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II. L’enfermement des ‘’malades mentaux dangereux’’, étude de l’internement dans

II.4. Discussion

II.4.2. Aspects arbitraire et institutionnel

Cet impact du climat social immédiat est largement mis en avant par les résultats de

notre étude. En effet, le premier facteur discriminant le lien entre internement et

criminalité n’est pas sanitaire mais organisationnel, à savoir la nature du service à rôle de police en charge du territoire. Les liens entre criminalité et internement prédominent

en effet dans les territoires desservis par la police nationale. Pour autant, les territoires

de la gendarmerie nationale sont également associés à des durées plus courtes de

mesures prises davantage dans l’urgence. Aussi, en cohérence avec les données existantes nationales [111–113] et européennes [135], explorer le lien entre criminalité et internement, amène davantage à explorer l’organisation territoriale.

Une des difficultés auxquelles cette étude a dû faire face est celle de la complexité de

l’organisation territoriale. Bien que réintroduits officiellement dans la loi du 26 janvier 2016, les secteurs de psychiatrie diffèrent par leur fonctionnement entre

établissements et au sein d’un même établissement, ce qui a grandement limité les possibilités d’analyses, et notamment de réplique des résultats passés. De plus, bien que la loi française les amène à collaborer dans le cas des mesures de SPDRE, les

organisations territoriales des services de gendarmerie et de police nationales, des

élus locaux, et de la psychiatrie apparaissent indépendantes, si bien que, dans notre

étude, un service à rôle de police est amené à interagir avec jusqu’à quatorze secteurs de psychiatrie (Tableau III) ou cent quatre-vingt-dix-neuf communes. Développés pour

son analyse l’impact des Conseils Locaux de Santé Mentale du fait d’une implantation éparse sur le territoire couvert. « Plateforme de concertation et de coordination d’un territoire défini par ses acteurs, présidée par un élu local, co-animée par la psychiatrie

publique, intégrant les usagers et les aidants » [136], cette instance est mise en avant

comme exemple international de bonne pratique [137]. La présence de Conseils

Locaux de Santé Mentale a déjà été associée à un plus fort taux d’internement [111], et, compte tenu des difficultés rencontrées dans cette étude, leur impact mériterait

d’être étudié davantage.

À l’échelle des services de gendarmerie et de police nationales, comme à celle des secteurs de psychiatrie, les zones les plus restreintes entrainent un plus fort taux de

SPDRE. Ces résultats viennent confirmer ceux de la littérature scientifique, notamment

ceux de la précédente étude sur l’internement d’office [113]. Ces variations mettent en avant le rôle important de l’urbanité du territoire étudié, ce qui correspond à un phénomène également décrit pour l’ensemble des mesures d’internement, incluant celles pour cause de ‘’santé’’ [111–113]. Aussi, si la dangerosité suit la loi épidémiologique, notre étude montre que l’internement en SPDRE semble suivre l’organisation territoriale et urbaine.

L’analyse du calendrier des mesures fait également apparaitre l’aspect institutionnel de l’internement. Des mesures définies comme relevant de l’exception (Art. L. 3211-2 du CSP), pouvant être prises dans l’urgence (Art. L. 3213-2 du CSP), face à un danger imminent (Art. L. 3213-2 du CSP) ou une compromission de la sûreté des personnes

ou un trouble grave à l’ordre public (Art. L. 3213-1 du CSP), apparaissent étonnamment rythmées par les horaires de permanence administratives et les

vacances annuelles d’été et d’hiver, ce qui va en opposition avec ce qui est décrit de la temporalité des crimes et délits qui apparaissent maximaux quand les mesures de

SPDRE sont au plus bas [138]. Ceci vaut d’autant plus que les périodes de pic de décisions de SPDRE sont corrélés aux périodes de pic de levée, sans préjugé de la

durée de la mesure, ce qui semble davantage mettre en lumière les moments

d’activités des institutions. D’ailleurs, bien que les mesures d’internement doivent être les plus courtes possibles, les levées ont principalement lieu en semaine. Ces

éléments mettent en avant un aspect institutionnel ancré qui vient questionner sa

capacité à justifier des mesures qualifiées par le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU comme « une forme de mauvais traitements, voire de torture » [18].

Cet aspect institutionnel de l’internement vient également questionner le nombre important de personnes sans domicile fixe internées, d’autant plus de sexe administratif masculin et arrêtés par le préfet. On retrouve également une

prédominance d’arrêtés municipaux ruraux pris dans l’urgence pour des personnes âgées, d’autant plus de sexe administratif féminin. Ces éléments amènent à envisager l’emploi de la mesure comme solution se substituant aux réponses systémiques adaptées, comme le développement de ressources communautaires [139], ou

l’implantation d’initiatives d’accès au droit commun pour public spécifique précarisé (parmi lesquelles on peut citer l’exemple du programme Un-Chez-Soi-D’abord, mis en avant lors des derniers échanges de l’ONU sur l’application de la CRPD [26] et ayant fait preuve de son efficacité clinique et de son efficience médico-économique [140]).

Plusieurs réponses des élus locaux et des personnes internées laissent également

entendre que les mesures de SPDRE serviraient de variables d’ajustement aux limites de l’organisation territoriale. Ce possible détournement de la législation, amenant l’internement à déplacer hors de vue des situations complexes, seraient en contradiction avec l’interdiction de la privation illégale de liberté de l’article 14 de la CRPD. Ces difficultés ont été pourtant identifiées à l’échelle internationale, amenant

un récent rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) à proposer que les politiques de santé soient directement gérées par le chef d’État [141]. Enfin, si la loi française est en théorie contraire à la CRPD en permettant la privation de liberté sur

la base du handicap, dans la pratique les variations importantes des mesures, non

justifiables par une loi épidémiologique, éclairent une autre contradiction avec l’article 14 de la CRPD, à savoir l’interdiction de la privation arbitraire de liberté. Si cet arbitraire n’est pas voulu, il semble produit par la possibilité de privation de liberté sur la base du handicap et l’imprécision des outils diagnostics disponibles qui amèneraient à un nombre important de faux positifs.