blocs Marnes brunes Lobes, fan et faciès chenalisés Brunes Bleues Conglomérats infranummulitiques Calcaires Marnes

Série des Grès d’Annot

TRILOGIE PRIABONIENNE OLISTOSTROME Surface de ravinement (s = slumps) Debris-flow (niveaux repères) Discordance sédimentaire (onlap) Discordance tectonique anté-nummulitique Faille synsédimentaire

Figure II.12 : Lithostratigraphie schématique (sans échelle) de la série Priabonienne (modifié d’après Ravenne et al., 1987). L’épaisseur de la série peut dépasser 1000 m.