• Aucun résultat trouvé

Industrialisation, exode rural et bidonvilisation

LA PERIODE POST COLONIALE ET LES BIDONVILLES

IV. LES EFFETS DE L’INDUSTRIALISATION ET DES DECOUPAGES ADMINISTRATIFS

IV.1. Industrialisation, exode rural et bidonvilisation

Paradoxalement, l’industrie, secteur économique source de prospérité et de développement, a été non pas le ‘guide’ mais une source de déséquilibre. En effet, mis en place à la fin des années 1960 et au cours des années 1970 les rouages de ce secteur économique ont été le concurrent du milieu rural qui cherchait à travers l’agriculture, sa principale richesse, à transformer la condition de ses habitants.

Forte des atouts qu’elle détient, l’industrie offre beaucoup d’avantages (salaires et avantages sociaux) et elle attire de plus en plus de ruraux qui se convertissent en ouvriers qualifiés.

Cette concurrence qui s’inscrit en débit de la campagne a pour conséquence l’abandon de la terre et la perte de sa substance représentée par une main d’œuvre agricole qualifiée.

108 Cherrad. SE, 2012: « Mutations de l’Algérie rurale, 1987-2010, les évolutions dans le constantinois », Ed Dar el Houda, p.153.

109 En effet, l’attrait de l’emploi mieux rémunéré a été un facteur déterminant dans le flux migratoire vers les villes. Malgré les différentes réformes du secteur de l’agriculture effectuées à travers les opérations citées précédemment dont la révolution agraire, la terre n’a pas été en mesure de retenir les paysans et n’a pas pu résister à la puissance du secteur de l’économie, réservoir d’emplois rémunérateurs.

Cependant, l’installation d’unités économiques en dehors du tissu urbain a accentué les difficultés auxquelles sont confrontés les travailleurs. Habitants pour la plupart, dans des bourgades éloignées, ils étaient souvent astreints de demeurer non loin de leur lieu de travail, séparés de leurs familles, les moyens de transport n’étant pas toujours disponibles et leurs ressources, limitées étant loin de leur permettre d’effectuer des migrations pendulaires quotidiennes.

Cette situation est encore aggravée par la crise du logement qui était générale. Cette pénurie dont le déficit s’élevait à l’époque à 1 200 000 unités, a contraint les travailleurs à construire dans les agglomérations, particulièrement les grandes, des baraques de type bidonville. Certes, celles-ci leur ont offert la possibilité de vivre en famille, de faire des économies, mais leurs conditions d’existence étaient déplorables.

Ainsi, il est possible de soutenir que « les liens entre l’intensité du mouvement migratoire et le degré d’industrialisation sont évidents, directs, voire impressionnants quand il y a distorsion importante entre la taille de l’industrie et celle de la ville : au cours de la période intercensitaire 1966-1977 les records de croissance urbaine ont été établis par des centres accueillants sur leur territoire de vastes ensembles industriels »110.

A cet effet, trois exemples sont utiles pour étayer les arguments cités précédemment:

• Cas d’Annaba

On peut citer le cas d’Annaba où les « industries se localisent pour l’ensemble en bordure de la plaine au pied du massif de Beleliéta (zone industrielle d’Allelick et zone industrielle d’El Hadjar). Aussi ne faut-il pas s'étonner de constater la multiplication des

110 formes d’habitat sommaire. En 1969, les statistiques communales permettent d’évaluer leur nombre à 716 constructions abritant 3 400 personnes, en 1972 et 1974 les constructions passent respectivement à 3 555 et 8 000, les personnes logées à 14 500 et 40 000. Ces bidonvilles augmentent au rythme même des créations d’emplois »111. Cette ville « dont la croissance a été stimulée de manière exceptionnelle par la construction du complexe sidérurgique d’El-Hadjar, dépasse 250 000 habitants (1977). Mais, comme il a été précédemment signalé, cet essor s’est accompagné d’un foisonnement de bidonvilles peuplés, dans une proportion élevée, d’ouvriers d’usines aux salaires réguliers. La création, dans un temps très bref, d’un nombre d’emplois considérables a engendré un très fort appel aux migrants (40% en 1977).

« On observe que le champ migratoire dessiné par la ville d’Annaba ne recoupe pas, loin s’en faut, celui induit par les bidonvilles de l’agglomération. Le premier s’étend largement sur les wilaya d’Annaba (centre et ouest), de Guelma, de Tébessa, sur le nord de la wilaya de Constantine et l’est de celle de Skikda ainsi que, de manière plus diffuse, sur la wilaya d’Oum El Bouaghi; il est à noter qu’une proportion très élevée des migrants provient des centres urbains situés dans cet espace (et c’est même la caractéristique essentielle du recrutement d’Annaba-commune : Guelma, Souk Ahras, Tébessa, Constantine, Jijel et Collo ; bon nombre d’autres proviennent d’agglomérations plus éloignées, Sétif, Batna, Béjaia, Tizi-Ouzou, Ghardaia et surtout Alger. L’aire d’attraction des bidonvilles est par contre sensiblement plus réduite : sans doute concerne-t-elle principalement, elle aussi, les wilayas d’Annaba, de Guelma, de Tébessa, mais la grande majorité des migrants proviennent des zones rurales les plus marginales, les plus enclavées, c’est-à-dire de la bande frontalière algéro-tunisienne »112.

Il est à noter que, déclarées zones interdites par l’armée d’occupation durant la Guerre de Libération Nationale, les régions frontalières qui continuent de subir, à ce jour, les effets des mines posées par l’armée coloniale, n’ont pu être réoccupées par leurs anciens habitants, les conditions n’étant guère favorables. C’est ainsi que la ville d’Annaba s’est retrouvée ceinturée par une multitude de bidonvilles dont le nombre des baraques des cinq sites s’élevait en avril 2007 à près de 18 000 (El-Fakharine, Sidi Harb, Bouhdid, Boukhadra, Bouzaâroun). Cependant, « la précarité du bâti ou de

111 Brulé. JC, Mutin. G : Industrialisation et Urbanisation en Algérie.

111 l’environnement, qui demeure une constante, masque en effet des niveaux de développement très différents. Ainsi, à Annaba, le quartier de Bou Hamra, limité au nord par la voie ferrée, est incontestablement un bidonville : 80% des 100 ha sont occupés illicitement ; sur 21 000 habitants, 15 000 vivent dans des baraques, 5 000 sont entassés dans les 700 logements d’une cité de recasement « taudifiée », 1 700 habitent dans deux lotissements ; seule la cité de recasement est éclairée et le quartier ne dispose que de quatre fontaines publiques. Mais Bou Hamra, à mi-chemin entre les équipements du centre-ville et les implantations industrielles, est un quartier dont les habitants sont intégrés aux processus économiques : 90% des actifs sont salariés dont les deux tiers dans les grandes entreprises nationales. L’étude du Groupe Huit montre que la population a des revenus assez homogènes et relativement élevés, le revenu médian étant de 1500 dinars algériens en 1980113.

Si l’industrie a assuré la prospérité d’Annaba actuelle, le revers en est la pollution industrielle et la prolifération des baraques dans les plaines traduisant l’ampleur de l’exode rural sur ce qui leur semble être la cité qui a l’opportunité d’assurer, à chacun, un avenir prospère et radieux.

• Cas de Skikda

A Skikda dont le port s’est industrialisé très rapidement, les bidonvilles étagés sur les colonnes qui encadrent la vieille ville, vers le sud et l’ouest, se multiplient au fur et à mesure que s’agrandissent les chantiers d’industrialisation. La très grande majorité de ces nouveaux habitants provient de l’intérieur : des montagnes telliennes, des Hautes plaines céréalières orientales, des Nemenchas et des Aurès. Tous ont été attirés par les emplois industriels et travaillent à l’usine ou sur des chantiers. Ce n’est pas la misère ou le manque d’argent, mais c’est l’extraordinaire crise du logement qui les contraint à vivre dans de telles conditions que l’on voudrait souhaiter temporaires. A Skikda, par exemple, une enquête socio-économique relève que le revenu par gourbi varie entre 800 et 3 000 dinars »114.

113 Idem, pp.270.272.

112 • Cas d’Alger

A Alger, le bidonville « passe par un maximum vers 1960, avec 150 000 habitants notamment dans les zones d’El-Harrach, Hussein Dey. Après une décrue, le phénomène connait un nouveau maximum à la fin des années 1970. Les programmes étatiques de résorption des baraques, selon la terminologie des recensements, avaient sensiblement réduit le pourcentage de l’habitat spontané dans l’extension périphérique de la capitale. La faible production du logement social laisse toutefois présager une recrudescence des diverses formes de constructions illicites »115. Effectivement, ces constructions prirent de l’ampleur durant la décennie noire (1992-2000), les ruraux ayant été contraints de se mettre à l’abri du terrorisme et s’installer en ville, dans des habitations de fortune où ils se sentent en sécurité. En conséquence, il est indéniable d’affirmer que le secteur économique mais surtout l’industrialisation, a servi de catalyseur à l’expansion des bidonvilles.

IV.2. Les découpages administratifs et les services, exode rural et bidonvilisation