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LE GRIGNOTAGE DES TERRES AGRICOLES OU L’HEGEMONIE DE LA VILLE SUR LA CAMPAGNE OU “L’AGRESSION” DES TERRES PAR LA

LA PERIODE POST COLONIALE ET LES BIDONVILLES

V. LE GRIGNOTAGE DES TERRES AGRICOLES OU L’HEGEMONIE DE LA VILLE SUR LA CAMPAGNE OU “L’AGRESSION” DES TERRES PAR LA

VILLE

Si l’érosion est un phénomène qui dégrade la qualité des terres agricoles, l’homme par contre est responsable de la disparition définitive de plusieurs milliers d’hectares.

Celles-ci ont de tout temps subi de très fortes pressions. En effet, l’urbanisation accélérée des villes causée par la très forte demande de logements, d’équipements, d’infrastructures et autres, est la cause de la déstructuration des espaces agricoles dans lesquels sont implantées les nouvelles cités gigantesques destinées à satisfaire les besoins,

115 de plus en plus croissants et pressants, des populations. Effectivement, c’est à leur détriment, parfois des meilleures terres, leur arasement n’étant pas coûteux que sont réalisés certains projets et aussi l’extension du périmètre urbain d’une agglomération. Pour son expansion toujours grandissante, la ville procède à des expropriations que subissent, malgré eux, les fellahs. La confiscation de leurs terres les pousse à se réfugier dans la ville qui les a chassés de leurs terres. La ville se développe donc au détriment du monde rural qui assiste, impuissant, à la réduction de ses potentialités dont les répercussions se font sentir sur le citoyen et entre autre le citadin.

Conquis par la prolifération des cités, l’espace agricole s’est ainsi réduit comme une peau de chagrin. Cette affirmation est corroborée par S.E. Cherrad qui précise dans la conférence citée précédemment que « l’étalement (des villes) qui a commencé au début de la décennie 1970 se poursuit jusqu’à nos jours ». Il affirme qu’« à la fin des années 1980, les autorités évaluaient la soustraction des terres à 100 000 hectares ». Détournées au profit de l’urbain, donc déviées de leur destination première, ces terres ont été rognées par le béton. Les petites villes sont constamment « bouffées » par les grandes agglomérations, processus qui a permis « la formation d’un continuum d’habitat et d’équipements dans lequel les limites et les différences physiques et sociales entre ville et campagne deviennent de plus en plus floues et incertaines ».

En tous les cas, depuis le recouvrement de l’indépendance « plus de 160 000 hectares ont été détournés de leur vocation et la surface agricole utile par habitant a régressé de 0,8 hectare en 1962 à 0,13 hectare en 2005 »117.

Ces actions ont pour conséquence l’amputation de l’agriculture d’une bonne partie de sa production, la perte de plusieurs emplois, le départ des paysans dépossédés de leur terre et aussi de leur outil de travail vers d’autres cieux, en l’occurrence la ville où ils iront grossir les rangs des désœuvrés. Par cette pratique, la ville participe à la paupérisation du monde rural, à la démobilisation des paysans qui, ayant perdu leurs terres, se tournent vers cette même ville qui les a déracinés et faute de leur assurer le minimum les a congédiés mais les a autorisés à s’installer à la périphérie.

116 De ce fait, la ville elle-même s’est mise en difficulté en se privant d’une bonne partie de son approvisionnement qu’elle doit aller chercher beaucoup plus loin. Elle devient donc « le lieu où s'expriment de la façon la plus visible la crise, en particulier la dualisation de la société. L’une des manifestations de cette crise renvoie à la marginalisation apparente d’individus, le plus souvent relégués à la périphérie de la ville. La marginalisation, manifestation de la crise urbaine, s’exprime donc sur le plan de la morphologie urbaine par la multiplication de bidonvilles - parfois de véritables villes dans la ville -, par la sur densification des médinas, la dégradation de l’habitat et la « taudification » de nombreux quartiers »118. Mais elle doit, tôt ou tard, les soulager de leurs préoccupations, en leur assurant emploi et logement et nettoyer sa lisière des bidonvilles qui l’enlaidissent.

L’exemple de la région d’Alger dont les terres agricoles sont soumises à une « bétonnisation » effrénée est édifiant et démontre pleinement l’ampleur prise par ce désastre.

Farid Younsi, s’est largement étalé, dans sa publication intitulée « Urbanisation débridée » sur le phénomène de grignotage des terres agricoles. « Alger, après s’être étendue de manière démesurée et déshumanisée vers l’Est (région du Sahel et Mitidja) à partir des années 1980-1990 (Bab Ezzouar, Bordj El Kiffan, Ain Taya, Dar El Beida, El Hamiz…) réduisant jusqu’à néant le riche espace agricole, « conquis », depuis, par la prolifération frénétique des cités, se déverse, aujourd’hui en direction de sa périphérie ouest proche et plus lointaine. La problématique du développement de logements dans la région d’Alger (n’est abordée) que sous l’angle de la consommation, voire de la dilapidation de terres agricoles. Cela fait des lustres que la consommation d’espace agricole est sempiternellement évoquée – à juste titre – dès qu’est abordé le développement urbain d’Alger et de sa périphérie.

Aujourd’hui, celui-ci (cet espace rural) qui a d’abord été « timidement » grignoté il y a quelques décennies, puis soumis au mitage par l’accroissement de programmes urbains sur les terres agricoles en périphérie des petites agglomérations et villes de la région

118 Baron. C, 1998 « Crise de la ville et espaces en mutation, de la ville éclatée à la ville recomposée dans les pays en développement », In « la problématique urbaine au Maroc : de la permanence aux ruptures », sous la direction de M. Benlahcen-Tlemçani, Collection Etudes Presses Universitaires de Perpignan, pp.14.15.

117 d’Alger, est actuellement totalement phagocyté, les parcelles agricoles résiduelles apparaissent dans les meilleurs des cas comme des îlots de « verdure » en sursis, le plus souvent comme des friches en attente d’affectation. Si aujourd’hui on affirme que les terrains mis à la disposition des programmes de logement ont un « rendement très faible », « qui ne sont pas destinés à être cultivés », c’est que les meilleures terres ont déjà été accaparées par l’urbanisation et que ces terrains ont été « préparés » pour être extraits de la surface agricole en devenant non rentables par les démembrements successifs qu’a connus la propriété foncière rurale et son mitage par des cités et des lotissements »119.

Ainsi, le béton a dévoré, aux dépens des terres les plus riches du pays, le plus grand verger d’Algérie qu’est la Mitidja. Les nouvelles constructions ont avalé des dizaines d’hectares de vergers et autres cultures du Sahel algérois et de la Mitidja. Cet énorme gâchis est observable dès la sortie des villes qui étaient réputées par la production de leurs campagnes. L’axe Alger – Boufarik illustre pleinement cette affirmation. Les vergers et les cultures maraîchères d’autrefois, ont cédé la place à des espaces commerciaux, des hangars, à des constructions en barre repoussante et aussi à des villas, sans aucune architecture, défigurant ainsi le paysage verdoyant qui rassasiait la vue et reposait l’esprit.

Plus près encore de Constantine, les terres situées sur la route nationale n°5 (entre Constantine et El-Khroub), ont été rognées par le béton qui a, d’une part, défiguré le paysage et, d'autre part, provoqué la baisse de la production agricole.

Donc, il est possible d’affirmer que le bâtiment qui a nécessité des terres a conduit au mitage des terres agricoles, parfois les plus fertiles, qui n’ont pas résisté à la poussée vertigineuse du secteur de la construction et de l’habitat.

Ainsi donc, l’expansion du périmètre urbain d’une agglomération, la création et le développement d’une entreprise, l’installation d’équipements, la réalisation d’infrastructures et de logements avec tous leurs accompagnements, s’emparent de la propriété du « monde rural » considéré non prioritaire par rapport aux besoins du « monde urbain ». Ce changement de destination de la terre agricole appelle automatiquement au

119 Younsi. F : « Urbanisation débridée »,

118 ’changement’ des fellahs qui, dépossédés, sont forcés de prendre le chemin de la localité de leur choix, de se transformer en chômeurs ou, si la chance leur sourit, en ouvrier et pour se protéger, prendre une baraque dans un bidonville.

Il est aussi loisible de soutenir que la désertion de la campagne est le fait de la ville. En effet, pour son extension, elle déborde sur le territoire de la campagne en ayant recours à la formule d’usage « expropriation pour utilité publique ». Expropriés, laissés pour compte, déracinés, les gens de la terre auxquels est offerte une indemnisation insignifiante, désemparés, se tournent vers cette même ville qui leur a « confisqué » ce qu’ils ont de plus cher, la terre nourricière et s’installent à sa lisière. Donc, par cette pratique, la ville participe à la paupérisation du monde rural et à la démobilisation des paysans qui vont, par la suite, l’assaillir afin que justice leur soit rendue : amélioration de leurs conditions de vie. VI. EVOLUTION DES BIDONVILLES

Tableau n°16 : Parc logements, gourbis et habitat précaire Recensement Année Total logements Gourbis et habitat précaire Taux Source 1966 1.982.000 198 594 10.3 RGPH 1998 1977 2 290 600 213 025 9.3 1987 3 037 900 246 677 8.12 1998 5 021 974 291 859 5.70 2008 6 748 057 352 000 dont 90 000 en bidonvilles 5.10 RGPH 2008 90 000 en bidonvilles

L’évolution de ce type d’habitat à partir de 1966 et jusqu’en 1985, selon les données puisées dans quelques éditions de l’annuaire statistique d’Algérie est la suivante:

Tableau n°17 : Evolution de l’habitat précaire jusqu'en 1985

Années Nombre Avant 1966 75 381 Apres 1966 75 510 1977 483 973 1984 316 185 1985 628 613

119 Remarque: Le dénombrement de 1954 fait apparaitre qu’à elle seule « 'Alger et son agglomération totalisent 15 560 baraques »120 de type bidonvilles uniquement, occupés par 86 500 individus, soit 5.9 personnes par baraque.

Tableau n°18 : Population des bidonvilles de l’agglomération algéroise en 1954

Villes

Nombre de baraques

Population Municipale Musulmane

Totale Vivant en baraques Type bidonville N % Alger 6 090 162 150 35 300 22 Birmandreis 150 7 740 700 9 Bouzaréah 650 11 150 3 300 30 El-Biar 210 9 060 1 500 17 Hussein – Dey 3 880 42 000 24 600 60 Kouba 530 12 650 3 000 24 Maison-Carrée 2 710 36 230 16 200 45 Saint-Eugène 340 12 490 1 900 15 Agglomération 15 560 293 470 86 500 29

Source : R. Descloitres, « L’Algérie des bidonvilles », p.63.

Entre Alger, Oran, Constantine, Annaba et autres communes, « la population vivant en baraque à la même date s’élève à 208 000 individus »121 soit 35 254 baraques si l’on prend en considération la moyenne d’Alger (5.9 individus).

Or, les milliers de ménages qui ont envahi les villes de 1954 à 1966, ont amplifié ce phénomène. Ce qui sous-entend que le chiffre avancé pour l’année 1966 dans l’annuaire statistique de l’Algérie - année 1980 - est loin de refléter la situation. En effet, le déferlement des ruraux sur les villes et la crise aigüe du logement ont accru ce genre d’habitat et corroborent ainsi les chiffres recueillis lors du recensement de la population et de l’habitat de l’année 1966. Par contre, faire un bond de près de 400 000 habitats précaires,

120 Descloitres et all : « l’Algérie des bidonvilles », Mouton & Co, collection le monde d’outre-mer passé et présent, p.63.

120 en l’espace de 11 ans, renforce les éléments fournis par les R.G.P.H. qui ont fait apparaitre que l’exode rural a observé une pause très sensible.

Tableau n°19 : Parallèle entre R.G.P.H et annuaire statistique

RGPH Annuaire statistique

Année Nombre Année Nombre

1966 198 954 Avant 1966 75 381

Apres 1966 7651

1977 246 677 1977 483 973

Source: Annuaire statique de l’Algérie 1979/1980.