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1. Évaluation de l’intelligence

1.2. Tests en psychologie

1.2.4. Intelligence, de quoi parlons-nous ?

Malgré la multitude d’études et le vif intérêt pour le domaine, aucune définition de l’intelligence n’appelle un consensus universel que cela soit en psychologie ou en philosophie (Lanz, 2000). Selon les auteurs, on observe des différences – parfois importantes – sur les délimitations des champs de compétences et de comportements qu’englobe l’intelligence. Au fil des écrits sur l’intelligence et son évaluation, les contours d’une définition de l’intelligence se dessinent. Nous allons en présenter quelques-uns pour illustrer les composantes de l’intelligence que cherchent à évaluer les tests d’intelligence.

Commençons en 1921 où se tient un symposium intitulé Intelligence and its Measurement regroupant les experts de l’époque. Quatorze d’entre eux se prononcent sur leur définition de l’intelligence. Thorndike (1921) donne une définition de l’intelligence comme the power of good responses from the point of view of truth or fact (p. 124). D’autres auteurs relèvent des composantes qui vont devenir récurrentes dans les définitions de l’intelligence : « the ability to carry on abstract thinking » (Terman, 1921, p. 128), « the ability to adapt oneself adequately to relatively new situations in life » (Pintner, 1921, p. 139), « learn to adjust himself to his environment » (Colvin, 1921, p. 136). À l’issue du symposium, il y a à la fois un certain accord sur ce qu’est l’intelligence en général et des écarts sur ce qui la compose en particulier.

Dans une étude américaine, Snyderman et Rothman (1987) sollicitent par questionnaire 1020 psychologues et spécialistes de l’éducation ayant une expertise dans le domaine de l’intelligence. Leur questionnaire est composé de 48 questions sur différentes controverses autour de l’intelligence et des tests d’intelligence, qui sont sous le feu de la critique pour leur biais en défaveur des minorités ethniques ou des groupes socio-économiques bas, ou encore pour leur stigmatisation de ceux ayant de

basses performances. Snyderman et Rothman recueillent 661 questionnaires remplis (65 % de taux de réponse). À la question sur l’énumération des composantes importantes de l’intelligence, les dix caractéristiques suivantes se révèlent récurrentes parmi les répondants : pensée ou raisonnement abstrait (99.3 %), aptitude à résoudre des problèmes (97.7 %), capacité à acquérir des connaissances (96 %), mémoire (80.5 %), adaptation à l’environnement (77.2 %), vitesse mentale (71.7 %), compétence linguistique (71 %), compétence en mathématique (67.9 %), culture générale (62.4 %), créativité (59.6 %). À la question d’estimer si les composantes de l’intelligence sont adéquatement évaluées par les tests d’intelligence existants, les répondent déplorent les lacunes des tests d’intelligence pour la créativité (88.3 %), pour l’adaptation à l’environnement (75.3 %) et pour la capacité à acquérir de nouvelles connaissances (42.2 %). À travers les composantes relevées par les répondants de l’étude se dessine une définition de l’intelligence qui rend compte d’une vision principalement académique de l’intelligence, axée sur des compétences valorisées dans la réussite académique.

À la suite de la publication très débattue de « The Bell Curve » écrite par le psychologue Herrnstein et le politologue Murray (1994), l’American Psychological Association (APA) constitue un groupe de travail pour rafraîchir l’état des connaissances empiriques liées à l’intelligence. Nous ne développerons pas davantage sur les controverses de l’ouvrage de Herrnstein et Murray, mais pour donner un exemple, l’une d’elles est leur conclusion selon laquelle les différences de QI dans la population américaine relèvent de la génétique et des différences raciales. Dans leur réflexion, la task force de l’APA définit ainsi l’intelligence :

Ability to understand complex ideas, to adapt effectively to the environment, to learn from experience, to engage in various forms of reasoning, to overcome obstacles by taking thought. (Neisser et al., 1996, p. 77)

Dans une vision de l’intelligence proche des répondants de l’étude de Snyderman et Rothman (1987), cette définition ne met cependant pas explicitement en évidence certaines composantes telles que la créativité ou les compétences linguistiques.

Également en réaction à la publication de « The Bell Curve », 52 chercheurs du domaine de l’intelligence ont approuvé un texte qui définit l’intelligence comme suit :

Intelligence is a very general mental capability that, among other things, involves the ability to reason, plan, solve problems, think abstractly, comprehend complex ideas, learn quickly and learn from experience. It is not merely book learning, a

narrow academic skill or test taking smarts. Rather it reflects a broader and deeper capability for comprehending our surroundings, catching on, making sense of things, or figuring out what to do. (L. S. Gottfredson, 1997, p. 13)

Par cette définition de l’intelligence, un élargissement est apporté, qui souligne une capacité mentale transversale à comprendre, à donner du sens et à savoir quoi faire dans différentes situations.

Ces différentes définitions proviennent d’experts. Une question qu’on peut se poser est de savoir si la vision de l’intelligence des experts sur laquelle les tests d’intelligence sont construits, coïncide avec celle de l’homme de la rue. Dans une recherche auprès de 140 psychologues ayant une expertise dans domaine de l’intelligence et de 122 sujets « profanes » (p. ex., des étudiants dans une bibliothèque, des gens attendant un train ou entrant dans un supermarché), Sternberg, Conway, Ketron, et Bernstein (1981) montrent que la conception de l’intelligence entre les deux groupes ne diffère pas radicalement. Le groupe des profanes évoque dans l’ordre (1) la capacité à résoudre des problèmes (p. ex., raisonnement logique, faire des connexions entre plusieurs idées), (2) les compétences verbales (p. ex., élocution claire, savoir s’exprimer avec aisance) et enfin (3) les compétences sociales (p. ex., acceptation de l’autre tel qu’il est, savoir reconnaître ses propres erreurs). De leur côté, les experts évoquent d’abord (1) l’intelligence verbale (p. ex., utilisation d’un vocabulaire adéquate, compréhension verbale), puis (2) la capacité à résoudre des problèmes (p. ex., capacité d’appliquer ses connaissances pour résoudre un problème, prendre de bonnes décisions) et enfin (3) l’intelligence pratique (p. ex., adaptation à une situation, capacité de planifier pour atteindre un but). D’après les résultats de cette recherche, la conception de l’intelligence formulée par les experts du domaine reçoit un écho dans la population qui semble également privilégier une intelligence basée sur des compétences cognitives. Une légère différence est que les profanes semblent mettre en avant l’intelligence d’un individu quand elle se manifeste dans les interactions sociales.

Le manque de consensus sur une seule et unique définition s’explique, d’une part, parce que les chercheurs peuvent appréhender l’intelligence sous de nombreux angles et, d’autre part, parce qu’il y a un jugement de valeur inhérente à toute définition de l’intelligence. Concevoir l’intelligence – et donc la définir – est porteur d’enjeux importants pour les individus qui la survalorisent dans leur image de la réussite. Malgré l’absence d’une définition partagée par tous, cela n’est pas un frein aux nombreuses recherches menées dans ce domaine. Dans les études longitudinales, les résultats des corrélations montrent que les différences interindividuelles sur

l’intelligence tendent à être stables dans le temps dès 6-7 ans (p. ex., Deary, Whiteman, Starr, Whalley, & Fox, 2004; Hertzog & Schaie, 1986; R. A. Hoekstra, Bartels, &

Boomsma, 2007; W. Schneider, Niklas, & Schmiedeler, 2014). L’intelligence est supposé un trait stable dans le temps, même si certaines fluctuations dans les performances peuvent survenir à cause de la fatigue, de la motivation et d’autres facteurs. À l’inverse d’un état, un trait représente une caractéristique durable et une (pré-)disposition. Le trait est sous-jacent à une configuration de conduites qui montrent une relative stabilité temporelle et, une relative cohérence intra-individuelle et trans-situationnelle.

Le trait résume les conduites d’un individu, les explique et permet de les prévoir dans une situation similaire.

Pour résumer la situation actuelle, on peut citer le psychologue Roger Lécuyer :

« il est courant chez les pessimistes de dire qu’il y a autant de définitions de l’intelligence qu’il y a de spécialistes, les optimistes pensant, eux, qu’il y a seulement autant de définitions que de théories » (2009, p. 11). Le bref historique sur l’évolution de l’interprétation des tests d’intelligence sera l’occasion pour nous de présenter quelques-unes des grandes théories de l’intelligence. Les tests d’intelligence sont construits pour opérationnaliser les théories de l’intelligence. Ils reposent donc sur une définition de l’intelligence qui provient des experts, et moins sur des définitions qu’on peut retrouver chez les profanes. Cela explique que les batteries d’intelligence actuelles n’intègrent pas la créativité par exemple.