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Détente et épenthèse

La corrélation (ou « concomitance ») entre la détente supposée en anglais, sous la forme de l’indice-détente (RBI), et l’épenthèse en coréen est l’interrogation principale de cette thèse. Je vais à présent m’y pencher en détail.

5.3.1. Corrélation entre RBI et épenthèse

Pour commencer, l’analyse de la base de données comprenant des items de une à plusieurs syllabes montre une tendance des items à coda explosive en faveur de l’épenthèse. Sur les 1266

items de EN2KO-RBI finissant par une coda non-voisée et dont la voyelle précédente n’est ni

rhotique ni prononcée de deux manières ou plus en anglais américain standard, 828 montrent une concomitance (soit 65,35 %), 36 une double adaptation (soit 2,84 %) et 402 une non-concomitance (soit 31,81 %) :

Fig. 25 : Concomitance entre indice-détente et épenthèse (En2Ko intégral)

65,40 2,84

31,76

122

La détente de la coda dans les mots anglais et l’épenthèse finale dans les adaptations en coréen semblent donc bien concomitantes. Non seulement l’analyse statistique est conforme à cette

prédiction, mais il n’y a de surcroit pas d’autres explications possibles aussi satisfaisantes.En

effet, l’épenthèse finale en coréen n’est pas un effet de la longueur du mot puisque les résultats

sont similaires dans les analyses sur des monosyllabes uniquement.Pour être exacte, sur les 331

items observés, 223 répondent aux attentes, c’est-à-dire que 67,37 % de la base de données est conforme à nos prédictions. Puis, parmi les 108 items restants, 12 sont adaptés en coréen à la fois avec et sans épenthèse, ce qui fait descendre le nombre de non-concomitances à 96 sur 331, soit 29,00 %.

Fig. 26 : Concomitance entre indice-détente et épenthèse (monosyllabes uniquement)

Cependant, ces résultats, qu’ils reposent sur l’analyse des monosyllabes ou de l’intégralité de la base de données, prennent en considération tous les indices-détente, y compris ceux qui sont ambigus, comme 1, 2 ou 3. Si l’on réduit l’observation aux indices-détente les plus extrêmes, c’est-à-dire ceux qui laissent le moins de part au hasard, les résultats sont bien plus probants : les 182 items d’indice 0 d’une part et 4 d’autre part montrent en réalité 176 concomitances, soit une corrélation dans 96,70 % des cas :

67,37 3,62

29,00

123

Fig. 27 : Concomitance entre indice-détente et épenthèse (RBI 0 et 4)

En effet, dans ce dernier cas, sur les 182 items aux indices les plus sûrs, seuls 4 items se comportent de façon réellement inattendue. Le mot cake et son composé shortcake, qui se terminent par une diphtongue suivie d’une coda vélaire, devraient être adaptés avec une épenthèse. Or, dans leur cas, le coréen a produit une double adaptation et permet à la fois [kʰeikʰɨ] et [kʰeik˺]. Par ailleurs, le mot hip et le nom Kipp, qui se terminent par une voyelle relâchée et une coda labiale, devraient être adaptés sans épenthèse ; or, le coréen les adapte avec : [hipʰɨ] et [kʰipʰɨ].

Le résultat est tout à fait similaire si on limite les analyses aux 87 monosyllabes de RBI 0 et 4 :

Fig. 28 : Concomitance entre indice-détente et épenthèse (RBI 0 et 4) (monosyllabes uniquement)

96,55 1,15 2,30

% de concomitances % de doubles adaptations % de non-concomitances

96,70 1,10 2,20

124

84 adaptations sont conformes aux prédictions, tandis que seule 1 double adaptation (cake) et 2 non-concomitances (hip et Kipp) font surface.

5.3.2. Des proportions graduelles

Une analyse complémentaire montre que la relation RBI / épenthèse est graduelle car plus l’indice-détente est élevé, plus les items coréens montrent d’épenthèses.

Fig. 29 : Proportion d'épenthèses pour chaque indice-détente (EN2KO-RBI intégral)

Comme on peut le voir sur ce tableau, on peut estimer que les résultats peuvent être répartis en trois groupes :

1) les items d’indice 0 ne montrent que très peu d’épenthèses (en fait, deux : hip et Kipp) ; 2) les items d’indice 1 et 2 ont une épenthèse dans relativement peu de cas ;

3) et enfin les items d’indice 3 et 4 ont un très fort taux d’épenthèse.

Schématiquement, on peut reprendre le tableau récapitulatif 33 ainsi, le taux d’épenthèses étant représenté par la teinte de plus en plus foncée de la case :

Voyelle Coda Relâchée = 0 point Tendue = 1 point Diphtongue = 2 point Labiale = 0 point 0 1 2 Coronale = 1 point 1 2 3 Vélaire = 2 points 2 3 4

Tab. 36 : Calcul de l’index-détente

Des tests chi-carré systématiques ont été calculés sur ces mêmes items sur la base des chiffres suivants :

RBI 0 RBI 1 RBI 2 RBI 3 RBI 4

No epenthesis 98,48 66,77 65,99 7,10 4,00 Doublets 0,00 7,28 2,25 0,31 4,00 Epenthesis 1,52 25,95 31,76 92,59 92,00 0,00 10,00 20,00 30,00 40,00 50,00 60,00 70,00 80,00 90,00 100,00 % o f ep en th es is RBIs

125

Nombre d’épenthèses Nombre de doublons et non-épenthèses

RBI 0 2 130

RBI 1 82 234

RBI 2 141 303

RBI 3 300 24

RBI 4 46 4

Tab. 37 : Effectifs d’épenthèses vs doublons et non-épenthèses par RBI

Les différences sont :

- statistiquement significatives entre RBI 0 et RBI 1 (χ² = 36,49 ; p < .0001) ; - pas statistiquement significatives entre RBI 1 et RBI 2 (χ² = 3,00 ; p < .0831) ; - statistiquement significatives entre RBI 2 et RBI 3 (χ² = 283,54 ; p < .0001) ; - pas statistiquement significatives entre RBI 3 et RBI 4 (χ² = 0,02 ; p < .8822).

On a donc trois groupes qui se dessinent ici : les items d’indice-détente 0, les items d’indices-détente 1 et 2 ensemble et enfin les items d’indices-d’indices-détente 3 et 4 ensemble.

Les résultats sont assez similaires lorsqu’on restreint les analyses aux monosyllabes uniquement :

Tab. 38 : Proportion d'épenthèses pour chaque indice-détente (monosyllabes uniquement)

On voit donc ici que :

1) les items d’indice 0 ont toujours très peu d’épenthèses (en fait, les deux déjà mentionnées) ;

2) les items d’indices 1 et 2 ont un taux d’épenthèse beaucoup plus élevé ;

3) les items d’indices 3 et 4 favorisent toujours beaucoup, voire plus, l’épenthèse.

RBI 0 RBI 1 RBI 2 RBI 3 RBI 4

No epenthesis 96,23 37,84 43,86 1,79 0 Doublets 0 4,05 6,14 1,79 2,94 Epenthesis 3,77 58,11 50 96,42 97,06 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 % o f ep en th es is RBIs

126

Ceci étant dit, l’effet de la longueur du mot est à considérer avec prudence car, si les monosyllabes semblent favoriser l’épenthèse, surtout pour les RBI les plus incertains comme 1 et 2, il n’en reste pas moins que cette préférence ne peut s’exprimer que lorsque les autres facteurs sont minimisés, et donc quand l’indice-détente n’est impactant ni dans un sens ni dans l’autre.

Des tests chi-carré systématiques ont été calculés sur ces mêmes items sur la base des chiffres suivants :

Nombre d’épenthèses Nombre de doublons et non-épenthèses

RBI 0 2 51

RBI 1 43 31

RBI 2 57 57

RBI 3 54 2

RBI 4 33 1

Tab. 39 : Effectifs d’épenthèses vs doublons et non-épenthèses par RBI pour les monosyllabes uniquement

Les différences sont :

- statistiquement significatives entre RBI 0 et RBI 1 (χ² = 39,85 ; p < .0001) ; - pas statistiquement significatives entre RBI 1 et RBI 2 (χ² = 1,18 ; p < .2764) ; - statistiquement significatives entre RBI 2 et RBI 3 (χ² = 35,72 ; p < .0001) ; - pas statistiquement significatives entre RBI 3 et RBI 4 (χ² = 0,03 ; p < .8717).

Les trois mêmes groupes se dessinent ici : les items d’indice-détente 0, les items d’indices-détente 1 et 2 ensemble et enfin les items d’indices-d’indices-détente 3 et 4 ensemble. La question que l’on peut se poser ici serait de savoir si ces regroupements parlent en faveur d’une tripartition de la détente : pas ou très peu saillante, moyennement saillante et très saillante – un peu à la manière de ce qu’ont pu proposer Henderson & Repp (1982) avec leur quadripartition du relâchement (d’un point de vue phonétique, non perceptuel) : silencieuse, inaudible, faible et forte ?