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Au début, nous avons consulté à la bibliothèque d’HEC la base Thomson Research ; sur nos 4 cas et sur les 3 années à prendre en considération, cela nous a permis de récupérer environ 600 rapports d’analystes. Très vite, le caractère lacunaire de cet échantillon nous est apparu : un simple recoupement avec les informations recueillies auparavant sur Factiva faisait apparaître que nous ne disposions d’aucun rapport de brokers qui pourtant avaient manifestement suivi ces valeurs, puisque des dépêches et des articles répercutaient leurs recommandations et analyses sur ces titres. Interviewant un analyste travaillant chez un de ces brokers, nous lui avons directement demandé s’il savait pourquoi ses rapports n’apparaissaient pas dans la base ; il s’est d’abord montré un peu étonné, avant de remarquer que l’accès était peut-être restreint en fonction du login avec lequel on accédait à la base. Nous avons aussi posé la question à la bibliothèque d’HEC, en donnant une liste de brokers dont nous n’avions trouvé aucun rapport, alors que nous avions quelques indices du fait qu’ils suivaient effectivement une ou plusieurs des 4 sociétés en cause. Une responsable nous répondit par mail que les modalités d’abonnement à cette base incluaient effectivement l’impossibilité d’accéder à la recherche de certains brokers. Nous avons alors directement pris contact avec le bureau parisien de Thomson Financial, où nous avons pu joindre une personne

175 qui a accepté de nous donner accès dans leurs locaux à cette base. Sur place, nous avons pu constater qu’en accédant à la même base avec un login interne à Thomson Financial, la même requête donnait accès à plus de 1000 rapports, ce qui était manifestement un progrès. Cela dit, après avoir examiné minutieusement cette liste, il nous est apparu qu’il nous en manquait encore. Nous avions interviewé entre temps une responsable relations investisseurs qui avait mentionné l’importance des rapports de Merrill Lynch sur sa société, or nous n’avions toujours aucun rapport de ce broker. Nous avons donc repris contact avec notre interlocutrice chez Thomson Financial, qui a admis qu’il existait quelques restrictions sur la base Thomson Research, destinée aux brokers, et que, pour voir la totalité des rapports transmis à Thomson, il fallait consulter une autre base, Thomson Analytics, destinée, elle, exclusivement aux gérants et buy-side. Elle accepta de nous y donner accès dans les locaux de Thomson, à la condition expresse que notre requête ne concerne que des rapports datant de plus d’un an, ce qui était bien le cas. Formulant la même requête sur la même durée et sur les mêmes sociétés, nous avons recueilli alors plus de 1200 rapports.

Nous percevons ici très concrètement la fragilité de l’hypothèse, pourtant admise dans toute la recherche sur les analystes, que l’information produite par les analystes est publique. Dans les faits, il nous est apparu que c’était loin d’être le cas : d’une part un simple recoupement entre ce qui apparaît dans les médias financiers et notre échantillon final de rapports montre qu’une part très importante de la recherche des analystes sell-side n’est pas du tout répercutée dans les médias, y compris dans les médias les plus spécialisés sur le suivi des marchés74, d’autre part les rapports accessibles sur des bases de données dans le contexte académique sont loin de représenter l’intégralité des rapports effectivement recueillis par le prestataire de bases de données (sur nos cas et la période étudiée on en trouvait environ la moitié), enfin il y a encore un écart entre les rapports accessibles du côté sell-side, chez les brokers et ceux accessibles du côté buy-side, chez les gérants. En fin de compte cette information n’est totalement publique que pour un public précis : les professionnels de la gestion d’actifs. Non seulement elle n’est pas publique pour « le public » au sens habituel de l’expression, c’est-à-dire qu’elle n’est pas disponible dans l’espace public ou ne l’est que très partiellement, mais elle n’est même pas publique pour tous les investisseurs puisque les investisseurs individuels (nous entendons par là les petits porteurs particuliers qui passent leurs ordres en direct) n’y ont eux aussi accès que très partiellement.

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176 Ces péripéties de l’accès aux rapports mettent en lumière, en somme, que l’information publique dont on parle est une information publique pour les gérants, ce qui signifie qu’il faut comprendre a priori les rapports d’analystes comme des supports de leur relation avec les gérants et les analystes buy-side. Ce point sera par la suite éclairé et précisé75.

Les rapports d’analystes : échantillon, codage

Les rapports d’analyste de notre échantillon76 comprennent tous les éléments (prévisions, recommandations, objectifs de cours) de la production des analystes, et les justifient par un argumentaire qui peut être plus ou moins détaillé et approfondi.

1208 rapports d’analystes sell-side ont été recueillis au total chez le prestataire de bases de données Thomson Financial sur nos 4 cas sur la période étudiée : 203 sur Tegumen, 240 sur Lithos, 173 sur Pulex, 592 sur Mega. Quelques rapports en japonais (Daiwa, Morgan Stanley Japan) n’ont pas été pris en compte ; quand un rapport apparaissait en deux versions, une en français et une en anglais, seule la version en anglais a été gardée afin de faciliter la comparaison avec la grande majorité des rapports, qui sont en anglais.

Ils ont été codés sur les 7 items suivant : -identité du broker (société de courtage) -date -type de rapport -nombre de pages -localisation de l’analyste -objectif de cours -recommandation

Les codage par date et nombre de pages n’appellent pas de commentaires particuliers, si ce n’est pour noter une conséquence de la mise en cause des analystes suite à la « crise du

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Remarquons aussi que deux des articles étudiés dans la revue de littérature de la Deuxième Partie ont mentionné des restrictions et difficultés d’accès du même genre (Barber et al., 2001, p. 536 et Asquith et al., 2005, p. 251).

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On trouve aussi le terme de « note », mais nous garderons l’appellation usuelle « rapport », même s’il faut garder en tête qu’une partie assez importante de ces documents tient sur une ou deux pages.

177 sell-side » rappelée en introduction : les sociétés de courtage ont introduit plus systématiquement dans les rapports de leurs analystes des informations sur les situations pouvant laisser soupçonner des conflits d’intérêts et/ou des attestations formelles d’indépendance ; on a donc vu se développer dans les rapports d’analystes sell-side l’importance des « disclaimers », c’est-à-dire des textes qui, à la fin des rapports, déterminent de plus en plus précisément dans quelles limites la responsabilité des analystes sell-side et de leurs employeurs peut être mise en cause par les investisseurs. Ces textes sont parfois très longs et très détaillés, ce qui fait qu’un rapport de 4 pages peut comporter en fait 2 pages composées de « disclaimers », de précisions destinées aux régulateurs, d’attestations etc.

Le codage des objectifs de cours et des recommandations a aussi permis d’en repérer les changements. Nous avons déjà utilisé dans la Deuxième Partie ce repérage, c’est ce qui nous a permis de voir si des changements de recommandation ou d’objectif de cours étaient survenus autour des changements de tendance ou des 10 variations de cours journalières les plus importantes pour chaque cas.

Nous allons maintenant exposer ce qui ressort du codage de l’identité du broker, de la localisation de l’analyste et des types de rapport. Nous reviendrons ensuite sur les pratiques de recommandation, que nous avons examiné plus en détail.