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Colonne 7 : Le point d’articulation de la coda

4.1. Les inputs anglais

4.1.7. Colonne 7 : Le point d’articulation de la coda

Le point d’articulation de la coda joue un rôle évidemment central dans la prononciation de la coda, et notamment sur son relâchement (Householder 1956, Halle et al. 1957, Wang 1959, Byrd 1993, Tsukada et al. 2004, Davidson 2011). J’ai donc retenu ce critère dans la base de données.

J’ai catégorisé les codas en labiales (Labial) pour [p, b], coronales (Coronal) pour [t, d] et vélaires (Velar) pour [k, g].

Point d’articulation des codas Effectifs dans EN2KO Pourcentages dans EN2KO

Labial 278 14,35 %

Coronal 1129 58,29 %

Velar 530 27,36 %

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On constate notamment que les codas coronales sont en très gros effectif dans la base de

données puisqu’elles représentent presque 60 % de EN2KO.

Fig. 13 : Proportion d'épenthèses pour chaque point d'articulation

Le point d’articulation de la coda est supposé jouer un rôle dans la production de la détente (Householder 1956, Halle et al. 1957, Wang 1959, Byrd 1993, Tsukada et al. 2004, Davidson 2011) et sa force (Hardcastle 1973, Maddieson 1997). Mais qu’en est-il plus particulièrement du rapport direct entre point d’articulation et épenthèse ?

On le voit ici, l’effet du point d’articulation est moins net que celui de la voyelle. Les labiales ont une épenthèse dans seulement 35 % des cas, les vélaires dans à peine 25 % et les coronales dans 60 %.

Ce qui est notable, c’est que la littérature (Hardcastle 1973, Maddieson 1997) nous incitait à penser que les vélaires seraient corrélées avec beaucoup plus d'épenthèses, notamment plus que pour les coronales. Or on trouve ici un résultat doublement intéressant.

Tout d’abord, à l’instar de Kang (2003b), on voit que les coronales favorisent l’épenthèse de façon surprenante. Comme Kang (2003b), on peut supposer qu’il s’agit là d’une façon de contrer les effets de la phonologie native. En effet, le coréen neutralise massivement les codas coronales, tous modes confondus (obstruantes, affriquées et fricatives) et l’épenthèse serait un moyen d’expliciter le mode de la consonne, au plus proche de l’objet perçu. Ainsi, le coréen ferait une épenthèse après la coda afin d’en expliciter le mode – problème qui ne se pose pas pour les autres points d’articulation.

Labial Coronal Velar

No Epenthesis 61,82 35,35 73,63 Doublet 2,27 3,88 1,49 Epenthesis 35,91 60,77 24,88 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 % o f ep en th es is

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Ensuite, il faut remarquer le taux relativement faible d’épenthèses après les vélaires. La littérature déjà mentionnée (Hardcastle 1973, Maddieson 1997) pouvait prêter à penser que le point vélaire aurait un effet massif sur l’épenthèse. Pourtant, les vélaires ne sont adaptées avec une épenthèse que dans 24,88 % des cas. Comment expliquer ce résultat étonnant ? Les raisons possibles sont soit que la détente, attendue après vélaire, n’est pas responsable de l’épenthèse, soit que le point d’articulation de la coda n’est pas si décisif, et que c’est soit la voyelle seule qui l’est, soit la combinaison de la voyelle et de la coda. Cette seconde hypothèse est préférable car sur les 296 codas vélaires sans épenthèse, 291 (soit 98,31 %) sont en fait précédées d’une voyelle relâchée, notamment de [ɪ] (dans 160 cas, soit 54,05 %), sur le modèle des adjectifs en {-ic} (academic, acoustic…). Là encore, on peut supposer que :

1) soit dès l’input, cette vélaire est moins saillante et donc moins audible car appartenant à un morphème non-accentué ;

2) soit le bilinguisme a dirigé les bilingues vers une analyse de {-ic} en morphème ne devant donc pas être accentué ;

3) soit, par analogie, tous les adjectifs en {-ic} entrants sont adaptés sans épenthèse, 4) soit l’effet de la voyelle, notamment de sa durée, est plus important que celui de la

consonne ;

5) et on peut également penser que ces explications ne sont pas exclusives les unes des autres.

Mais si la proposition 1 soutient l’hypothèse perceptuelle, la proposition 2 l’hypothèse bilingue, et la proposition 3 l’idée d’une co-phonologie dédiée aux emprunts, c’est l’hypothèse 4, examinant l’effet de la durée de la voyelle sur l’épenthèse que j’aimerais explorer à présent. Il semblerait en effet que le point d’articulation de la coda n’ait à lui seul qu’un effet limité. Mais les effets combinés de la voyelle et de la coda peuvent-ils expliquer les adaptations surprenantes (pas d’épenthèse là où on en aurait prédit une et vice-versa) ?

Observons d’abord le comportement des monosyllabes de la base de données, afin de voir les effets combinés de la voyelle pré-finale et de la coda sans influence potentielle du schéma accentuel du mot ni de sa longueur.

Le tableau suivant résume le pourcentage d’épenthèses pour chaque paire voyelle + coda non-voisée pour les monophtongues uniquement :

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Voyelle

Coda Relâchée Tendue Diphtongue

Labiale 3,77 75,00 90,91

Coronale 53,45 92,86 95,24

Vélaire 18,46 100,00 97,06

Tab. 25 : Pourcentage d’épenthèses après voyelle + coda – monophtongue uniquement

On constate que relativement peu d’items à voyelle relâchée + labiale prennent une épenthèse puisqu’ils en suscitent seulement 2 sur 53 items (3,77 %). Les voyelles relâchées + coronales font en revanche un nombre surprenant d’épenthèses puisqu’elles en font 31 sur les 58 items (soit 53,45 %), tandis que les voyelles relâchées + vélaire font à leur tour un nombre plus réduit d’épenthèses puisqu’elles en font seulement 12 sur 65 items (18,46 %).

Pour ce qui est des voyelles tendues, elles présentent des pourcentages assez élevés d’épenthèses puisqu’elles font 12 épenthèses sur 16 items à codas labiales (75,00 %), 26 sur 28 à coda coronale (92,86 %) et 14 sur 14 à coda vélaire (100,00 %).

Enfin, ces très hauts chiffres sont également de mise lorsqu’une diphtongue est suivie d’une coda labiale, puisque 20 épenthèses sont observables sur un ensemble de 22 items (90,91 %) ; d’une coda coronale, puisque 40 épenthèses sont observables sur un ensemble de 42 items (95,24 %) ; et d’une coda vélaire, puisque 33 items prennent une épenthèse sur les 34 de ce sous-ensemble (97,06 %).

Ces chiffres nous révèlent que le poids de la voyelle joue un rôle plus net que le point d’articulation de la coda : la colonne des diphtongues dépasse les 90 % d’épenthèses quel que soit le point d’articulation, même si les codas labiales frôlent à peine les 91 %. La colonne des voyelles tendues montre à son tour plus d’épenthèses que celle des voyelles relâchées.

L’effet du point d’articulation ne se fait sentir que dans deux cas. D’abord, pour chaque groupe de voyelles, les vélaires montrent plus d’épenthèses que les labiales, mais cette différence varie selon la voyelle : 14,69 % d’écart entre labiales et vélaires pour les voyelles relâchées, 25,00 % d’écart pour les voyelles tendues, et seulement 6,15 % pour les diphtongues. Le point d’articulation de la coda semble donc jouer un rôle plus important dans la catégorie des voyelles tendues. Une explication qu’on peut imaginer serait que l’effet des voyelles relâchées contre l’épenthèse et l’effet des diphtongues en sa faveur sont plus importants que l’effet de la coda. Ces résultats iraient donc dans le sens de l’hypothèse selon laquelle l’effet de la voyelle est plus important que celui du point d’articulation de la coda et que l’effet du point d’articulation de la coda n’est solide qu’après voyelle tendue.

Ensuite, les coronales ont un effet surprenant même en tenant compte de la voyelle qui les précède. Elles favorisent notamment grandement l’épenthèse après une voyelle relâchée.

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En revanche, l’effet de la diphtongue est trop important et semble annuler celui de la coronale. Il convient alors de noter deux modérations possibles à cet effet de la coronale : tout d’abord, lorsqu’elle est précédée par une voyelle relâchée, elle ne montre une épenthèse que dans un peu plus de 53 % des cas, c’est-à-dire à peine plus que le hasard, tandis que lorsqu’elle est précédée d’une voyelle tendue, elle montre plus de 90 % d’épenthèse.

L’analyse de la totalité de la base de données (monosyllabes et polysyllabes confondus) donne des résultats similaires mais plus nets.

Dans le tableau suivant, je répertorie le nombre d’épenthèses par groupe voyelle + coda : Voyelle

Coda Relâchée Tendue Diphtongue

Labiale 1,51 68,42 92,75

Coronale 23,41 92,15 92,95

Vélaire 9,79 88,46 92,00

Tab. 26 : Pourcentage d’épenthèses après voyelle + coda pour EN2KO Général

On y voit que les voyelles relâchées font toujours aussi peu d’épenthèses lorsqu’elles sont suivies d’une coda labiale puisque seuls 2 items sur 132 prennent une épenthèse (1,51 %). Elles en prennent cependant plus lorsqu’elles sont suivies d’une coda coronale, comme pour les monosyllabes, puisque 70 des 299 items à voyelle relâchée + coronale prennent une épenthèse. De la même façon, le chiffre baisse à nouveau lorsque cette voyelle relâchée est suivie d’une coda vélaire puisque 32 items sur 327 prennent une épenthèse (9,79 %).

Les voyelles tendues ont à leur tour davantage d’épenthèses que les relâchées : 13 prennent une épenthèse sur les 19 à coda labiale (68,42 %), 47 sur les 51 à coda coronale (92,15 %) et 23 sur les 26 à coda vélaire (88,46 %).

Enfin, les diphtongues présentent à leur tour des proportions importantes d’épenthèses puisque 64 items prennent une épenthèse sur les 69 à coda labiale (92,75 %), 277 sur les 298 à coda coronale (92,95 %) et 46 sur les 50 à coda vélaire (92,00 %).

On remarque alors que l’effet du point d’articulation de la coda semble annulé après une diphtongue : tous les groupes avoisinent les 92 % d’épenthèses. Ensuite, on remarque que la coronale est un peu moins propice à la détente lorsqu’elle est modérée par une voyelle. Lorsque la coronale suit une voyelle tendue, elle est toujours très propice à l’épenthèse, même plus que la vélaire, et lorsqu’elle suit une voyelle relâchée, elle augmente le nombre moyen d’épenthèses, mais pas au point de dépasser le nombre d’épenthèses du groupe des voyelles tendues.

Cette comparaison entre le tableau des monosyllabes et celui de tous les items est intéressante. Si certains écarts sont trop peu différents pour être notés, ou si d’autres sont facilement

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expliqués par la présence massive d’un même morphème par exemple, d’autres combinaisons voyelle-coda sont problématiques. Par exemple, pourquoi aucun des 79 items plurisyllabiques à voyelle relâchée suivie d’une labiale ne présentent d’épenthèse ? Ou pourquoi les 12 items plurisyllabiques à voyelle tendue suivie d’une vélaire ne présentent que 9 épenthèses (soit 75,00 %), alors que les monosyllabes en faisaient tous une (dans 100 % des cas) ? Peut-on supposer qu’il existe un effet de la longueur du mot ? De son accentuation ? C’est ce que je tenterai d’explorer en 4.1.10 et 4.1.9 respectivement.