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Chapitre 1 : La valorisation fondamentale dans les médias

3. Codage des articles

Le corpus d’articles ayant été constitué sur la base de l’inclusion d’au moins une référence à un acteur donnant un point de vue sur la valorisation, le codage a consisté essentiellement à classer ces références. Ce classement s’est fait sur la base d’une typologie des acteurs distinguant trois catégories :

-les médias eux-mêmes

-les analystes financiers sell-side -les autres acteurs.

La référence aux médias correspond pour l’essentiel aux recommandations boursières produites par les médias de conseil boursier tels que nous les avons précédemment caractérisés.

En ce qui concerne les analystes, qui constituent de fait la très grande majorité des acteurs mentionnés, nous avons opéré plusieurs distinctions.

La principale a consisté à séparer les références à un consensus d’analystes des références à un analyste ou un broker considéré isolément. Les consensus d’analystes sont en réalité des moyennes portant sur un des éléments de leur production. Différents prestataires, opérateurs de bases de données (Thomson avec les consensus IBES, Factset avec le consensus JCF) ou agences de presse (Bloomberg, Dow Jones, Reuters35) calculent et publient des consensus sur la base des prévisions de résultats, des objectifs de cours, des recommandations et éventuellement d’autres prévisions fournies par les analystes. Des consensus sont aussi établis par les sociétés cotées elles-mêmes, dont les services relations investisseurs calculent parfois les moyennes des productions des analystes qui les couvrent et qu’ils considèrent comme représentatifs, mais ces consensus n’ont pas de caractère standardisé et ne sont généralement pas publics36.

35

Thomson et Reuters ont fusionné après la période étudiée, l’opération ayant été finalisée début 2008.

36

On sait aussi que, dans la littérature académique, c’est, de façon standard, un consensus d’analystes (le plus souvent le consensus IBES / Thomson Financial) qui sert de proxy à ce que l’on décrit comme « les attentes du marché », et que cette identification à ce que le marché « attend » ou « pense » est courante dans les médias financiers et chez bon nombre d’investisseurs.

68 La référence à un consensus n’est donc pas, stricto sensu, la référence à un acteur ; la comprendre comme la référence à une catégorie ou un groupe d’acteurs n’est pas sans poser problème puisque le mode d’agrégation, à savoir le calcul d’une moyenne, est réalisé de façon totalement indépendante des analystes eux-mêmes : ce sont les producteurs de consensus, bien distincts des analystes, qui déterminent de façon indépendante quels analystes ils prennent en compte dans la moyenne, et donc aussi quels analystes ils ignorent, et par ailleurs l’agrégation sous la forme d’une moyenne suppose de traiter à égalité des analystes inévitablement distincts en termes d’expérience, de part de marché du broker auquel ils sont rattachés etc. Comme l’a souligné Chambost (2008), le consensus fonctionne comme un « artefact cognitif de dimension institutionnelle » : c’est un objet à la fois construit, représenté et considéré comme représentatif du marché. Sa production est sans doute la façon la plus visible de répondre au besoin des investisseurs sur les marchés financiers de disposer de points de repère sur les attentes du marché, donc sur les anticipations des autres investisseurs.

La référence à un consensus d’analystes pour fonder un jugement sur la valorisation marchande relève apparemment du paradoxe : il s’agit de juger le marché au nom du marché, d’observer si le verdict des investisseurs à l’instant t est bien conforme à ce qu’attendent les investisseurs en ce même instant. Ce paradoxe semble se dissoudre si l’on présente le consensus comme représentatif de la valeur fondamentale : on juge alors le marché au nom du fondamental ; mais alors le mode de construction du consensus fait apparaître l’impossibilité pratique de l’objectivation de la valeur fondamentale. En effet, faire la moyenne de chiffres résultant de jugements ne produit pas une donnée objective au sens de l’objectivité des sciences de la nature : cela produit simplement ce qu’on pourrait appeler un jugement de second degré, de second ordre, un jugement sur les jugements, basé sur l’idée que le meilleur jugement serait constitué de la moyenne des jugements produits par un ensemble prédéfini d’acteurs.

En dépit des problèmes que nous avons évoqués, nous avons finalement choisi de considérer les consensus comme des acteurs : ces objets construits, ces artefacts, témoignent en effet selon nous de la visée de construire un acteur représentatif du marché, ce qui fait que ces moyennes sont traitées comme si elles résultaient effectivement du jugement d’un acteur unique. Nous reviendrons plus loin sur la question de la référence aux consensus d’analystes.

Précisons par ailleurs que la référence à « des analystes » ou « les analystes » a été assimilée à la référence à un consensus. Sur ce point nous nous sommes basés sur les témoignages des journalistes que nous avons interrogés. J1 (dont l’entretien n’a pas été

69 enregistré) a clairement affirmé que, quand les médias financiers disent « les analystes », il s’agit de la référence à un consensus. J2 manifeste aussi cette assimilation:

J2 : « Alors on dit « les analystes », souvent quand on dit « les analystes » ou « la communauté financière pense que » ou « attend un chiffre d’affaires de », souvent on prend on consensus. »

Une fois mise à part la référence au consensus, nous avons aussi souhaité distinguer la référence à un broker, donc à la structure de courtage à laquelle appartient un analyste sell-side, de la référence à un analyste pris isolément. La référence au broker comporte la mise en jeu d’une marque et de l’image qui y est attachée, mais aussi, et de façon plus opérationnelle pour les investisseurs, l’identification d’une part de marché du courtage qui donne un poids très concret à la prise de position qui est émise. Elle peut en ce sens se distinguer assez clairement de la simple référence, presque toujours anonyme, à « un analyste ». Ensuite, dans les références aux brokers, nous avons distingué les articles qui sont de purs et simples résumés de la note de recherche d’un broker des autres références. Ces résumés de notes, souvent désignés, lorsqu’il s’agit de dépêches, sous le vocable de « research alerts », ont en effet une signification particulière qui a été notamment mise en avant par une des responsables relations investisseurs que nous avons interviewé37.

Enfin nous avons pris en compte le fait que la référence comporte ou non le nom de l’analyste, ce qui permet de prendre en compte la mise en jeu de la notoriété individuelle des analystes dans les médias.

Résumons maintenant notre typologie des acteurs de la valorisation fondamentale dans les médias. Partant d’un premier découpage en trois catégories (médias, analystes sell-side, autres acteurs), nous avons ensuite, au sein de la catégorie « analystes », distingué la référence à un consensus de la référence à un analyste ou un broker pris isolément, ces deux dernières sous-catégories étant ensuite distinguées, pour aboutir à la typologie suivante des acteurs :

-média

-consensus d’analystes

37

C’est en effet à cela que faisait référence RI-L dans cet extrait d’entretien : « dans ce qui est pris dans les agences de presse, c’est-à-dire Citigroup ou Merrill… où là ils relatent un changement d’opinion, c’est totalement différent [des simples citations]. Parce que là c’est de l’information objective, c’est pas je cite Mr Duchemol ou Bidule, c’est je constate parce que j’ai accès à l’information que Citigroup a upgradé telle ou telle société et que ça a eu un impact ou pas d’ailleurs sur le cours de Bourse. »

70 -analyste

-broker

-autres acteurs

Dans la catégorie broker, nous avons ensuite séparé les articles qui sont des résumés de la notre d’un broker des simples références à un broker dans le cours d’un article. Enfin l’ultime distinction a consisté à comptabiliser séparément, dans les référence à un analyste, les résumés de notes de broker et les simples références à un broker, les cas où l’analyste est nommément cité. Nous aboutissons ainsi à neuf types de référence à un acteur :

-média

-consensus (incluant les références à « des analystes » ou « les analystes ») -un analyste

-un analyste cité nommément -un broker

-un broker, avec citation du nom de l’analyste -un résumé de note de broker

-un résumé de note de broker, avec citation du nom de l’analyste -autres acteurs.

Au sein du corpus d’articles sélectionné comme indiqué auparavant, nous avons donc comptabilisé neuf formes de prise de position sur la valorisation boursière, en fonction de ces neuf types de référence.