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CHAPITRE I LA PROBLÉMATIQUE

1.1 Sources des tensions des enseignants de la danse en milieu scolaire (EDMS)

1.1.2 Instructions ministérielles

Les instructions du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) du Québec en ce qui concerne les EDMS représentent une autre source de tensions. Celles-ci conditionnent et encadrent la formation initiale et la pratique de la profession et ce, tant par le biais des régimes pédagogiques en cours que par l’introduction de nouveaux programmes d’études en danse (Gouvernement du Québec, 2000, 2003, 2007). Nous verrons comment ces directives ministérielles affectent le développement des EDMS.

1.1.2.1 Directives fragilisantes pour la profession

La danse est intégrée au Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ) (2000; 2003; 2007). Des EDMS sont formés pour l’enseigner au primaire et au secondaire. Cependant, la fragilité de la place de la danse à l’école tout comme celle des EDMS persistent. Or, c’est au cœur de ces fragilités que se construit l’identité professionnelle des EDMS.

En 2000, malgré la sortie des nouveaux programmes de danse inclus au PFEQ et le caractère obligatoire des arts dans la formation générale des jeunes, les EDMS ont subi un revers de situation car les décisions ministérielles, reliées à la publication de l’Énoncé de

politique éducative (Gouvernement du Québec, 1997a) et du Régime pédagogique de

l’époque, hiérarchisaient les disciplines artistiques à l’école. La danse ainsi que l’art dramatique figuraient à un second rang au profit des deux autres disciplines artistiques, les arts plastiques et la musique.

En 1995, le Rapport Inchauspé avait d’abord recommandé que l’enseignement des arts occupe une place dans le curriculum de la maternelle jusqu’à la fin de la 2e secondaire et qu’il soit l’une des trois options offertes en 3e secondaire, puis qu’il devienne un choix optionnel au second cycle du secondaire. Du même coup, ce rapport stipulait que «l’enseignement des arts doit s’ouvrir à toutes les formes d’expression artistique », (Gouvernement du Québec, 1995) mais il soulignait en revanche que « deux d’entre elles constituent l’enseignement de base commun : les arts plastiques et la musique» (ibid). Le ministère de l’Éducation, dans L’énoncé de politique éducative (Gouvernement du Québec, 1997a, annexe 2) reprenait les recommandations du Rapport Inchauspé et, en outre, donnait à la danse une place extracurriculaire pour les écoles qui ne la dispensaient pas avant le Régime pédagogique de 2000. La Commission des universités sur les

programmes (2000) a réagi. Selon elle, la hiérarchisation des disciplines artistiques

fragilisait le recrutement des candidats au programme de formation de spécialistes en enseignement de la danse ainsi que la présence des EDMS sur le terrain; de plus, cette décision négligeait la valeur éducative de l’enseignement de la danse et de l’art dramatique, pourtant reconnue dans les années précédentes par le système d’éducation public et par le

Conseil supérieur de l’éducation (1988). En empruntant cette voie, le ministère de

l’Éducation a poussé de nombreux étudiants en formation des maîtres à délaisser la danse. Conséquemment, les programmes de formation à l’enseignement des arts dont la discipline principale n’était ni la musique, ni les arts plastiques, ont eu de la difficulté à attirer des étudiants de 2000 à 2005.

Les encadrements ministériels issus du Régime pédagogique de 2000 de la loi sur l’instruction publique ont constitué un obstacle majeur dans l’histoire de l’enseignement de la danse et des EDMS. Ils ont été d’importants irritants dans le parcours des EDMS. Cela a eu pour effet de provoquer des coupures et même des abolitions de postes péniblement obtenus et d’amplifier la précarité des enseignants. Ainsi au primaire, à partir de 2000, le développement de la danse à l’école a été considérablement freiné au profit des arts plastiques et de la musique, des disciplines artistiques déjà bien implantées dans les écoles. Cependant, au secondaire, nous avons constaté une consolidation de programmes de danse déjà établis dans plusieurs écoles et une augmentation de la clientèle scolaire intéressée à la danse par la voie des options artistiques car, à cet ordre d’enseignement, la danse s’était implantée avec vigueur dans plusieurs milieux.

En réaction à la hiérarchisation des disciplines artistiques est née, en 1999-2000, la Coalition pour une réelle éducation artistique (CRÉA)20. Cette dernière s’est mobilisée en rédigeant un manifeste dans le but de soulager les irritants associés aux directives ministérielles du Régime pédagogique de l’époque. Ce manifeste revendiquait un nombre d’heures accru pour l’enseignement obligatoire des arts et ce, en continuité au primaire et au secondaire. Il suggérait également de permettre aux élèves de choisir un cours d’art parmi les quatre disciplines enseignées par des spécialistes. Bien que les revendications de la CRÉA n’aient pas eu d’effet à court terme sur le Régime pédagogique de 2000, elles ont eu des répercussions sur les directives légales de 2005 (annexe 3), lesquelles ont redonné à la danse une place non-hiérarchisée dans le curriculum scolaire où les arts devenaient une exigence à l’obtention du diplôme secondaire. D’ailleurs, le Conseil québécois des ressources humaines en culture (CQRHC) a salué avec enthousiasme ces décisions (annexe 4). Elles ont contribué à apaiser la tension de précarité et ont amené un vent d’espoir tant

20

En 1999-2000, le RQD a été impliqué dans la Coalition pour une réelle éducation artistique (CREA). Il s’agissait d’un sous-comité de la Table de concertation Arts/ Éducation instituée par l’entente MCCQ/MEQ. La CREA regroupait des artistes provenant de 12 organismes culturels et des enseignants spécialisés en arts. Représentant la danse, Martine Époque, professeure à l’UQAM, a participé aux actions de la CREA, notamment à la rédaction du manifeste qui exigeait des modifications au nouveau régime pédagogique et qui réclamait du gouvernement du Québec que l'enseignement des arts soit obligatoire de la première année du primaire jusqu'à la fin du secondaire. Il stipulait également que soient obligatoires les rencontres avec les créateurs, de même que la fréquentation des lieux culturels et des œuvres. Le manifeste a été présenté en conférence de presse à Québec, le 14 février 2000 lors de la Semaine nationale des arts et de la culture à l’école. Les demandes de la CRÉA ont été acheminées au bureau de la ministre de la Culture et des Communications, madame Agnès Maltais, et à celui du ministre de l'Éducation, monsieur François Legault.

pour la profession d’EDMS que pour la danse à l’école. Elles ont eu pour effet que le programme de formation initiale de l’UQAM en enseignement de la danse a connu une augmentation de ses effectifs d’étudiants en formation initiale depuis 2005-2006 grâce à des perspectives d’emploi accrues.

Toutefois, la place de la danse à l’école et les postes des spécialistes, dépendent des décisions des Conseils d’établissements (CE) responsables des projets éducatifs et des maquettes scolaires ainsi que de celles des commissions scolaires. Les CE des écoles interprètent et appliquent le Régime pédagogique en décidant des disciplines artistiques enseignées dans les écoles. Les Commissions scolaires sont responsables de l’embauche des spécialistes des disciplines artistiques. La pérennité de la profession dépend de plusieurs membres du milieu de l’éducation.

Voyons maintenant à quel idéal de la profession les enseignants se forment en regard des directives ministérielles qui définissent les rôles attendus de l’enseignant de la danse en milieu scolaire.

1.1.2.2 Description ministérielle : « L’idéal » de la profession

Le programme de formation de l’école québécoise (PFEQ), mis en œuvre dès 2000, prône une perspective socioconstructiviste de l’éducation et opte pour une approche par compétences, incitant l’enseignant à inscrire ses actions pédagogiques dans le paradigme de l’apprentissage plutôt que dans celui de l’enseignement. Ce nouveau contexte paradigmatique interpelle tous les enseignants dans leur pratique. Ainsi, des mesures gouvernementales et institutionnelles mises en place pour renouveler la profession enseignante émergent certains enjeux, entre autres en rapport avec de nouveaux rôles qui leur sont assignés. L’EDMS du renouveau pédagogique, tel que le stipule le PFEQ (Gouvernement du Québec, 2003,) (annexe 5), soutient le jeune dans l’acquisition de trois compétences artistiques : créer, interpréter et apprécier des danses. Des indications pédagogiques rappellent qu’il aide le jeune à s’engager de façon personnelle dans sa formation artistique, l’encourage à adopter les attitudes essentielles à l’exercice de la

pensée créatrice et agit comme guide auprès de lui. Pédagogue et expert, enseignant et artiste, il aide l’élève à prendre conscience de son style d’apprentissage et de ses manières de faire, soutient la dynamique de création, met à profit son bagage chorégraphique ainsi qu’il agit comme animateur et passeur culturel. Cette description des rôles de l’EDMS, fournie par le MELS, se lit telle une « prescription » des paramètres identitaires attendus par le ministère de l’Éducation. Il s’agit de l’EDMS « idéal » qui harmonise son expertise artistique en tant qu’interprète, créateur et appréciateur à ses compétences didactico- pédagogiques pour intervenir auprès des jeunes.

Bien que cette description du PFEQ reflète les compétences pour lesquelles l’EDMS est formé. Nous avons tendance à croire que les multiples rôles à jouer sont sources de tensions et que les praticiens déploieraient des stratégies pour s’y conformer ou s’en distancer. À ce sujet, Heinich (1995) affirme qu’

« une réflexion sur l’identité ne peut se contenter de décrire un statut en explicitant sa nature et les représentations auxquelles il est associé : il ne s’agirait là que du contenu du paramètre identitaire, non des conditions auxquelles il peut être affectées, à un sujet avec quelque chance de « tenir », c'est-à-dire de le qualifier sans contestations ni problèmes.» (p.522).

Autrement dit, bien que les enseignants dispensent les programmes ministériels des ordres primaire et secondaire, nous présumons toutefois que ces rôles ne sont pas compris et assumés de la même manière par tous les intervenants du milieu scolaire compte tenu de l’hétérogénéité des rapports à la profession, des caractéristiques des parcours socio- individuels et professionnels, des formations initiales21, des contextes de pratique, des statuts d’emploi, des finalités des programmes enseignés et des clientèles. Ainsi, leur type d’engagement dans la pratique affecterait leur identité et les stratégies qu’ils développent pour la construire.

21 De nombreux EDMS possèdent un brevet en enseignement en danse qu’ils ont obtenu grâce à uneformation universitaire initiale (baccalauréat de trois ans pour les gradués entre 1984 et 2000 et de quatre ans pour les gradués après 2000). Cependant, d’autres sont des enseignants spécialistes qui ont un brevet en enseignement de la musique, de l’éducation physique ou autre matière, quelques uns sont des étudiants en enseignement de la danse à temps partiel ou d’autres détiennent un baccalauréat en danse du profil pratique artistique avec tolérance d’embauche. (Il existe six voies d’accès à des emplois en enseignement en lien avec l’autorisation provisoire d’enseigner; loi votée en juin 2006.)

Comme nous ne disposons d’aucune donnée répertoriée sur ces contextes de pratique ni sur les nouveaux rôles à jouer auprès des élèves, cette étude vise à comprendre ce qu’il en est pour l’EDMS dans sa pratique et de mesurer l’écart entre l’identité prescrite et l’identité réelle.

En résumé, les mesures institutionnelles affectent les actions réelles des EDMS en

formation et en pratique. Les textes ministériels, les contextes d’enseignement et les conceptions de l’apprentissage liés au renouveau pédagogique ont un effet sur les rapports à la profession et sur la construction de leur identité professionnelle22 (Cattonar, 2005; Roux- Pérez, 2003a). Depuis l’existence de la profession d’EDMS, des directives ministérielles ont heurté son évolution provoquant des tensions reliées tant à la hiérarchisation des disciplines artistiques dans le Régime pédagogique, qu’à la description des nouveaux rôles que les EDMS ont à jouer dans la formation des jeunes. Pour compléter le portrait des sources de tensions liées à la formation et à la profession d’EDMS, passons maintenant à celles qui sont palpables dès la formation initiale et qui animent le développement des postures de l’artiste et de l’enseignant.