• Aucun résultat trouvé

Les effets de la guerre et des calamités

LES CAUSES DE L’EXODE RURAL ET DE L’APPARITION DES BIDONVILLES DURANT LA PERIODE COLONIALE

I.1. Les effets de la guerre et des calamités

La guerre de conquête, la colonisation de peuplement ont provoqué des déplacements de populations à la recherche de sécurité et de subsistance. Ces déplacements (près de 80% d’Algériens, selon Slimane Zeghidour dans son ouvrage intitulé « Algérie en couleurs ») recherchés et voulus par les nouvelles autorités,

71 conjugués à une forte démographie, eurent pour effet la création d’un espace hétérogène : d’un côté le centre ancien, ‘devenu résiduel’, de l’autre les quartiers européens et enfin un nouveau mode d’habitat précaire, édifié par nécessité et non par choix, en l'occurrence le bidonville, dénommé par les autorités de l’époque « village indigène » constitué de l’habitat autochtone.

Phénomène social, spontané, illégal, ce type d’habitat est occupé surtout par des paysans rejetés entre autre par la stérilité de la terre et en conséquence par la précarité de leur lieu d’origine. Il est né de contraintes que l’individu, désarmé, n’a pas pu affronter, se soustraire, ou maîtriser, leur intensité et leur puissance étant supérieures à ses capacités aussi bien physiques que matérielles. Qu’elles soient le fait d’actes dominants provoqués par un individu ou un groupe d’individus aux desseins malveillants, ou par des facteurs naturels que l’homme, impuissant, n’est pas en mesure d’assujettir ou aussi par une forte démographie ou de crises diverses dont celle du logement, elles rejettent des populations entières, rurales notamment, mais parfois aussi des déclassés de la ville ou des laissés pour compte, hors de leur univers initial et les éconduisent, malgré elles, vers des lieux inhospitaliers, généralement à proximité des berges des oueds, sur des terrains « non

aedificandi », inondables ou glissants, sur des collines à proximité de ravins et autres

sites, loin des regards indiscrets, où rien n’est prévu pour garantir le minimum de vie décente.

N’étant « pas simple répétition d’un déjà vu, mais création inédite, ils (les bidonvilles) ne figurent pas une pure variation morphologique de la citadinité. Ces nouveaux faubourgs et banlieues doivent être considérés comme les représentations spatiales d’un phénomène social nouveau. Là réside leur originalité et non dans la matérialité de leur expression. Comme le formule magistralement J. Berque : « Le faubourg donne l’assaut de toutes parts. Il le fait par le jeu de facteurs « naturels », de facteurs « spontanés », et en tout cas de facteurs irrationnels et souvent barbares : c’est une sorte d’urbanisme sauvage, en rupture avec l’urbanisme de la cité, non seulement la vieille cité musulmane, mais la nouvelle cité islamo-européenne. Le faubourg lutte contre l’une et l’autre à la fois. Le faubourg, c’est un recours à une vitalité venue des tréfonds, venue du lointain et charriant des forces inattendues »93.

93 Descloitres. R et all: « L’Algérie des bidonvilles », Ed Mouton & CO, Collection « le monde d’Outre- mer passe et présent, pp.26.27.

72 Contrairement à ce qui est entretenu, cet habitat de la précarité n’a pas pour seule explication la révolution démographique qui a été, pour citer P. George, « plus que de leur propre développement, la conséquence de l’augmentation de la population des villes séculaires ou millénaires du Proche-Orient »94. Il est surtout la conséquence d’une situation de déséquilibre du monde rural due aux graves événements provoqués par la colonisation, dès l’entrée du corps expéditionnaire français en Algérie, événements dramatiques ayant semé ruines et désolations. Certes, la guerre a été cruelle, destructrice et ravageuse mais les méthodes injustes et brutales par lesquelles la colonisation a exproprié les terres, confisqué et séquestré massivement les biens individuels et collectifs, ont accentué l’appauvrissement des ménages, l’éclatement de la société et aussi la désagrégation du système agraire algérien. La fragilisation des zones rurales, le chaos créé par l’occupant, les famines, les disettes, les épidémies – authentique désastre qui affecta lourdement une population déjà affaiblie par la guerre. Le Journal Officiel de la République Française du 26 mai 1873 (page3342) confirme pleinement cette vérité. En effet, il stipule que « quatre années après l’octroi des munificences territoriales de 1863 pendant l’hiver de 1867 à 1868 plus de 500 000 indigènes – soit le cinquième de la population totale – sont morts de faim». Il est encore écrit que « le tableau de la situation des indigènes qu’a présenté Mr Clapier est fort triste. Il a dit qu’entre les deux recensements opérés en Algérie, il était mort un demi-million d’Arabes ; il aurait pu ajouter à son total 29 000 décès de plus. Eh bien, s’il est mort un quart de la population arabe dans la période des deux derniers recensements, ne demandons pas combien il en a péri depuis quarante ans ; cela ne ferait pas honneur à notre civilisation et à notre honneur ». Tout en confirmant ce fait dans son ouvrage intitulé « l’Algérie, nation et société » (P18), Mostefa Lacheraf révèle que « les effets préliminaires des lois promulguées depuis 1844 visent la désagrégation du patrimoine collectif des Algériens (qui) eurent pour, entre autre conséquence, l’une des famines les plus meurtrières qu’ait jamais connue l’Algérie ». Il précise que devant les exactions commises par l’occupant, la société algérienne « résiste désormais par tous les moyens, surtout pacifiques, subit les ravages des famines, des épidémies et des lois d’exception », mais « l’objectif avoué ou inavoué par lequel le colonialisme visait à substituer au peuple algérien un autre « peuple », est conjuré. Il est d’ailleurs vraisemblable (et en grande partie prouvé) que cette extermination directe et indirecte du fait de la guerre de conquête et de ses

73 conséquences, se soit soldée entre 1830 et 1860 environ par plusieurs millions de morts »95. Ainsi, les destructions conjuguées aux méfaits d’une guerre implacable ont contribué directement et intensément au refoulement, au déracinement, à la déportation à des milliers de kilomètres du pays, (Cayenne, Nouvelle Calédonie), à l’exode et à l’exil des populations, en particulier rurales.

Impuissants devant la pauvreté dans laquelle ils ont été violemment précipités et aussi face à l’indifférence caractérisée et au laxisme de la colonisation qui n’a consenti, délibérément, aucun effort pour leur porter secours ils ont été conduits, par la nécessité pressante, de dénicher une structure, fut-elle si fragile et si disgracieuse, pour se protéger contre les vicissitudes de la nature.