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Inputs anglais : les critères retenus

La détente syllabique n’est pas phonologique en anglais : elle varie selon les communautés et selon les items, et parfois un même item peut varier pour un même locuteur selon son humeur, son débit, la situation d’énonciation, etc. Elle relève de ce qu’on appelle le détail phonétique fin et n’est évidemment pas transcrite dans les dictionnaires. Pour voir si la détente en anglais est responsable de l’épenthèse finale en coréen, il faut répertorier les facteurs favorisant la

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détente en anglais. Pour des raisons de lisibilité et en accord avec le code couleur retenu pour

EN2KO, les colonnes consacrées à l’anglais dans la base de données sont en rose.

5.2.1. Le voisement

J’ai montré au chapitre précédent que le trait laryngal de la coda joue un rôle important dans l’émergence de la voyelle épenthétique en coréen. Kang (2003b) montre qu’on attend l’épenthèse dans une vaste majorité des cas lorsque la coda est voisée, observation qu’elle met sur le compte d’une tendance à la similarité perceptuelle (perceptual similarity), puisque les occlusives lenis intervocaliques sont régulièrement voisées en coréen. Mettre la lenis à l’intervocalique grâce à une épenthèse permet de la prononcer voisée, ce qui donnerait lieu à un output acoustiquement plus similaire à l’input. Dans notre base de données, le voisement implique une épenthèse régulière en [ɨ] dans presque 95% des cas.

Malgré ce fort effet du voisement sur l’épenthèse, la plupart des études traitant de la détente se cantonnent aux occlusives non-voisées (Householder 1956, Andrésen 1960, Lisker 1999, Tsukada et al. 2004, Mohaghegh 2012 notamment). Davidson (2011) elle-même montre que le voisement dans les occurrences en fin d’énoncé semble ne pas jouer de rôle décisif quant à la réalisation ou non de la détente (ce qui semble difficile à montrer étant donné le manque d’occurrence dans son corpus).

Lorsque le rôle du voisement n’est pas nié, il demeure incertain : Wang (1959) prétend qu’avant une frontière de mot en anglais américain informel, les voisées sont moins souvent relâchées que les non-voisées, tandis que Parker & Walsh (1981) prétendent l’inverse.

Comme le rôle du voisement dans la production d’une détente n’est pas attesté avec solidité, mais qu’en revanche il influence solidement l’épenthèse, j’ai recentré la base de données pour observer l’influence des autres facteurs. J’ai donc restreint la base de données aux items dont la coda était non-voisée.

5.2.2. La voyelle pré-finale

Dans la base de données, deux colonnes spécifient la nature de la voyelle : une première colonne dans laquelle j’ai isolé la voyelle de sa transcription en API, une seconde où j’ai précisé la nature relâchée, tendue ou diphtonguée de cette voyelle. On a déjà vu que ce dernier facteur joue un rôle dans l’assignation de l’épenthèse. Or il est supposé aussi jouer un rôle sur la production d’une détente en coda.

Il a été en effet montré que cette caractéristique pouvait avoir un effet sur la production de la coda, notamment sur son relâchement. Premièrement, il a été observé que les diphtongues

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précédant une coda avaient tendance à être davantage suivies d’une coda relâchée que les monophtongues (Lisker 1999). De plus, parmi les monophtongues, les voyelles tendues sont plus souvent suivies d’une coda explosée que les voyelles relâchées (Householder 1956, Parker & Walsh 1981).

Comme pour les analyses précédentes cependant, j’ai pris soin de distinguer les voyelles rhotiques car leur comportement est très particulier à cet égard. En effet, elles provoquent une épenthèse dans l’output coréen dans presque 100 % des cas (moins 1 exception : New York), ce qui biaise les résultats finaux. Je les ai donc retirées de la base de données.

J’ai également enlevé de la base de données les items pour lesquels le Collins Dictionary Online proposait plusieurs transcriptions, car trancher arbitrairement en faveur d’un input plutôt qu’un autre aurait risqué de falsifier les données.

A ce stade, EN2KO-RBI compte un effectif final de 1266 items.

J’ai ensuite détaillé la nature de la voyelle dans ma base de données, puis j’ai associé à chaque catégorie un indice de corrélation avec la détente : parce que les diphtongues sont les plus à même d’être suivies d’une détente, je leur ai assigné un score de 2, puis aux voyelles tendues un score de 1 et enfin aux voyelles relâchées un score de 0.

5.2.3. Le point d’articulation de la coda

Le second facteur favorisant la détente est le point d’articulation de la coda (Householder 1956, Halle et al. 1957, Wang 1959, Byrd 1993, Tsukada et al. 2004, Davidson 2011).

Plus une consonne est prononcée loin dans la bouche, et plus la détente sera forte, pour des raisons aérodynamiques évidentes : la taille de la cavité supra-glottale derrière le point de constriction peut contribuer aux différences dans le VOT (Hardcastle 1973, Maddieson 1997), or les vélaires sont produites bien plus en arrière que les alvéolaires ou les labiales, la cavité étant alors largement plus étroite avant le point d’occlusion et plus large après. De plus, la vitesse de l’articulateur pourrait aussi influencer le VOT (Hardcastle 1973) et il a été effectivement montré que la racine de la langue bouge plus lentement que les lèvres ou que l’apex ou la lame de la langue (Kuehn & Moll 1976). Il est également possible que la distance par rapport au pivot de la mâchoire explique la différence de VOT entre [p] et [k] pour une même langue (en l’occurrence l’anglais, Maddieson 1997), ou encore que la taille de la zone de contact, plus grande pour les vélaires que pour les alvéolaires ou les labiales, provoque un VOT plus long (Lisker & Abramson 1964, Ladefoged & Maddieson 1996, Cho & Ladefoged 1999), et ce parce que le changement de la pression intra-orale suivant le relâchement de la consonne dépend de la croissance intersectorielle de la vitesse volumique de l’air à la constriction

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(Stevens 1999). Or ce changement dans la pression intraorale et dans la vélocité volumique serait intermédiaire pour les alvéolaires, pour lesquelles la zone de contact est plus grande que pour les labiales mais plus petite que pour les vélaires.

Ainsi, quelle que soit l’étude, la vélaire est affirmée depuis les années 1950 comme étant la plus propice à la détente (Householder 1956 ; Halle et al. 1957 ; Wang 1959).

Plus récemment, dans une étude rassemblant quelques 54000 occlusives en provenance de la base de données TIMIT, Byrd (1993) montre que les bilabiales sont relâchées dans 49,5% des cas, les alvéolaires dans 57% des cas, et les vélaires dans 83,11% des cas (χ²=40.829, p=.0001). Ces calculs donnent lieu à la création de l’échelle suivante :

[-release] p, b > t, d > k, g [+release].

Cette hiérarchie est également celle que concluent Tsukada et al. (2004) d’une étude sur la perception qu’ont des sujets anglophones d’items prononcés par des locuteurs du coréen et du thaï, dont les codas sont donc non-explosées.

Dans une étude un peu plus récente, Davidson (2011) montre, sur la base de 17 entretiens ou monologues en anglais américain (projet StoryCorps) que, dans la langue parlée, sur 679 occlusives, 165 étant finales d’énoncé, 41% étaient relâchées (sans doute, d’après elle, pour des raisons essentiellement stylistiques – en témoigne la différence entre locuteurs noirs et blancs à ce sujet). Toujours est-il que, sur ces 165 codas en fin d’énoncé, nonobstant l’importance du facteur sociolinguistique, la vélaire tend à être plus souvent relâchée, puis la labiale, puis l’alvéolaire :

[+release] k > p > t [- release].

La différence entre coronales et labiales vis-à-vis de la hiérarchie de Byrd s’explique par le fait que Davidson prend en considération tous les types de réalisations, incluant la lénition, l’élision, et même la glottalisation. Or l'alvéolaire est la première altérée par ces changements. Un traitement précautionneux de l’alvéolaire sera donc de mise lors du traitement de la base de données.

Par ailleurs, cette seconde hiérarchie avait déjà été postulée par Iverson & Lee (1994) et par Jun (1995), comme le notent Hume et al. (1999) dans une étude sur la perception du point d’articulation à travers les langues. Dans cette même étude, Hume et collègues notent que, si une corrélation entre la saillance perceptuelle, phonétique, et la marque, phonologique, est apparemment de mise, il ne faut pas oublier que la première est variable selon le contexte (la voyelle environnante : ku > pu, tu mais ki < pi, ti), tandis que la seconde est essentiellement invariable. En effet, l’analyse de Householder (1956) démontre déjà que, si la vélaire est souvent l’occlusive la plus propice à la détente, ce n’est pas toujours le cas : les pourcentages

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varient selon la nature de la voyelle précédente. Après [ɪ] et [a], elle serait même l’occlusive la

moins propice à la détente – ce qui expliquerait par ailleurs le chiffre peu élevé d’épenthèses

après les items composés du morphème {-ic}, et peut-être même le fait que ces deux voyelles soient aussi celles qui donnent lieu au plus de doubles adaptations en coréen.

J’ai donc distingué, dans ma base de données, les codas labiales (notées ‘Labial’), alvéolaires (notées ‘Coronal’) et vélaires (notées ‘Velar’). Les labiales ne provoquant qu’une détente moindre, je leur ai assigné un score de 0, puis aux coronales un score de 1 et aux vélaires un score de 2.

5.2.4. L’accentuation

Certains prétendent également que l’accentuation peut jouer un rôle (Gonzalez 2003). Mais ce facteur est problématique car il peut interférer avec la qualité de la voyelle. Par exemple, le mot

tecnic ne présente pas seulement une variation dans sa voyelle pré-finale, mais aussi dans son

schéma accentuel : [ˈtɛknɪk] vs [tɛkˈnik]. Ainsi, les syllabes accentuées non entravées le sont rarement sur une voyelle relâchée, de même qu’une syllabe non-accentuée tombe rarement sur une voyelle lourde (tendue ou diphtonguée). Dès lors, pour les mots de plus d’une syllabe dans notre base de données, l’accent pouvait varier, mais la voyelle avec lui. Assigner un score différent aux syllabes sous premier accent (2), sous accent secondaire (1) et non-accentuées (0) a été envisagé mais aurait été lourdement redondant avec le score déjà assigné à la voyelle. Comme de plus l’effet de l’accentuation n’a pas été démontré au chapitre précédent, j’ai choisi de ne pas en tenir compte. Mais afin d’éviter un possible biais de l’accentuation, ainsi que de la longueur du mot, j’ai choisi de ne traiter dans la suite de ce travail que les items monosyllabiques, donc tous accentués au même endroit et pour lesquels la longueur du mot ne devrait plus poser de problème. Ce choix permet également d’éviter le problème posé par les mots composés (en –type ou en –scope par exemple, qui étaient assez nombreux et risquaient de gonfler les résultats dans un sens ou dans l’autre).

La base de données est donc à présent réduite, afin d’éviter les biais de l’accentuation et de la longueur de mots, aux 331 monosyllabes ambigus, sans voyelles rhotiques et à coda

non-voisée. Mais je ferai appel occasionnellement à l’ensemble de la base de données EN2KO, tout

en évitant autant que faire se peut de mentionner l’accent. J’ai à partir de là calculé pour EN2KO

-RBI l’indice-détente de tous les items de EN2KO dont la transcription n’était pas ambiguë, dont

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5.2.5. L’indice-détente, ou Release Burst Index (RBI)

J’ai calculé, pour chacun des 1266 items éligibles de EN2KO (dont la transcription n’est pas

ambiguë en anglais, dont la voyelle pré-finale n’est pas rhotique et dont la coda est non-voisée), ce que j’ai appelé un « indice-détente » ou release burst index (RBI) en anglais :

Voyelle Coda Relâchée = 0 point Tendue = 1 point Diphtongue = 2 points Labiale = 0 point 0 1 2 Coronale = 1 point 1 2 3 Vélaire = 2 points 2 3 4

Tab.33 : Résumé des indices-détente assignés par catégorie –VC#

L’indice-détente peut donc aller de 0 (lorsqu’une voyelle relâchée est suivie d’une coda labiale) à 4 (lorsqu’une diphtongue est suivie d’une coda vélaire).

Cette colonne RBI est, pour des raisons de lisibilité, en vert dans le tableau.

5.2.6. La concomitance

J’ai résumé dans une colonne finale si la présence ou l’absence d’une épenthèse en coréen répondait aux attentes implémentées par l’indice-détente. J’ai appelé cette colonne ‘Concomitance’, car le but est d’y mettre en évidence s’il y a concomitance entre ce que laissait espérer l’indice-détente et l’adaptation attestée en coréen.

Lorsque l’indice-détente était inférieur à 2, j’ai estimé qu’il y avait relativement peu de chances qu’une détente soit produite dans le langage naturel et je n’attendais donc pas d’épenthèse : j’ai alors noté un « Concomitance » si le coréen n’avait effectivement pas de voyelle finale, mais « No Concomitance » s’il en avait une, contrairement à mes attentes. Inversement, les items dont l’indice-détente était égal ou supérieur à 2, avaient des chances d’être produits avec une détente finale en anglais, et j’attendais donc une épenthèse en coréen : j’ai alors noté un « Concomitance » si le coréen avait effectivement une épenthèse, et un « No Concomitance » s’il n’en avait pas. Enfin, dans les quelques rares cas où le coréen avait deux outputs, l’un avec et l’autre sans épenthèse, j’ai noté la mention « Doublet » dans ces cases. La colonne « Concomitance » peut être ainsi résumée :

120 Item anglais Item coréen Indice-détente = 0 ou 1 Indice-détente = 2, 3 ou 4

No Epenthesis Concomitance No Concomitance

Epenthesis No Concomitance Concomitance

Doublons Doublet Doublet

Tab. 34 : Résumé de la colonne ‘Concomitance’ entre indice-détente en anglais et épenthèse en coréen.

5.2.7. La base de données dans son état final

La base de données EN2KO-RBI finale comprend donc 1266 items, dont 331 items

monosyllabiques, dont les voyelles ne sont pas sujettes à variation en anglais et ne sont pas rhotiques, et dont les codas sont les occlusives non-voisées [p], [t] et [k]. Elle ressemble à l’échantillon suivant :

English Transcription Number of syllables in English Pre-final Vowel Vowel - tension C - PoA RBI Korean (phonetic) Number of Syllables

in Korean Epenthèse Concomitance

absolute ˈæbsəˌluːt,

ˌæbsəˈluːt Trisyllabic u Tense Coronal 2 absoʟʟutʰɨ Quadrisyllabic Epenthesis Concomitance academic ˌækəˈdɛmɪk Quadrisyllabic ɪ Lax Velar 2 akʰademik˺ Quadrisyllabic No

Epenthesis No Concomitance acetate ˈæsɪteɪt Trisyllabic Diphthong Coronal 3 asetʰeitʰɨ Pentasyllabic Epenthesis Concomitance acoustic ə'ku:stɪk Trisyllabic ɪ Lax Velar 2 ᴧkhusɨthik˺ Quadrisyllabic No

Epenthesis No Concomitance acrobatic ˌækrəˈbætɪk Quadrisyllabic ɪ Lax Velar 2 akʰɨʟɔbatik˺ Pentasyllabic No

Epenthesis No Concomitance adamsite ˈædəmˌzaɪt Trisyllabic Diphthong Coronal 3 adamsaitʰɨ Pentasyllabic Epenthesis Concomitance

adcock ˈædkɔk Disyllabic ɔ Tense Velar 3 ædɨkʰɔk˺ Trisyllabic No

Epenthesis No Concomitance aerobic əˈroʊbɪk, ε'roʊbɪk Trisyllabic ɪ Lax Velar 2 eʟobik˺ ;

eᴧʟobik˺ NA

No

Epenthesis No Concomitance

aerodynamic ˌεroʊdaɪ'næmɪk Pentasyllabic ɪ Lax Velar 2 eᴧʟodainamik˺ Heptasyllabic No

Epenthesis No Concomitance Aesop ˈiːsɒp Disyllabic ɒ Lax Labial 0 isop˺ Disyllabic No

Epenthesis Concomitance agate ˈæɡət Disyllabic ə Lax Coronal 1 ageitʰɨ Quadrisyllabic Epenthesis No Concomitance Aimak ˈaɪmæk, ˈeɪmæk Disyllabic æ Lax Velar 2 aimækʰɨ Quadrisyllabic Epenthesis Concomitance

albite ˈælbaɪt Disyllabic Diphthong Coronal 3 aʟbaitʰɨ Quadrisyllabic Epenthesis Concomitance alexandrite ˌælɪɡˈzændraɪt Quadrisyllabic Diphthong Coronal 3 aʟʟeksandɨʟaitʰɨ Heptasyllabic Epenthesis Concomitance

Alfred

Hitchcock ˌælfrɪd 'hɪtʃkɑk Quadrisyllabic ɒ Lax Velar 2 æʟpʰɨʟidɨ

hiʧɨkʰok˺ Heptasyllabic Epenthesis No No Concomitance aliphatic ˌælɪˈfætɪk Quadrisyllabic ɪ Lax Velar 2 aʟʟipʰatʰik˺ Quadrisyllabic No

Epenthesis No Concomitance alite ˈeɪlaɪt Disyllabic Diphthong Coronal 3 eiʟʟaitʰɨ Pentasyllabic Epenthesis Concomitance allosteric ˌæloʊˈstɛrɪk,

ˌæləˈstɛrɪk Quadrisyllabic ɪ Lax Velar 2 aʟʟosɨtʰeʟik˺ Pentasyllabic No

Epenthesis No Concomitance alphabet ˈælfəbɛt Trisyllabic ε Lax Coronal 1 ɑʟpʰɑbet˺ Trisyllabic No

Epenthesis Concomitance alumite ˈælyəˌmaɪt Trisyllabic Diphthong Coronal 3 aʟʟumaitʰɨ Pentasyllabic Epenthesis Concomitance Amberlite ˈæmbərˌlaɪt Trisyllabic Diphthong Coronal 3 æmbᴧʟʟaitʰɨ Pentasyllabic Epenthesis Concomitance ammonite ˈæməˌnaɪt Trisyllabic Diphthong Coronal 3 ammonaitʰɨ Pentasyllabic Epenthesis Concomitance

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Elle a été entièrement vérifiée par un locuteur natif de l’anglais américain (variété de Californie) et par une locutrice native du coréen de Séoul (grâce entre autres au dictionnaire en ligne

Naver), tous deux âgés de moins de 30 ans. La totalité de cette base de données est disponible

en annexe (Annexe 13).