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L'art et la manière d'être aux mondes

2.3. Confrontation des mondes

2.3.3. Interlocution et contextualisation

Le "regard" a ceci de singulier qu'il a traversé de part en part l'ensemble de nos discussions. Après une énumération rétrospective de ses diverses formes et enjeux, nous reviendrons plus précisément sur le regard caméra pour constater son utilisation conjointe par le documentaire comme la fiction. S'il ne permet pas de distinguer l'un et l'autre, devant admettre que la métalepse n'appartient pas plus au documentaire qu'à la fiction, il nous amènera à l'envisager comme pierre angulaire de notre analyse et support de la démarche sémio-pragmatique.

2.3.3.1.Regard rétrospectif

Récapitulons. Au sens figuré, le regard a caractérisé en premier lieu la vocation du documentariste, celle d'entretenir un rapport critique sur le monde (cf. 1.2.2). Réciproquement, il est l'acte critique à la réception, celui de se positionner en tant que spectateur, jusqu'à s'observer de manière réflexive, que ce soit dans une séance de restitution (cf. Chronique d'un été, 1.2.2.4) ou dans le surplomb de sa propre interaction avec un dispositif numérique (cf. 2.2.1.3.c). Le regard au sens figuré a été encore celui de la supervision de la pratique du serious game par les instances managériales (cf. 1.2.1.2 et 1.2.1.3.a). Il a été aussi l'observation des choix de l'utilisateur par le système, afin de l'interpeler ou de le guider (cf. 2.3.1.2.a). Il a été pour finir celui inhérent à la relation sociale, entendu comme "point de vue" (épistémique) ou jugement (relationnel), autrement résumé par les mécanismes du conflit sociocognitif (cf. 2.3.2.2.c). Il sera alors un regard bienveillant ou inquisiteur selon le contexte socio-affectif, donnant lieu à une activité protégée ou un exercice de responsabilité (cf. 2.3.2.2.d). Au sens poétique, il a été celui d'une inconnue, un regard saisissant qui décida Truman à traverser les océans – sous les yeux de Christof – afin de briser le mur qui le coupe du réel (cf. 2.3.1.1.a). Il aura été avant cela le "Dis-moi en face" de Bashung dès l'introduction (cf. 2.1). Au sens propre pour finir, il a été développé en tant que regard à ou vers la caméra, furtif ou appuyé. Les implications de ce regard caméra sont alors multiples. Du point de vue réflexif, il rejoint la réflexivité

cinématographique : en révélant la présence de la caméra et du réalisateur, il dévoile l'ensemble du dispositif d'observation (cf. 2.2.2.2.a) ou de manière exemplaire la complicité de deux réalisateurs (cf. 2.2.2.2.c). D'un point de vue ontologique, il a suggéré qu'un personnage (réel ou virtuel) pourtant inclus dans le dispositif, cherche dans tous les cas à interpeler son spectateur, "les yeux dans les yeux". D'un point de vue plus politique

enfin, il a été décrit comme un outil de contestation, de subversion des frontières dont les conséquences dépassent l'analyse narratologique. Nous pensons à Jean-Paul Belmondo cité plus haut pour la fiction (cf. 2.3.1.1.a) ou encore à Michael Moore pour le documentaire (cf. 1.1). Pour finir, nous ajouterons à la liste d'exemple les premières minutes du documentaire manifeste Bowling for Columbine (2002) 104, consacré à la vente des armes à feu aux États-Unis : en pointant un fusil face caméra (cf. Figure 29), Moore redouble la directivité de son regard et déclare tous spectateurs dans sa ligne de mire, nécessairement concernés par le sujet puisque "visé". En somme, si nous allons nous concentrer à présent sur le regard au sens propre du regard caméra, celui-ci convoque une multitude d’acception du regard qui fait le contexte de sa réception.

Figure 29. Bowling for Columbine (2002) [entre 2'50 et 4'30] 2.3.3.2.Regard caméra

Les exemples donnés jusque-là trouveront un nouvel intérêt en constatant – contrairement à certains a priori – que la seule présence du regard caméra ne permet pas de distinguer le documentaire de la fiction (Kronström, 2001 ; Niney, 2009). Selon Niney (2009), si "le regard caméra accentue le fait que la personne parle pour elle-même (n'est pas un rôle) et s'adresse réellement à la caméra, au spectateur" (p. 70), il n'est pas un marqueur stylistique absolu du documentaire. Plus encore, la fiction utilisant strictement le même langage cinématographique, elle pourra a priori imiter n'importe qu'elle forme sérieuse. L'utilisation du regard caméra est à ce point partagée que s'il sert de gage d'authenticité ou de transparence chez certains réalisateurs de documentaire, il sera seulement utilisé de manière furtive chez d'autres, comme Marker (Sans soleil, 1983 105), ou définitivement banni, comme chez Wiseman (Niney, 1995). Le fait n'est pas surprenant si l'on revient aux modes de production (cf. 1.2.2.3) : dans le mode observation sous lequel se place le cinéma direct de Wiseman, l'objectif capte, mais ne trahit jamais sa présence (cf. 1.2.2.3.a) ; inversement, le mode interactif pourra proposer un regard vers la caméra –

104 http://www.imdb.com/title/tt0310793/ [consulté le 09 mai 2013]

parfois même à la caméra – dans des situations d'interview où le réalisateur préfère s'absenter de l'image plutôt que figurer en amorce. Dans ce cas, le regard donnera un sentiment de contact direct dans un "effet de suture" (Nichols, 1991, p. 54) et le "pseudomonologue" pourra "livrer directement les pensées, les impressions, les sentiments et les souvenirs du témoin au spectateur". Cas de figure intermédiaire au sein du mode

interactif, nous citerons une autre scène de Bowling for Columbine. Dans cette séquence déterminante, la responsable communication de Kmart vient annoncer – sous la pression de Moore – le retrait des munitions d'armes à feu dans l'ensemble de ses magasins. Moore d'abord hors cadre, puis en amorce finira par occuper l'image pour sceller la promesse. Le

regard caméra y prend une place prépondérante, quand bien même furtif : en interpelant son caméraman, c'est tout autant le spectateur qui va réagir et avancer. Dans le mouvement

extramétaleptique (cf. Tableau 4 en page 134) initié par le regard et aussitôt rétracté, ce n'est pas Moore qui sort du cadre, mais le spectateur qui s'y voit conduit, rentrant avec son guide dans l'Histoire en train de se faire.

Figure 30. Bowling for Columbine (2002) [entre 1h40 et 1h43]

L'utilisation du regard caméra est aussi utilisé par la fiction, avec autant de règles que d'exceptions à la règle, ayant été historiquement écarté du cinéma narratif conventionnel (Niney, 2009, p. 70) ou réservé à certains genres (Casetti, 1983, p. 87). S'il est le plus souvent banni afin de respecter la clôture diégétique, il peut inversement être utilisé pour renforcer l'effet de fiction. Vernet (1988) en fait la démonstration avec les jeux de champs contrechamps qui permettent de le boucler dans le diégèse, c'est-à-dire de le rediriger vers un personnage qui fait fonction de récepteur (cf. métalepse rhétorique, 2.3.1.1.b). D'une autre manière, Odin (1983b) propose que le regard "[puisse] être récupéré au profit de l'axe imaginaire" (p. 76) par une "mise en phase" du film et de l'état émotionnel de son spectateur. Odin illustre cette possibilité avec le film Partie de campagne (1946) 106 de Renoir dans lequel la scène de défloration d'Henriette établirait une relation homologue avec le sentiment "d'intrusion" suscité chez le spectateur : "le regard à la caméra, qui est

106 http://www.imdb.com/title/tt0028445/ [consulté le 09 mai 2013]

une sorte de “viol” de notre moi spectatoriel, intervient précisément au moment du “viol” d'Henriette par Henri" (p. 76) (cf. Figure 31).

Figure 31. Partie de Campagne (1946)

Au-delà de la "mise en phase" émotionnelle décrite par Odin, nous soulignerons la construction d'une lecture spectatorielle particulière à même de justifier l'intensité de cette séquence : alors que le regard d'Henriette donne lieu à une métalepse ascendante, l'intensité du regard tient selon nous au fait que le spectateur n'est pas seulement devant son écran, mais simultanément reflété dans l'image, à travers le personnage d'Henri. Si l'on considère le spectateur de fiction dans la position habituelle de "voyeur" et de toute puissance sur l'image (Niney, 2002a ; Perraton, 1998), le pouvoir et l'emprise d'Henri sur Henriette peuvent être entendus comme une mise en abyme énonciative du spectateur, avec un fort pouvoir d'identification, c.-à-d. le sentiment "d'être comme" (cf. 2.3.2.2.d). Le regard d'Henriette frappe alors la conscience du spectateur à double titre : son intensité n'est pas seulement due à la sensation d'être pris en train de voir – principe de la mise en phase chez Odin –, mais aussi à la sensation de s'être vu dans l'image en train de dominer. Qu'il parte de l'image documentaire ou de l'image de fiction, le regard caméra interpelle indéniablement la posture du spectateur.

2.3.3.3. En regard du contexte

Les exemples qui précèdent suffisent à démontrer que le regard caméra

n'appartient ni au documentaire, ni à la fiction. Si l'on peut regretter de ne pas y trouver un signe distinctif, le regard caméra justifierait par contre à lui seul notre entreprise sémio-pragmatique : si ce n'est pas le texte qui détermine à lui seul les effets de cette métalepse, le contexte pragmatique de la réception pourrait bien profiter de son irruption. Il suffit pour s'en convaincre de confronter l'analyse de Metz à quelques auteurs. Si l'on se réfère à Metz (1991), l'énonciation filmique n'est pas anthropomorphique ; elle est impersonnelle. De fait le regard caméra ne suffit pas à désigner un énonciateur direct, si ce n'est le film lui-même. L'effet du regard caméra dans un contexte de fiction serait seulement de "hausser

d'un cran sa conscience d'être spectateur" (p. 52), la métalepse étant trop "enfouie" dans l'énoncé pour ébrécher le dispositif (p. 43). Mais ce que Metz relativise et cantonne à une simple émancipation de l'intelligence filmique (p. 90) n'est pourtant pas sans conséquence : cette émancipation n'est-elle pas la compétence permettant d'établir un regard en surplomb (cf. 2.2.1.3) ? La possibilité de distinguer des espaces de communications (cf. 2.2.1.2.a) ? Ce qui nous intéressera finalement dans le regard caméra est moins sa tentative de réattribuer l'énonciation au locuteur filmé que le frémissement de conscience provoqué lors de sa survenue. Ce sera moins son "enfouissement" dans l'énoncé que la direction imprimée vers le réel ; moins une direction absolue que l'incertitude furtive quant à l'objet visé (Vernet, 1988, p. 16) et l'intensité du trouble provoqué. Pour Gerstenkorn (1987), de telles "secousses de l'énonciation […] rappellent ainsi au spectateur qu'il est au cinéma, même s'il a parfaitement intégré les conventions narratives" (p. 8). Kronström (2001) complète en précisant que "l'effet sur le réalisme et la transparence narrative qui en découle influencent le positionnement du spectateur dans l'institution-cinéma". En ce sens, le regard caméra interpelle, quel que soit le contexte ; il impose une "réévaluation de la réalité et une reconstruction de sa propre certitude-cinéma" (Kronström, 2001). Mieux, dans le contexte documentaire précisément, il rappelle nécessairement la ségrégation des espaces et la nécessaire (re)prise de conscience de sa propre situation de voir. Si l'on transpose ce regard au contexte de notre objet, l'utilisation du serious game pourrait non seulement profiter d'une rupture textuelle, mais aussi des ruptures pragmatiques évoquées par Odin (cf. 2.2.1.2.a) : en plus du texte, les conditions liées à l'institution "travail" (discontinuité des temps de jeu) suggèrent une alliance favorable pour renforcer la prise de distance et le recul critique. Alors que nous avons souligné plus haut l'importance des conditions de visionnage afin de favoriser des ruptures pragmatiques en plus de celles induites par l'objet (cf. 2.2.1.2.a), les conditions de jeu en entreprise pourraient bien répondre à la déclaration de Grierson – évoquée par Guynn (2001) – qui suggéra qu'il y a "davantage de sièges disponibles en dehors des salles de cinéma que dedans" (p. 22). Par sa finalité, ses actants et ses situations au sens large, le serious game joué en entreprise devient un nouveau lieu d'accueil pour le regard documentaire.

2.4.

Conclusion

À la question de savoir comment décrire l'existence d'un actant au sein d'un dispositif et sa façon de circuler entre les différentes couches, ont répondu non pas une figure, mais la combinaison de deux : la mise en abyme et la métalepse. Leurs ancrages narratologiques ont été précisés pour le cinéma et la littérature, mais aussi pour les médias interactifs, terreau de leurs nouvelles manifestations. La mise en abymeénonciative a tout d'abord permis de rendre tangible l'attention clivée du lecteur : en incorporant son reflet dans le texte, la mise en abyme illustre l'expérience vécue entre diégèse et réel, expérience autrement décrite par la phénoménologie. En plus de rendre le lecteur conscient de sa posture, nous avons proposé que le jeu de miroirs et de renvois de la mise en abyme énonciative participe à percevoir la présence d'autres instances. Ce faisant, elle favorise à la fois la confrontation du lecteur à sa propre image, mais aussi sa confrontation à l'image d'un alter ego, d'un auteur ou de l'auteur même de l'objet ; la mise en abyme balise alors dans le texte la communication qui les engage dans le réel (cf. Figure 28, en page 152). La

métalepse a ensuite été décrite comme une transgression narrative offrant notamment de relier les niveaux diégétiques et extratextuels. Dans l'une de ses acceptions ontologiques, la

métalepse a révélé un principe de boucle étrange, allant jusqu'à une possible confusion de ces mêmes niveaux ou leur franchissement par les actants. Appuyées d'illustrations originales et d'exemples, nos descriptions ont souligné l'intérêt pour notre démarche de susciter de telles perturbations tout en préservant la hiérarchie des niveaux et la distinction des espaces de communication. C'est précisément à cette fin que la métalepse du regard caméra a été détaillée : interpeler le lecteur et lui rappeler la frontière entre réel et diégèse. Envisager que le lecteur puisse développer ses connaissances lors d'une telle expérience a parallèlement demandé de préciser les conditions et les issues du conflit cognitif et sociocognitif. Cette perspective aura non seulement été discutée pour le contexte informatisé du serious game, mais également confrontée aux descriptions du cinéma documentaire traditionnel. Ressortent de cette analyse une série d'analogies liant intimement les mécanismes cognitifs aux mécanismes discursifs du documentaire, renvoyant eux-mêmes aux mécanismes narratifs de nos deux figures, mise en abyme et

métalepse. À la croisée de l'ensemble des discussions, l'exemple emblématique du regard caméra signera à la fois la présence d'un alter ego et son intention manifeste d'interagir. Son utilisation n'étant pas réservée au documentaire – tout comme la mise en abyme –, il aura l'avantage de justifier l'approche sémio-pragmatique adoptée dans la Partie 1.3.4. De

fait, le caractère documentaire de notre objet serious game tiendra autant de l'agencement textuel des deux figures que du contexte de leur réception. Pour l'heure, cette partie nous laisse imaginer que si un regard en direction du spectateur de fiction enclenche la mise en abyme du dispositif d'observation dans lequel il s'inscrit, il est tout aussi probable que les actions de l'utilisateur trouvent a minima un "écho", une mise en abyme, dans les actes des personnages du serious game.

PARTIE 3.

H

YPOTHÈSES

En introduction de ce projet de recherche, notre intuition était que la démarche de création d'un serious game d'apprentissage est fondamentalement une démarche documentaire et qu'elle mérite d'être affirmée et renforcée. Les questionnements conduits jusqu'ici ont justifié la manière dont les théories et pratiques du cinéma documentaire nourrissent ou pourraient davantage nourrir le dispositif narratif et interactif du serious game, pour conduire l'intention du concepteur et favoriser la construction de connaissances chez l'utilisateur. Les différentes théories mobilisées constituent désormais un premier socle argumentatif pour dépasser la simple intuition ; leurs développements respectifs et les croisements opérés permettent de soutenir la thèse d'un jeu sérieux documentaire ou

serious doc game. Non seulement cette proposition n'a pas rencontré d'opposition théorique, mais a été servie, au contraire, par un faisceau de présomptions faisant de l'apprentissage en entreprise, sur le lieu de travail, un contexte opportun à son déploiement. Alors que notre projet s'intéressait moins au serious game dans le but de reproduire le réel

(fiction mimétique) que dans celui de le réfléchir, l'adoption de l'approche sémio-pragmatique a confirmé la possibilité d'induire une lecture documentarisante et de confronter l'utilisateur à l'interlocution d'un actant partageant (ou ayant partagé) le même monde que lui. L'approche sémio-pragmatique précisant l'égale importance de l'objet et du contexte, la documentarité et la relation d'interlocution du dispositif serious game

dépendront de la mise en résonnance des contraintes de production et des contraintes de réception.

À mesure que notre conviction s'est ancrée dans la théorie, une série d'hypothèses se sont dessinées. Nous les regrouperons ici avant de les développer dans les parties suivantes. Pour les rassembler tout à fait, nous les résumons tout d'abord en une phrase :

L'écriture de métalepses couplées à une mise en abyme induit un énonciateur réel, lequel renforce l'impact des commentaires pédagogiques en favorisant les conditions d'une lecture documentarisante et du conflit sociocognitif.

Cette proposition sera découpée et détaillée ci-dessous à travers quatre hypothèses principales, diversement axées sur la communication, la narration ou la cognition. Ces hypothèses renseigneront la place des actants dans le dispositif pour qualifier l'espace propice à l'interlocution et envisager les conditions d'un apprentissage constructif.

H1.Modélisation des postures

Pour poser le premier segment de notre analogie, la Partie 1 a précisé trois critères : la finalité sérieuse, les actants en présence et les situations convoquées. Si des correspondances ont pu être directement établies avec le serious game concernant la finalité et les situations du cinéma documentaire (cf. 1.2.3.1), il reste à préciser les correspondances entre leurs actants. Ce critère "actants" est d'autant plus crucial que notre analogie ne repose pas sur la capacité immanente du médium à être documentaire, mais sur sa capacité à créer des représentations socialement partagées (cf. 1.3.2) et sa capacité à construire un énonciateur réel (cf. 1.3.4.2). Notre première hypothèse propose donc que les actants du serious game puissent être reformulés en se basant sur les actants du cinéma documentaire. Cette hypothèse appelle une réponse avant tout théorique. Ces actants feront retour sur le rôle de l'auteur et la dichotomie du réalisme direct - indirect, qui plus est sur la modernité du mode réflexif (cf. 1.2.2.3). Nous envisageons comme sous-hypothèse que ces transpositions donnent lieu à des postures invariantes, subsumant les changements imposés par les phases d'action et de réflexion. En d'autres termes, si le média interactif reconfigure par nature la place de l'utilisateur, les transpositions inspirées du documentaire décriront des postures suivant quelques traits constants. Confirmer cette hypothèse reviendra à obtenir un modèle des postures possibles de l'utilisateur de jeu sérieux documentaire.

H2.Enchâssements et mise en abyme actée

Les diverses manifestations filmiques de la réflexivité, observées à la production (cf. 1.2.2.3.c et 1.2.2.4) comme à la réception (cf. 2.2.2.3), nous amènent à formuler une seconde hypothèse : alors que l'utilisation de la réflexivité s'est historiquement accrue, pour la fiction comme pour le documentaire linéaire jusqu'à se généraliser pour les dispositifs interactifs, nous avançons que le jeu sérieux documentaire dédié à l'apprentissage des relations interpersonnelles provoque nécessairement l'apparition de mises en abyme énonciatives (cf. 2.2.2.3.c). L'examen approfondi d'un cas particulier permettra de confirmer la présence simultanée de l'utilisateur sur plusieurs niveaux narratifs. Par ailleurs, la nature du récit ayant évolué avec l'adjonction de l'interactivité, nous proposerons que l'objet du réfléchissement ne soit plus seulement l'énoncé ou l'énonciation (cf. 2.2.2.3.a), mais l'interaction autorisée par l'interface dans ce que nous appellerons une

mise en abyme actée.

H3.Métalepse et relations sociales

La sémio-pragmatique et l'approche phénoménologique se sont combinées pour indiquer que le cinéma peut induire une relation d'interlocution en invitant l'utilisateur à construire un énonciateur (cf. 1.3.4.2.b). C'est précisément à cette fin que la métalepse du

regard caméra a été détaillée : interpeler et associer cette intrusion dans l'espace extratextuel à un interlocuteur (cf. 2.3.3.2). La troisième hypothèse propose donc que la

métalepse d'un regard caméra dans le serious game construise un énonciateur qui enclenche une relation d'interlocution avec l'utilisateur. Une sous-hypothèse propose que l'origine de cet énonciateur puisse varier : soit confinée à la fiction, soit renvoyée en direction du réel. Ainsi, le regard caméra contribuerait à amorcer une relation intersubjective en provoquant chez l'utilisateur l'impression qu'une instance – quand bien même en images de synthèse – a voulu croiser son regard. Pour vérifier cette hypothèse, il conviendra de préciser la manière dont le regard intervient pour construire ces énonciateurs dans un serious game, puis de qualifier la nature de l'interlocuteur, d'origine fictive ou réelle.

H4.Conflits sociocognitifs

Alors que H3 suggère une première manière de construire une relation médiatisée