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L’organisation publique est bien souvent définie en opposition à l’entreprise privée si bien que depuis les années 60, la question de la pérennité de ce modèle organisationnel fait l’objet de débats sociétaux et politiques récurrents. Or entrer dans cette dichotomie apparaît assez réducteur compte tenu tout d’abord de la complexité et de l’imprécision conceptuelle que revêt la notion de service public, ensuite parce que le modèle de l’organisation publique, en dépit des charges fréquentes dont il fait l’objet, a réussi à survivre jusqu’à ce jour (Chatelin, 2003). Pour Chevallier (2005), ce flou conceptuel expliquerait en grande majorité la crise que traverse le service public depuis maintenant plus d’un demi-siècle, alors que pour d’autres, elle serait la résultante d’un carence chronique en légitimité (Laufer et Burlaud, 1980, 1997 ; Laufer, 1996, 2008). Un constat semble cependant se dégager : le service public est en crise ; et l’Etat semble conférer au contrôle de gestion et à la fonction de contrôleur une dimension centrale dans la résolution de cette crise, notamment en tentant d’institutionnaliser la discipline et de professionnaliser le métier de contrôleur. Le choix qui semble avoir été retenu suscite cependant un certain nombre d’interrogations et le travail institutionnel engagé par l’Etat revêt a priori des failles susceptibles de fragiliser le contrôle de gestion et le métier de contrôleur.

2.3.1. Entre isomorphisme coercitif et comportements mimétiques

Bien qu’apparu il y a maintenant plusieurs décennies dans les organisations publiques dans sa forme la plus basique (suivi budgétaire aux PTT (Morgana, 2008), calcul des coûts dans les manufactures d’Etat), le contrôle de gestion est longtemps resté sous-utilisé, voire inutilisé, dans des structures qui ne se souciaient que trop peu de l’utilisation efficiente de leurs ressources ou de la cohérence de ces dernières avec les orientations stratégiques à venir. Manque de responsabilités ou d’autonomie à tous les niveaux ou bien ingérence manifeste de la sphère politique comme le dénonçait Fayol, le contrôle de gestion a semblé manquer de prises solides pour se construire techniquement et socialement dans le secteur public. Cependant, malgré des tentatives infructueuses pour bâtir des modèles de pilotage de la performance et de l’efficacité de l’action publique, telles que la RCB, le constat de l’inéluctabilité de la maîtrise et de la rationalisation des dépenses pousse les majorités politiques successives à toujours vouloir institutionnaliser le contrôle de gestion au cœur du paysage public et à s’appuyer sur cette discipline pour tenter de résorber cette crise. Mais

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pendant trop longtemps, la dimension contrôle de gestion n’a été exploitée dans les organisations publiques que dans une perspective instrumentale. Les outils de gestion ont un rôle différent dans ces organisations. Historiquement, ils sont utilisés avec comme objectif la reddition des comptes. Il s’agit de rendre les comptes de ces organisations par l’intermédiaire d’un outil : la comptabilité publique. Puis, progressivement un nouvel objectif s’ajoute au contrôle de régularité : pouvoir apprécier l’efficacité des actions publiques. Or, pour remplir cette mission, la comptabilité publique souffre de limites importantes : Demeestère signale le faible contenu informatif de cet outil et les imperfections de son suivi budgétaire. L’organisation publique ressent donc le besoin d’utiliser des outils de gestion plus perfectionnés pour gérer ses activités. (Dreveton, 2003). En réformant la loi de finance de 1959, les décideurs politiques font donc le choix de dépasser cette vision instrumentale du contrôle de gestion afin de placer la discipline au cœur des politiques de modernisation de l’espace public.

Pour Chatelain-Ponroy et al. (2012), les pouvoirs publics participent activement à l’institutionnalisation, la théorisation, la diffusion et la légitimation des pratiques de contrôle de gestion auprès des organisations (Figure 2). Il semble donc bien que la légitimation des dispositifs de contrôle de gestion ne relève pas uniquement de leur efficience technique mais aussi de la conception de la société à un moment donné et du pouvoir des acteurs qui sont impliqués dans cette diffusion. De surcroît, la légitimité peut agir de différentes manières : en accédant au statut de savoir légitime, le contrôle de gestion est également devenu un outil de légitimation.

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Figure 2 : Interactions et dialogues autour des pratiques de contrôle de gestion (Chatelain-Ponroy, Lambert, Sponem, 2012)

L’étude du développement des pratiques de contrôle de gestion dans les organisations publiques peut donc s’effectuer à partir du courant néo-institutionnel, notamment via les différentes dynamiques d’isomorphisme avancées par DiMaggio et Powell (1983). Pour Gangloff (2010), l’émergence des pratiques de gestion dans le secteur public répondrait d’une logique hybride combinant des comportements à la fois coercitifs et mimétiques.

En déclinant la nouvelle « constitution financière » qu’est la LOLF, les pouvoirs publics s’inscrivent donc dans un premier temps dans un travail institutionnel visant à bâtir un cadre juridique contraignant les organisations publiques à développer des pratiques de contrôle de gestion. Car si le texte de la LOLF ne fait aucunement référence au contrôle de gestion, son utilisation en reste néanmoins largement explicite. Plus concrètement, à travers le surplus d’autonomie qu’elle confère et l’intensité du contrôle à distance qu’elle sous-tend, la LOLF devient vecteur d’une logique de résultat censée supplanter l’ancestrale logique de moyens, apanage du secteur public prospère de la première moitié du 20ième siècle. Elle devient de

Futures pratiques Anciennes pratiques Pratiques d’entreprises Consultants

Objectif : prescrire et vendre

Pouvoirs publics

Objectif : orienter les pratiques en fonction d’une vision politique

Associations professionnelles et praticiens

Objectifs : faire face aux problèmes et légitimer la profession

Enseignants-chercheurs

Objectif : décrire comprendre et enseigner

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fait source de développement et de généralisation du contrôle de gestion puisqu’elle suppose un contrôle a posteriori et la mise en place de correctifs en cas d’écart avec les objectifs (Lambert et Migaud, 2006). L’incitation à l’utilisation des outils et des concepts du contrôle de gestion dans les administrations revêt donc la forme de pressions institutionnelles fortes que nous rapprochons ici des mécanismes d’isomorphisme coercitif que nous avons expliqué précédemment. Ces mécanismes poussent généralement les organisations à se conformer aux pressions formelles ou informelles exercées par l’ensemble de la société ou encore par des organisations dominantes qui doivent être en mesure à la fois d’imposer des règles plus ou moins formalisées mais également d’appliquer un certain nombre de sanctions. Dans le cas du développement des pratiques de contrôle de gestion dans les organismes publics, les principaux mécanismes coercitifs peuvent être assez facilement rapprochés des différents textes publiés (décrets, circulaires, rapports, textes de lois) depuis 1989 (Circulaire relative au renouveau des services publics) jusqu’à la mise en œuvre de la doctrine LOLF et dans lesquels il est fait référence, directement ou indirectement, à la mise en œuvre du contrôle de gestion (Zampiccoli, 2009) et à l’émergence de la fonction de contrôleur de gestion dans la sphère publique.

Les pouvoirs législatifs et politiques semblent donc être les premiers instigateurs de modifications structurelles des organisations publiques. Mais la LOLF ne représente pas qu’un simple cadre coercitif dictant les bonnes pratiques à adopter. Elle constitue également un puissant outil cognitif pouvant pousser les organisations au mimétisme avec tous les risques que cela comporte.

L’isomorphisme mimétique, dans sa conception néo-institutionnelle, est la résultante d’une imitation entre les organisations et conduit à la conformité ou encore à l’attrait des managers pour les nouveaux outils et méthodes de gestion (Huault, 2009). Le mimétisme peut également apparaître en situation d’incertitude (Gomez, 1994) ou bien lorsque l’entreprise est en quête de légitimité (DiMaggio et Powel, 1983). Pour Laufer et Burlaud (1980), la légitimité de la gestion publique est désormais fondée sur les méthodes qu’elle utilise et il est facile d’observer que les outils de gestion déployés dans le secteur public sont souvent issus du secteur privé (Jeannot et Guillemot, 2012). De plus, si la doctrine LOLF constitue un cadre institutionnel puissant guidant les politiques de modernisation de la gestion publique, elle encourage également la transposition des modes de gestion du secteur privé (Eggrickx, 2012). Les fondements de la LOLF nous renvoient ainsi à l’idéologie du New Public Management selon laquelle les méthodes de management issues du privé seraient transposables dans le

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secteur public compte tenu de l’incapacité des organismes publics à développer eux mêmes des méthodes et des outils de management adaptés à leur environnement.

Mais cette tentation au mimétisme soulève de nombreuses interrogations quant à la portée finale des pratiques de gestion. S’agit-il d’un réel besoin d’instrumentation interne ou bien d’une solution développée dans la précipitation à la suite d’injonctions externes pressantes ? (Chatelain-Ponroy, 2008) En apparaissant comme un pâle reliquat du modèle qui fit le succès de la firme privée il y a maintenant plus d’un demi-siècle, le contrôle de gestion développé dans le secteur public peine donc à convaincre de sa pertinence et de sa légitimité.

Déjà en 2003, Patrick Gibert, alors auteur de la préface du guide méthodologique de déploiement du contrôle de gestion dans les administrations, s’inquiétait de la délicate transposition des outils et méthodes de contrôle du privé vers le public et des dangers pouvant découler de comportements mimétiques.

Le contrôle de gestion s’est développé dans l’entreprise. Ses outils, méthodes, démarches ont été conçus depuis le début du XXe siècle pour apporter des réponses au problème de l’entreprise. La récupération de ces outils, méthodes et démarches par des administrations publiques ayant une finalité intrinsèquement différente de celle de l’entreprise, même si l’on considère généralement qu’elles doivent obéir aux ardentes obligations d’efficacité et d’efficience, est légitime.

Elle demande cependant un travail d’investigation, d’analyse sur ce qui est transposable et ne l’est pas, sur la nature et l’importance des transpositions ainsi que sur le développement de démarches de contrôle de gestion propres aux organisations publiques (c’est dans ce cadre-là que l’évaluation doit être raccordée au contrôle). À défaut d’effectuer ce travail, on succomberait au péché d’ « entrepromorphisme » qui vise à faire ressembler le plus possible les organisations publiques aux entreprises en oubliant que leur modernisation doit être au service de leur publicitude et non la gommer.

Patrick Gibert, extrait de la préface du guide méthodologique de la DIRE « Le contrôle de gestion dans les administrations de l’État : éléments de méthodologie»

Les craintes soulevées par Gibert quant au péché d’entrepromorphisme nous renvoient directement à la vision libérale du NPM que partagent de nombreux auteurs (Aucoin, 1995 ; Borins, 1994 ; Kamensky, 1996 ; Osborne et Gaebler, 1993 ; Kettl, 1997, 2000) et que critiquera Hood. Dans cette approche paradigmatique, le néo-managérialisme apparaît homogène et les pratiques managériales deviennent globalisées, détachées des spécificités locales et culturelles propres au secteur public. Le paradigme managérialiste venant se superposer au paradigme bureaucratique, pourrait alors surgir le risque de l’inefficacité et de l’inefficience des pratiques managériales dont le contrôle de gestion fait partie. Dans un article publié dans Management et Avenir, Eggrickx (2012) effectue un rapide bilan des quelques années de fonctionnement des organisations publiques en mode LOLF et s’interroge sur les risques inhérents au faux mimétisme. Ce faux mimétisme, que l’auteur rapproche du

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mimétisme batesien1, permettrait aux organisations publiques d’augmenter leurs chances de survies dans cet environnement en mutation, en calquant notamment leurs pratiques managériales sur celles des organisations privées mieux « armées ». Mais ce faisant, ces organisations prennent également le risque de transposer les biais des modèles managériaux du secteur privé (focalisation sur le court-terme, manipulation ou falsification des résultats, etc.) et de perdre de vue les finalités des missions de service public.

2.3.2. Un processus d’institutionnalisation précipité

Bien qu’initié depuis plus d’un siècle dans certaines administrations d’Etat et structures publiques, le contrôle de gestion semble n’avoir jamais réellement suscité l’engouement auprès des acteurs et des parties prenantes tel qu’il a pu le faire auparavant dans les firmes privées. Or depuis maintenant plus de cinquante ans, l’Etat s’efforce de placer la discipline au centre de la plupart de ses chantiers de modernisation. Et s’il apparaît clairement que l’Etat participe à l’institutionnalisation du contrôle de gestion dans les organismes publics (Chatelain-Ponroy, 2012), force est de constater que ce processus d’institutionnalisation est loin d’être parfait et que les défaillances qui découlent de ce processus sont symptomatiques des difficultés que rencontre la discipline pour s’imposer.

De manière générale, l’étude de phénomènes d’institutionnalisation s’effectue à partir d’approches contextuelles, apanage mais également critique historique et récurrente (Tolbert et Zucker, 1996 ; Sahlin-Anderson, 1996) d’une TNI originelle qui montre enfin ses limites. Le changement institutionnel ne doit plus être observé à partir de la figure héroïque qu’est l’entrepreneur institutionnel unique mais bien à partir du travail institutionnel (Lawrence et Suddaby, 2006 ; Oliver, 1991) d’acteurs multiples et diversifiés. Pour de nombreux auteurs en effet (Greenwood et al. 2002 ; Hoffman et Ventresca, 2002) l’institutionnalisation doit être considérée non pas comme une fin en soi mais plutôt comme un processus ou une propriété (Covaleski et Dirsmith, 1988). Pour ces derniers, l’institutionnalisation est propriété avant tout parce qu’elle offre la possibilité de déterminer le niveau institutionnel et le degré de développement des pratiques de gestion. Elle peut également être considérée comme processus dans la mesure où elle se structure en plusieurs étapes. De ce fait, le caractère institutionnel d’une pratique de gestion ne se décrète pas mais semble plutôt se bâtir et se renforcer tout au long de ce processus. Nous proposons donc de dépasser la conception classique de la TNI en nous intéressant notamment à ces approches critiques et en effectuant

1 Henry Walter Bates (1862) décrit le phénomène de mimétisme par lequel une espèce inoffensive adopte l’apparence physique (motif, couleur, etc.) d’espèces mieux protégées aux agressions de prédateurs.

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une lecture du développement du contrôle de gestion dans les organisations publiques à la lumière de l’approche processuelle élaborée successivement par Tolbert et Zucker et par Greenwood, Suddaby et Hinings.

Dans cette démarche, les caractéristiques du processus d’institutionnalisation, s’articulent autour d’étapes que Zucker (1987) structure dans un premier temps en fonction 1) de l’acceptation partielle, 2) de la diffusion rapide et 3) de la saturation et de la légitimité totale. Greenwood et al (2002) enrichiront par la suite les propositions de Zucker en proposant un modèle en six étapes (Tableau 5) dans lequel se retrouvent de multiples acteurs intervenant à différents niveaux du processus. Le modèle de Zucker enrichit des propositions de Greenwood et al. met ainsi en perspective la dimension interactive de l’institutionnalisation, révélant par la même occasion l’intervention d’acteurs multiples.

Tableau 5 : Institutionnalisation, étapes et caractéristiques (Mignerat et Rivard, 2006)

Étape (Greenwood et al., 2002)

Étape (Tolbert

et Zucker, 1996) Description Indicateurs (Greenwood et al., 2002; Tolbert et Zucker, 1996)

1) Secousses - (mentionné dans

Zucker, 1986)

De nouvelles poussées dans l’environnement viennent perturber les

pratiques existantes

Soulèvements sociaux, discontinuité technologique ou changements légaux

2) Remises en question

Introduction de nouvelles idées qui remettent en cause le consensus existant

Entrée de nouveaux joueurs ou ascendance d’acteurs existants; entreprenariat local

3) Pré-institutionnalisation

Accoutumance : pré institutionnalisation

Génération de nouvelles structures en réponse à de nouveaux problèmes.

Formulation de politiques et de procédures nouvelles. Les structures

sont à un stage pré-institutionnalisé

Peu d’adoptants, pouvant être interconnectés (homogénéité). Innovations indépendantes et recherche de solutions technologiques à des problèmes qui sont considérés comme spécifiques. Peu d’imitation au départ, tant que les problèmes restent considérés comme locaux, davantage ensuite

4) Théorisation

Objectification : Diffusion de la structure, qui est à

un stade semi institutionnalisé

Théorisation du problème via la spécification des problèmes organisationnels existants, la justification d’une solution abstraite possible et la recherche de légitimité

morale et pragmatique

Développement de catégories abstraites et élaboration de relations de causes à effets. Des solutions sont spécifiées et justifiées (légitimité). En identifiant les organisations qui, faisant face aux problèmes existants, ont évalué la structure comme étant une solution positive, la théorisation

apporte à la nouvelle structure de la légitimité.

5) Diffusion Objectification croissante de la structure

et recherche de légitimité pragmatique

Les adoptants utilisent des informations pouvant provenir des médias, le prix des actions par exemple, pour décider d’adopter la structure. Un rôle

important est joué par des « champions » et par les consultants, groupe d’intérêt qui promeut la structure. La raison pour adopter la structure

passe progressivement de l’imitation à l’application de la norme existante. Grande hétérogénéité chez les adoptants

6) Pleine institutionnalisation Sédimentation : (les structures sont pleinement institutionnalisées)

Les nouvelles structures sont complètement assimilées parmi les

acteurs impliqués

Certains comportements sont pris pour acquis et considérés comme la bonne chose à faire (adoption normative). Peu de résistance des autres groupes au départ, qui augmente si l’on constate peu d’effets positifs de

la structure. Début de développement et de promotion de structures alternatives

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Pour Greenwood et al., le processus d’institutionnalisation s’amorce dans un premier temps par des secousses sous la forme de bouleversements sociaux, de ruptures technologiques ou encore de changements légaux. L’ensemble de ces transformations entraine de fait un changement de consensus et de nouvelles idées apparaissent conjointement à de nouveaux espaces dans lesquels des acteurs émergent tandis que d’autres sont amenés à disparaitre. L’évolution de ces consensus et la création de ces espaces conduit à l’apparition de nouvelles structures dites pré-institutionnelles, calibrées et adaptées aux nouvelles contraintes apparues suite aux premières « secousses ». Des recherches technologiques sont entreprises de manière disparate et localisée afin de résoudre les problèmes existants. Une phase de théorisation permet ensuite d’objectiver l’ensemble des nouvelles structures notamment par une étude théorique des questions et de solutions envisageables. Durant cette phase de théorisation, la nouvelle structure est expliquée, spécifiée et justifiée et se diffuse progressivement jusqu’à atteindre le statut de structure institutionnelle, faisant foi en matière de norme et pouvant être accompagnée d’un phénomène de mode.

Dans le cas du développement du contrôle de gestion dans les organisations publiques, le processus d’institutionnalisation s’inscrit comme sous-processus d’une démarche processuelle bien plus ambitieuse à savoir celle de la reconquête de la légitimité du secteur public, amorcée il y a maintenant plusieurs décennies. L’Etat émet en effet de nombreux signaux depuis plus de trente ans afin de moderniser sensiblement l’ensemble de ses composantes. Qu’il s’agisse des premières vagues de décentralisation entreprises dans les années 1980, la circulaire de renouveau du service public, l’évaluation des politiques publiques ou plus récemment de la révision générale des politiques publiques (RGPP), l’Etat semble vouloir institutionnaliser de nombreuses pratiques managériales (gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences, contrôle de gestion, gestion de la qualité, etc.). Pour cela, la démarche de l’Etat s’inscrit dans un effort de travail institutionnel que Lawrence et Suddaby (2006) qualifient de création d’institution (Tableau 6). La création institutionnelle correspond à la mise en place de nouvelles pratiques, de nouvelles routines et de nouveaux standards et englobe les opérations visant à la fois à assurer une légitimité à ces nouvelles pratiques vis-à-vis des parties prenantes les plus susceptibles de favoriser, ou d’empêcher,leur développement (Ben Slimane et Leca, 2010). Le travail de création institutionnelle renvoie également aux opérations visant à doter l’activité de règles de fonctionnement propres (Huault, Leca, 2009), appuyée par la constitution de normes coercitives et à la régulation des acteurs notamment via la création de réseaux d’acteurs en mesure de soutenir la diffusion de la pratique. Pour

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Lanciano et Saleilles (2011), ces deux dimensions du travail de création institutionnel peuvent par ailleurs se révéler interdépendantes compte tenu de la portée structurante de certaines de ces règles. La création institutionnelle engagée par l’Etat semble donc avoir consisté tout au long de ces dernières années à bâtir de nouvelles règles, de nouvelles références, à préparer au mieux les structures et les agents au changement et à réunir les conditions adéquates pour que ces nouvelles pratiques managériales puissent jouir d’une légitimité rapidement incontestable.

Tableau 6 : Les principales formes de travail institutionnel (Lawrence et Suddaby, 2006)

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