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IV. Discussion

1. Interprétation des résultats

Dans cette partie, nous discuterons des résultats obtenus aux différentes analyses, puis les mettrons en lien avec nos hypothèses théoriques et opérationnelles, mais aussi avec les données de la littérature.

1.1 Lien attention – syntaxe (corrélation et prédiction)

Pour rappel, notre hypothèse théorique était que les performances en syntaxe complexe sont liées aux capacités attentionnelles des enfants francophones DT, TDAH et TDL âgés de 6 à 12 ans. Nous avons effectivement retrouvé plusieurs corrélations significatives entre les mesures attentionnelles et syntaxiques. Notre première tâche de production syntaxique (BILO), corrèle avec notre mesure d’attention sélective (Recherche dans le ciel). Notre seconde tâche de production syntaxique (Pronoms clitiques), corrèle avec notre mesure de MdT (Mémoire des chiffres) qui engage l’attention exécutive. Enfin, notre mesure de compréhension syntaxique (E.CO.S.SE), corrèle avec l’attention sélective (Recherche dans le ciel) et la flexibilité attentionnelle (Monde contraire envers). Ces résultats vont dans le sens de la littérature, à savoir que les compétences attentionnelles sont fortement liées aux performances syntaxiques, tant sur le versant réceptif que productif (Myachykov & Tomlin, 2008 ; Montgomery & Evans, 2009 ; Engel de Abreu et al., 2011 ; Viterbori, Gandolfi & Usai, 2012 ; Finney et al., 2014).

Nous retrouvons plusieurs liens prédictifs dans notre étude. Premièrement, le score envers de l’épreuve Mémoire des chiffres, prédit les performances à l’épreuve de production syntaxique des Pronoms clitiques. Ce résultat n’est pas étonnant puisque le lien entre MdT et production syntaxique a largement été démontré dans la littérature. En effet, de bonnes compétences en MdT permettent la production de syntaxe complexe, aussi bien chez des enfants présentant un développement typique, mais aussi atypique du langage oral (Adam &

Gathercole, 2000 ; Jakubowicz & Tuller, 2008 ; Delage & Fraunfelder, 2012). Deuxièmement, le temps par cible de l’épreuve Recherche dans le ciel, recrutant l’attention sélective visuelle,

68 prédit les performances à l’épreuve de compréhension syntaxique de l’E.CO.S.SE. Plus l’enfant est rapide pour détecter les vaisseaux cibles dans sa recherche, meilleur est son score en compréhension de syntaxe complexe. Cette régression peut s’interpréter à l’aide du modèle de Garon (2008) ; il décrit l’attention sélective comme le socle sur lequel reposent les différentes FE, elles-mêmes impliquées dans la compréhension syntaxique. On retrouve ce lien dans l’étude de Viterbori et collaborateurs (2012), qui montre que le FE prédisent les compétences en morphosyntaxe réceptive déjà chez de jeunes enfants de 24 à 36 mois.

Cependant, la nature des tâches utilisées peut être discutée. Les tâches de Recherche dans le ciel et de l’E.CO.S.SE recrutent l’attention sélective visuelle : quand l’enfant doit identifier le plus rapidement possible les cibles pour Recherche dans le ciel, et lorsqu’il doit trouver la bonne réponse correspondante à la phrase entendue parmi quatre images présentées pour l’E.CO.S.SE. Or, l’attention sélective est conceptualisée comme étant impliquée dans des tâches empruntant la modalité visuelle, mais aussi empruntant la modalité auditive (Peterson

& Posner, 2012). En plus d’être recrutée au niveau syntaxique, l’attention sélective auditive participe également au développement lexical chez les enfants DT de 6 et 7 ans (Majerus et al., 2009). Nous aurions donc pu inclure dans notre étude, une tâche d’attention sélective en modalité auditive. Spaulding, Plante, et Vance (2008), demandent par exemple à des enfants TDL d’identifier un son cible parmi une série de sons comprenant des distracteurs. Ce dispositif nous aurait permis de vérifier le lien prédictif entre l’attention sélective auditive et la compréhension syntaxique.

1.2 Effet de groupe dans les tâches attentionnelles et syntaxiques

Pour les tâches attentionnelles, nous nous attendions à l’effet de groupe suivant : de meilleures performances pour les DT, suivis des TDL, puis des TDAH. Un effet de groupe a bien été retrouvé pour notre tâche de flexibilité attentionnelle (Mondes contraires). Pour l’épreuve Monde à l’endroit comme pour Monde à l’envers, les résultats vont dans le sens de notre hypothèse, à savoir que les DT ont de meilleures performances que nos groupes cliniques conformément à la littérature. En effet, Im Bolter et collaborateurs (2006) montrent que les TDL présentent des performances plus basses en flexibilité attentionnelle que les DT. De même, ce déficit en flexibilité attentionnelle est largement démontré chez les TDAH (Tsal et al., 2005 ; Mullane, Corkum, Klein, McLaughlin & Lawrence, 2011). Cependant, l’écart de

69 performance entre TDL et TDAH ne s’est pas avéré significatif. Ceci atteste du déficit attentionnel présent dans le TDL, et donc de la comorbidité avec le TDAH (s’élevant de 20 à 40% selon Cardy et al., 2010). Notons quand même que les TDL obtiennent de meilleurs scores que les TDAH pour Monde à l’envers, du point de vue qualitatif. Les TDAH ont besoin de plus de temps pour effectuer la tâche que les TDL. A l’avenir, il serait intéressant d’avoir une mesure du nombre d’erreurs de switch commises par les enfants. En raison du caractère impulsif que l’on retrouve dans le TDAH, nous pourrions observer plus d’erreurs dans cette population que chez les TDL. Ensuite, nous ne retrouvons pas d’effet de groupe pour notre tâche Recherche dans le ciel. Conformément à l’étude de Tsal et collaborateurs (2005), il se peut que notre groupe d’enfants TDAH n’ait pas de déficit en attention sélective prédominant. En effet, ces auteurs montrent que le déficit attentionnel dans le TDAH n’est pas homogène sur l’ensemble des composantes attentionnelles. Au vu des variations de performances, il ne faudrait pas regrouper les enfants TDAH au sein d’un unique groupe. Une autre hypothèse est que cette tâche soit connue des TDAH puisqu’elle leur a été, pour la plupart, administrée lors du bilan neuropsychologique : si l’enfant connait la tâche, ses performances sont meilleures que s’il ne la connaît pas. Enfin, les enfants DT (8;1 ans) sont en moyenne plus jeune que les enfants TDAH (8;9 ans), ce qui pourrait expliquer cette absence d’écart de performances, car plus l’enfant est jeune et plus il éprouverait de difficultés en attention sélective (Mullane, Corkum, Klein, McLaughlin & Lawrence, 2016).

Pour les tâches syntaxiques, nous nous attendions à l’effet de groupe suivant : de meilleures performances pour les DT, suivis des TDAH, puis des TDL. Nous retrouvons le même effet de groupe pour toutes nos tâches syntaxiques (BILO, Pronoms clitiques et E.CO.S.SE) : il n’y a pas de différences significatives entre les DT et les TDAH ; par ailleurs, les DT et les TDAH ont des performances supérieures aux TDL (DT= TDAH > TDL). Ce pattern ne révèle pas les déficits syntaxiques du TDAH décrits dans la littérature (Van Lambalgen et al., 2008 ; Parriger, 2008, 2012). Nos données démontrent bien que les tâches de syntaxe complexe permettent d’identifier les enfants présentant un TDL, notamment l’épreuve des Pronoms clitiques, car l’omission de clitiques serait un marqueur du TDL chez les enfants francophones (Tuller et al., 2011).

Nos effets de groupes pour les tâches attentionnelles et syntaxiques, au regard de la littérature, illustrent qu’établir un diagnostic différentiel entre TDAH et TDL peut s’avérer difficile en fonction des tâches choisies. D’où l’importance en clinique de s’attarder sur le choix des épreuves administrées pendant l’évaluation.

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1.3 Effet d’amorçage

Un effet d’amorçage a été retrouvé pour l’ensemble de nos participants, toutes conditions confondues. Lorsqu’il n’y a pas d’amorce, les enfants ne produisent pas de phrases passives conformément à la théorie de la complexité syntaxique (Jakubowicz, 2011) : ils produisent

« par défaut » des phrases actives, car elles respectent l’ordre canonique SVO. Ces résultats confirment l’efficacité de l’amorçage chez des enfants francophones au développement typique et atypique du langage, habituellement décrits auprès enfants anglophones au développement typique (Huttenlocher, Vasilyeva & Shimpi, 2004 ; Messenger et al. 2012). Nous allons voir dans cette section, les conditions qui permettent la production la plus élevée de phrases passives, en analysant la sensibilité de nos trois groupes à l’amorçage.

1.3.1 Indiçage visuel vs linguistique

Nos résultats corroborent notre hypothèse, à savoir que l’indiçage linguistique élicite plus de phrases passives que l’indiçage visuel, ceci pour nos trois groupes cognitifs. La présence d’un effet d’interaction révèle que l’indiçage agit différemment d’un groupe à l’autre. Pour l’indiçage linguistique nous observons que les performances des DT sont supérieures à celles des TDL mais comparables à celles des TDAH ; les performances des TDL et des TDAH sont également comparables (DT > TDL ; DT = TDAH ; TDAH = TDL). Qualitativement, les TDL sont ceux qui profitent le moins de l’indiçage linguistique, rejoignant ce que démontrent Ebert et Konhert (2011), à savoir que les performances des TDL sont moins hautes sur du matériel linguistique que non-linguistique. En revanche, pour l’indiçage visuel, qualitativement le groupe des TDL est celui produisant le plus de phrases passives. Malgré cette tendance, il n’y a pas d’effet de l’indiçage visuel dans notre étude.

L’indiçage linguistique reste celui élicitant le plus de phrases passives pour tous les groupes, et d’autant plus pour les DT et TDAH. Ces résultats vont dans le sens de ceux retrouvés chez l’adulte par Myachykov et collaborateurs (2017). Il vaut mieux un amorçage donnant le plus d’indices, et donc explicite, plutôt qu’un amorçage implicite apportant peu d’indices quand on souhaite éliciter le passif.

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1.3.2 Effet du type d’amorce et groupe cognitif

Nous avions formulé, pour chaque groupe cognitif, des hypothèses différentes concernant l’effet du type d’amorce visuelle et linguistique, présentées en Figure 34.

Figure 34 : Schéma rappelant les hypothèses opérationnelles de l’effet du type d’amorce en fonction du groupe.

Concernant le type d’amorce visuelle, nous retrouvons un effet pour tous les groupes cognitifs, à savoir que l’amorce Visu 1 induit plus de phrases passives que l’amorce Visu 2.

Ces résultats ne confirment pas nos hypothèses car ils indiquent que l’amorce référentielle permet la production de plus de phrases passives que l’amorce perceptuelle, et ce de la même manière pour les DT, TDL et TDAH. Cela ne va pas dans le sens des résultats retrouvés chez les adultes, pour lesquels il n’y avait pas de différence entre une amorce référentielle et une amorce perceptuelle (Myachikov et al., 2017). Chez les enfants, l’activation du référent en MdT et l’implication des ressources attentionnelles, les aident à produire plus de phrases passives.

Ainsi, pour produire une passive, l’enfant doit recruter davantage de ressources attentionnelles que l’adulte. En lien avec le modèle de Petersen et Posner (2012), l’enfant doit faire appel à l’orienting mais aussi à l’executive, alors que chez l’adulte, l’activation de l’orienting suffit pour la production de passives.

Concernant le type d’amorce linguistique, là aussi nous retrouvons un effet pour tous nos groupes : l’amorce Ling 2 induit plus de phrases passives que l’amorce Ling 1. Ces résultats

72 vont dans le sens de nos hypothèses, sauf pour les enfants DT, pour lesquels nous nous attendions à un effet plafond dès la condition Ling 1 et donc, à une absence de différence avec la condition Ling 2. Cette dernière condition apportant une aide maximale pour la production de passives, nous permet d’entrevoir une différence entre TDAH et TDL. Les TDAH profitent de l’amorce Ling 2 puisqu’elle vient pallier leurs difficultés syntaxiques au second plan : ils obtiennent alors des performances similaires à celles des DT. A l’inverse, les TDL restent en difficultés pour la production de passives en raison de leurs limitations syntaxiques au premier plan : ils produisent moins de passives que les autres groupes. Dans la pratique logopédique, la condition Ling 2 serait alors à privilégier pour établir un diagnostic différentiel entre TDL et TDAH, mais aussi pour permettre d’augmenter et de consolider la production de la structure passive lors de la prise en charge.