• Aucun résultat trouvé

1. Évaluation de l’intelligence

1.1. Évaluation psychologique chez l’enfant

L’activité d’évaluation n’est pas nouvelle dans le champ de la psychologie clinique. Dès les débuts de la psychologie moderne se construisent les premiers tests d’intelligence qui marquent un intérêt toujours grandissant pour l’évaluation. Si l’intelligence est un domaine fréquemment investigué, l’évaluation psychologique porte également sur d’autres domaines cognitifs (p. ex., traitement d’information, attention, langage, perception, etc.) ou sur les domaines conatifs (p. ex., personnalité, émotions, affects, etc.). Dans une enquête périodiquement menée auprès de psychologues-praticiens affiliés à l’American Psychological Association (APA), l’évaluation tient de manière stable la deuxième place des activités du psychologue-praticien sur une période de 1986 à 2010. Une première fois lancée par E. L. Kelly (1961), l’enquête est poursuivie dernièrement par Norcross et Karpiak (2012). En 2010, ces derniers ont transmis le questionnaire à 1’285 psychologues-praticiens sélectionnés au hasard parmi ceux membres de l’APA. Leur recueil final comporte 549 questionnaires complets et valides (42.7 % de taux de réponse). À la question sur leurs diverses activités professionnelles, 76 % des cliniciens répondent pratiquer la psychothérapie, 58 % l’évaluation psychologique, 49 % l’enseignement, 47 % la supervision clinique ainsi que la recherche et l’écriture scientifique. Se plaçant deuxième des activités les plus pratiquées par le clinicien juste après la psychothérapie, l’évaluation est identifiée comme un important marqueur professionnel dans la représentation du psychologue par le public. L’enquête de Norcross et Karpiak (2012) montre également que les cliniciens pratiquent le plus fréquemment des évaluations dans le domaine conatif (pratiqué par 54 % des cliniciens de l’étude) et dans le domaine cognitif (pratiqué par 48 % des cliniciens de l’étude). Étant un domaine plus spécifique et moins fréquent, l’évaluation neuropsychologique est pratiquée par 27 % des cliniciens répondants de l’étude.

En psychologie, la pratique de l’évaluation porte d’autres appellations telles qu’« examen » ou « bilan ». Nous allons nous attarder sur ces terminologies pour nous entendre sur leur sens et les nuances que chacune apporte. Pour commencer, le terme d’examen est souvent adopté bien qu’il soit teinté de connotations fortes telles que dans examen médical, examens dans le contexte scolaire, mise en examen par l’instance judiciaire, examen financier ou encore examen de conscience. Entendu comme examen psychologique, le terme d’examen renvoie à la fois à une investigation approfondie, un travail, d’observation, de description et de compréhension, une forme

d’introspection et surtout un processus ou une démarche en cours pour arriver à des conclusions. Utilisé par Binet, le terme d’examen psychologique est repris par ses successeurs pour le lien historique. Cependant, Binet n’administrait pas qu’un test d’intelligence aux enfants, il prenait aussi des mesures anatomiques (poids, taille, largeur d’épaules et de tête) qui apparentent sa pratique à un examen médical. Ensuite, prenons le terme de bilan qui fait d’abord penser à un état des lieux (bilan comptable, bilan d’exploitation), mais également au bilan qu’on dresse à certains moments de son existence (bilan de vie, bilan de ses réalisations, bilan d’une amitié). Entendu comme bilan psychologique, le terme bilan évoque un arrêt sur image pour faire le point, pour brosser le tableau de sa situation afin de se réorienter. L’idée de l’arrêt sur image sur la situation actuelle est pertinente, car elle rappelle la nature non figée mais évolutive de l’humain – et en particulier à la période de l’enfance. Elle souligne donc que la consultation survient à un moment donné dans l’évolution du sujet. Enfin, le terme d’évaluation renvoie à l’action d’apprécier la valeur d’une chose par une technique ou une méthode d’estimation. Une part de subjectivité est inhérente à l’acte d’évaluer qu’on ne retrouve pas dans l’acte de mesurer. En effet, « les résultats de la mesure sont purement descriptifs, c’est-à-dire qu’aucun jugement de valeur n’est porté, alors que le résultat d’une évaluation, lui, est subjectif » (Bernier & Pietrulewicz, 1997, p. 15).

Certains regrettent justement que le terme d’évaluation attire l’attention sur l’idée d’« apprécier une dimension psychologique en la positionnant sur une échelle de valeurs » (Cognet & Bachelier, 2016). Mais n’est-ce pas illusoire de penser que les résultats restitués puissent échapper à une forme de jugement de valeur de la part du patient, de son entourage ou de la société ? En ce qui nous concerne, ce dernier terme rend bien compte à la fois de l’acte, qui consiste en « la mesure » d’une propriété psychologique et de la visée d’une telle démarche, qui est de situer l’individu par rapport à ses pairs. Ce terme est d’ailleurs la plus proche traduction du terme utilisé en anglais : assessement. Même si notre préférence se porte sur le terme d’évaluation, dans notre texte, nous employons les trois terminologies indifféremment pour nommer la pratique professionnelle du psychologue. Il n’y a pas d’arguments décisifs pour un terme plutôt qu’un autre, à chacun sa préférence selon sa sensibilité et sa filiation théorique. En revanche, nous reviendrons sur la distinction entre la mesure vs l’évaluation au moyen de tests, qui, quant à elle, ne relève pas de la nuance linguistique (voir section 1.2.3).

La pratique professionnelle qui nous intéresse plus particulièrement est celle de l’évaluation de l’intelligence chez l’enfant. Cependant, elle s’intègre souvent dans une

démarche plus complète, celle de l’évaluation psychologique, où les aspects cognitifs et les aspects psychoaffectifs sont également examinés. Décrire l’approche de l’évaluation psychologique revient finalement aussi à décrire celle de l’évaluation de l’intelligence, qui quant à elle, se distingue par une centration sur le fonctionnement intellectuel du sujet. À partir de la présentation de l’évaluation psychologique qui suit, nous relèverons le cas échéant les spécificités de l’évaluation de l’intelligence.

L’évaluation psychologique chez l’enfant se conçoit comme « une situation relationnelle au cours de laquelle un spécialiste applique des connaissances théoriques et des méthodes psychologiques à la compréhension dynamique d’un enfant présentant des difficultés à un moment donné de son évolution » (Voyazopoulos, Vannetzel, & Eynard, 2011, p. 92). Dans cette définition, l’examen psychologique s’envisage dans une perspective clinique comme un moment privilégié de rencontre entre l’enfant en difficulté et le psychologue. La démarche clinique de l’évaluation cherche à apporter un éclairage sur la nature et les origines des difficultés de l’individu (p. ex., intellectuelles, affectives, psychosomatiques, ou de dépendances toxicologiques). Pour cela, le psychologue recueille des informations auprès de sources plurielles et diversifiées (entretiens, tests, observations, échanges avec l’enseignant-e, la logopédiste, l’éducateur, l’assistante sociale, etc.), qu’il met en lien pour préciser et étayer ses hypothèses. Toute interprétation des performances à un test gagne en signification diagnostique, lorsqu’elle est corroborée par d’autres sources et quand elle est mise en lien avec les difficultés qui ont conduit à la demande d’évaluation. Le fonctionnement (intellectuel, cognitif, de la personnalité, etc.) du sujet est ainsi considéré de manière holistique et dynamique au travers des compétences et des potentialités du sujet, et non de manière fragmentée par l’addition de résultats et d’observations isolés. Les tests cognitifs s’étant considérablement développés, leurs résultats prennent de nos jours du poids dans les critères de décision (p. ex., dispense d’âge, placement en institution, admission dans une école de surdoués). Néanmoins, le psychologue pratiquant le bilan cognitif ne doit pas être réduit – ni se réduire – à un rôle de technicien. Le sens à donner aux résultats d’un test n’est pas immédiat ni mécanique, il s’élabore dans la cohérence avec d’autres sources d’information (entretiens cliniques, observations, échanges informels, etc.) et nécessite de connaître les limites de l’interprétation du test utilisé. L’utilisation d’un test psychologique est reconnue comme une spécificité du psychologue, même si parfois d’autres corps de la santé (notamment les médecins) peuvent être habilités à y recourir.

Plusieurs objectifs peuvent être poursuivis par le bilan psychologique : (a) mieux comprendre le fonctionnement et la personnalité d’un individu ; (b) contribuer à un diagnostic psychologique ; (c) contribuer à définir un projet thérapeutique ; (d) évaluer un changement après une intervention. Son déroulement suit plusieurs étapes comportant un entretien préalable pour l’anamnèse et l’étude de la demande avec les parents et l’enfant, puis des séances d’entretiens cliniques, d’observation du comportement et de passations de tests avec l’enfant, enfin, au terme du processus, un entretien de feedback et de propositions thérapeutiques. Il y a un travail de la part du psychologue de mise en lien et de construction d’un discours dans un langage compréhensible afin de permettre à l’enfant et aux parents l’appropriation des résultats du bilan psychologique.

Nous l’avons relevé, l’un des outils du psychologue pratiquant l’évaluation est le test d’intelligence. Il s’agit d’un outil particulièrement utilisé dans les bilans cognitifs, puisqu’il fournit une indication du fonctionnement intellectuel de l’individu. Les consultations chez les enfants font généralement suite à des difficultés d’apprentissage ou de comportement à l’école (troubles DYS-, TDA/H, etc.), mais il y a également de plus en plus de demandes pour l’identification d’un haut potentiel intellectuel. Quel que soit le motif de la consultation, la première inquiétude des parents se porte naturellement sur l’impact des difficultés sur les capacités intellectuelles de leur enfant et de surcroît, sur l’entrave pour ses apprentissages futurs ou pour ses relations interpersonnelles. Les bilans cognitifs, et plus particulièrement intellectuels, sont devenus routiniers au cours d’une évaluation psychologique. D’autant qu’évaluer le niveau de fonctionnement intellectuel s’inscrit de plus en plus comme une exigence administrative (p. ex., saut de classes, rente d’invalidité, placement institutionnel) ainsi que comme critère d’identification (p. ex., retard mental, haut potentiel intellectuel, trouble DYS-).

Actuellement, seules les batteries d’intelligence de Wechsler calculent un QI Total (sur la métrique de la moyenne à 100 et de l’écart type à 15). À la suite, nous allons présenter plus en détail l’échelle d’intelligence de Wechsler pour enfant et adolescent (WISC) qui est mentionnée tout au long du présent travail. Cependant, il important de présenter plus largement ce que sont les tests d’intelligence et les contributions empiriques qui font évoluer les conceptions de l’intelligence sur lesquelles ces tests reposent.