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II. L’enfermement des ‘’malades mentaux dangereux’’, étude de l’internement dans

II.1. Introduction

II.1.3. L’internement des malades dangereux

La loi du 05 juillet 2011 a subi plusieurs fois la censure du Conseil Constitutionnel pour

son respect insuffisant des libertés au regard de la Constitution française de 1948

[114], amenant à sa modification par la loi du 27 septembre 2013. Pour autant, ces

modifications ne s’orientent pas vers une mise en conformité avec la CRPD. La loi française poursuit avec un héritage culturel datant de la première loi sur l’internement de 1838 en confiant au préfet, représentant de l’État responsable notamment des forces de police dans une région, la décision d’internement des personnes estimées dangereuses. La décision d’internement est prise par le représentant de l’État sur la base de deux éléments complémentaires : une dangerosité établie par les forces de

police, et un trouble mental qui la sous-tend, établi par un médecin. Ces mesures

existent de manière indépendante des éventuelles procédures judiciaires qui

répondraient à une infraction, auxquelles elles ne se substituent ni ne répondent.

L’internement sur motif de dangerosité et sur décision de police de manière parallèle aux procédures de justice est une exception française historique que le législateur a

choisi de conserver, continuant ainsi à soulever des interrogations métaphysiques,

temps distincts : la décision, motivée par une dangerosité d’origine psychiatrique, et la levée, motivée par l’état clinique et une obéissance aux soins (Figure 14).

Concernant la décision, la censure du Conseil Constitutionnel a amené à réduire le

champ des critères de dangerosité, d’abord en 2002 en précisant que l’atteinte à l’ordre public doit être ‘’grave’’, puis en 2011 en supprimant la ‘’notoriété publique’’ comme critère établissant le caractère psychiatrique de la dangerosité pouvant se substituer à

avis médical. La loi admet désormais la mesure de Soins Psychiatriques sans

consentement sur Décision du Représentant de l’État (SPDRE) prise sur la décision du préfet et basée sur une atteinte grave à l’ordre publique ou à la sûreté des personnes sous-tendue par un trouble mental établi sur la base d’un certificat médical (Art. L. 3213-1 du Code de la Santé Publique (CSP)). En cas d’urgence, elle inclut également la mesure de Soins Psychiatriques sans consentement sur Décision du

Représentant de l’État en Urgence en cas de danger imminent pour la sûreté des

Figure 14. Logigramme de la décision de SPDRE dans la loi du 23 septembre 2013 illustrant les deux temps de la mesure.

personnes (SPDREU) prise sur la décision du maire, confirmée dans les 48 heures

par le préfet, et basée sur un danger imminent pour la sûreté des personnes sous-

tendu par un trouble mental manifeste établi sur la base d’un avis médical (Art. L. 3213- 2 du CSP). Ces mesures sont basées sur la perception d’un risque qui aurait une origine médicale et l’organisation du système les réserve aux personnes innocentes ou dont les actes à l’issue d’une procédure judiciaire ne justifient pas une peine d’incarcération qui interrompraient alors la mesure.

L’internement mettant fin au risque pour l’ordre public ou les personnes, la levée de la mesure est uniquement soumise à une évaluation sanitaire [116]. Elle a lieu quand la

personne obéit aux soins imposés et que son état clinique ne nécessite plus le

maintien en hospitalisation ou en mesure de contrainte ambulatoire. La loi de 2011

introduit deux nouvelles temporalités dans les mesures d’internement. D’abord elle instaure une « période d’observation et de soins initiale sous la forme d’une hospitalisation complète » (Art. L. 3211-2-2 du CSP), évoquant une « garde à vue

sanitaire » [117], dont l’objectif est de décider à l’issue d’une observation de 72 heures si, compte tenu de son état clinique et de son obéissance aux soins, la personne doit

être maintenue enfermée et, dans le cas contraire, si une mesure de contrainte

ambulatoire doit être mise en place. Ensuite, elle instaure un contrôle judiciaire

systématique par le Juge des Libertés et de la Détention (JLD), fixé au 12e jour depuis

le 01 septembre 2014, en charge de contrôler la légalité de la mesure au regard de la

loi nationale. Si la loi prévoit que les forces de police puissent intervenir dans la

décision d’internement, elle ne prévoit cependant pas que le JLD puisse discuter des décisions médicales, limitant ainsi son rôle à celui d’un contrôle administratif [118]. Dans ces mesures, la loi française ne fait pas intervenir la notion de ‘’capacité à consentir’’ et est donc en non-conformité directe avec les articles 12 et 14 de la CRPD

puisqu’elle impose un traitement sous la menace de privation de liberté [18]. La possibilité de refuser des soins est une composante majeure de la réduction des

risques liés à la santé. Les personnes estimées dangereuses au sens de ces mesures

étant privées de la possibilité de consentir aux soins, on peut s’interroger sur leur vision du système de santé et ses conséquences sur l’accès aux soins [119], mais aussi la sécurité des soins qu’elles reçoivent.

– OBJECTIFS –

Cette étude s’inscrit dans une dynamique de transformation des systèmes de santé français en vue de l’application de la CRPD. Plus particulièrement, elle interroge les liens entre une dangerosité considérée psychiatrique justifiant un internement par le

système de santé, et la criminalité répondant au système judiciaire. Les études

menées sur le lien entre criminalité et maladie mentale sont venues remettre en cause

l’orthodoxie psychiatrique [120] et notamment l’existence d’une ‘’loi épidémiologique’’ (qui entrainerait un taux stable sur le territoire de la criminalité psychiatrique

indépendant de la criminalité de la population [120]).

Afin de renseigner les professionnels sur l’applicabilité pratique de la CRPD, l’objectif principal est de déterminer si les mesures françaises de SPDRE obéissent à la loi

épidémiologique en explorant leurs liens avec la criminalité judiciarisée.

Elle permettra également de décrire et renseigner le fonctionnement réel des décisions

d’internement et le rôle des différents professionnels impliqués. Ceci permettra d’aider à la prise de décision dans un contexte de débat national sur le positionnement de la

psychiatrie comme « la 4e force de sécurité de la France » (Annexes 4.1, 4.2, 4.3, &

Enfin elle décrira les variations des levées de mesures, en particulier en lien avec la

nouvelle période d’observation de 72 heures et l’intervention systématique du juge judicaire au 12e jour d’internement.

En maintenant des mesures d’internement sécuritaires clairement définies et extérieures à la justice, le dispositif unique français [110,115] permet ainsi d’explorer un des mécanismes clés de l’application de la CRPD [91]. L’enquête menée par le CCOMS (Annexe 5) a rendu possible l’accès à des données inexploitées jusqu’alors. Elles ont permis la réalisation de cette première étude française portant sur cette