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Induire différents états émotionnels avec des procédures d’induction plus indirectes

Dans le document De l'embarras à l'attention portée à soi (Page 128-133)

Chapitre 3 : Les effets de l’expérience de l’embarras sur l’activité cognitive

II. Comment opérationnaliser l’embarras ?

1. Les procédures classiques d’induction émotionnelle

1.2. Induire différents états émotionnels avec des procédures d’induction plus indirectes

Les principales procédures d’induction d’émotions recensées dans la littérature sont présentées en Annexe 3(pour des méta-analyses sur le sujet, voir aussi Gerrards-Hesse, Spies, & Hesse, 1994 ; Gilet, 2008 ; Westermann, Spies, Stahl, & Hesse, 1996 ; voir également l’étude princeps de Schachter & Singer, 1962).

Avec la tâche de rappel autobiographique, les participants doivent imaginer des situations de leur vie qui ont suscité chez eux telle ou telle émotion ou humeur. On leur demande d’imaginer de façon active et d’écrire cette situation, ainsi que les pensées et

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sentiments associés, et d’essayer de la « revivre », de faire à nouveau l’expérience des perceptions, sensations et réactions affectives originales. Cette procédure présente l’inconvénient d’être sensible aux effets de demande : les participants peuvent deviner l’objectif de la procédure et ainsi se conformer inconsciemment aux attentes de l’expérimentateur (Gilet, 2008, p. 237). Ainsi, pour ne pas dévoiler le véritable objectif de la tâche, on dit souvent aux participants que le but de la procédure est de construire un inventaire des événements de vie, d’étudier la mémoire autobiographique ou encore le lien entre émotions et mémoire, afin de connaître la structure psychologique des souvenirs émotionnels. En dépit de cette limite, cette technique serait efficace chez 75% des sujets (Martin, 1990), et ainsi considérée par certains comme la plus efficace pour induire des émotions (Baker & Gutterfreund, 1993). L’un de ses atouts considérable est qu’elle permet d’induire une très grande variété d’états émotionnels, dont des émotions réflexives par exemple.

Une autre procédure très fréquemment employée est le visionnage par les participants d’extraits vidéos. Là encore, cette procédure serait efficace chez 75% d’entre eux (Martin, 1990) et est considérée comme la plus efficace par Westermann et ses collaborateurs (1996), notamment pour induire des états émotionnels positifs. En outre, elle est simple à utiliser et produit des changements émotionnel importants et persistants dans le temps (Forgas, Burnham, & Trimboli, 1988, p.699). Par ailleurs, son utilisation pose moins de problèmes éthiques que la plupart des autres techniques dans la mesure où les individus sont quotidiennement exposés à des images chargées émotionnellement à travers Internet ou la télévision. Enfin, elle présente l’avantage d’être peu sensible aux effets de demande (Gilet, 2008). Sa principale limite est qu’elle ne permet d’induire qu’un nombre limité d’émotions discrètes, de base (joie, tristesse et peur essentiellement ; pour des revues des vidéos classiquement utilisées, voir Gross & Levenson, 1995 ; Philippot, 1993 ; Rottenberg, Ray, & Gross, 2007 ; Schaefer, Nils, Sanchez, & Philippot, 2010).

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La musique est une technique très fréquemment utilisée (pour une revue, voir

Västfjäll, 2002) : les participants entendent de la musique (souvent classique) évoquant l’humeur ou l’émotion en question. L'écoute peut se dérouler sans consigne explicite, ou avec pour instruction de se « plonger » dans l’état émotionnel suggéré par la musique. Quand elle est utilisée en complément d’une autre technique d’induction (voir ci-dessous), elle est davantage destinée à maintenir durablement un état émotionnel déjà installé, plutôt qu’à le

générer en tant que tel. Cette procédure serait efficace chez 75% des participants (Martin, 1990). En outre, comme c’est le cas pour les vidéos, elle est également peu sensible aux effets de demande (Gilet, 2008), mais ne permet d’induire qu’un nombre limité d’émotions de base. Enfin, elle est déconseillée lorsque la tâche ultérieure relève de la chronométrie mentale, dans la mesure où le tempo des extraits musicaux utilisés pour induire la tristesse est souvent plus lent que celui des extraits visant à induire de la joie et peut ainsi biaiser la mesure ultérieure (e.g., Kämpfe, Sedlmeier, & Renkewitz, 2010 ; Bottiroli, Rosi, Russo, Vecchi, & Cavallini, 2014).

L’imagerie guidée correspond aux vignettes ou scénarios que nous avons utilisés dans

l’Etude 2. L’utilisation de scénarios pour induire des émotions a récemment été développée de façon à ce qu’elle se fasse en ligne (e.g. Verheyen & Göritz, 2009). Cette procédure présente l’avantage de pouvoir induire une palette beaucoup plus large d’émotions, dont des émotions réflexives.

La méthode dite « de Velten » (Velten, 1968) est une procédure assez semblable : on demande aux participants de lire et d’essayer d’éprouver l’état émotionnel suggéré par des phrases (entre 10 et 60) décrivant des situations émotionnelles accompagnées d'autoévaluations positives ou négatives. La principale limite de cette technique est qu’elle est très sensible aux effets de demande (Gilet, 2008).

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Une autre procédure consiste à faire visionner aux participants des images ou

photographies émotionnellement valencées. Ce type de stimuli a été très utilisé dans le

paradigme de l’amorçage affectif(pour des revues, voir Berthet & Kop, 2010 ; Ferrand et al., 2006). On peut manipuler simplement la valence en utilisant des images d’objets ou de scènes très variés (araignées, plaies, vs fleurs, soleil, etc.) issues de bases telles que l’International Affective Picture System (IAPS ; Lang, Bradley, & Cuthbert, 2008). Mais on peut aussi manipuler des émotions plus spécifiques à travers des visages émotionnellement expressifs, dont les expressions sont souvent codées d’après le Facial Action Coding System (FACS ; Ekman & Friesen, 1976). D’autres sets plus récents sont également disponibles, parmi lesquels le Montreal Set of Facial Displays of Emotion (Beaupré, Cheung, & Hess, 2000), le

Karolinska Directed Emotional Faces (Goeleven, De Raedt, Leyman, & Verschuere, 2008),

le Japanese and Caucasian Facial Expressions of Emotion (Matsumoto & Ekman, 1988), le

NimStim Set of Facial Expressions (Tottenham, Tanaka, Leon, McCarry, Nurse, Hare,

Marcus, Westerlund, Casey, & Nelson, 2009) ou encore, pour l’amorçage d’émotions réflexives également, le University of California Davis Set of Emotion Expressions (Tracy, Robins, & Schriber, 2009), que nous avons utilisé pour illustrer les scénarios de l’Etude 1.

Une autre procédure consiste à demander aux participants, sous un faux prétexte, de produire eux-mêmes des expressions faciales ou des postures associées à des émotions particulières (principalement la joie). Par exemple, Bodenhausen, Kramer et Süsser (1994) demandaient à leurs participants de contracter les muscles zygomatiques (condition ‘joie’) ou de serrer leur poing (condition ‘neutre’), et ce durant toute la tâche qui leur était demandée d’accomplir. D’un point de vue théorique, cette technique d’induction renvoie à l’hypothèse de la rétroaction faciale (e.g. Leventhal, 1980), selon laquelle l’expression faciale d’une émotion génère l’expérience émotionnelle elle-même (inversant ainsi le lien de causalité intuitivement posé, d’après lequel c’est l’expérience d’une émotion qui génère son

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expression). A travers des postures spécifiques, Price, Dieckman et Harmon-Jones (2012) induisaient chez leurs participants des tendances à l’action bien particulières (joie plus ou moins fortement orientée vers l’approche). Ce type de procédures donne toutefois lieu à de très faibles tailles d’effet (Westermann et al., 1996), et ne serait efficace chez 50% des participants (Martin, 1990).

Une autre procédure consiste à donner aux participants un faux feedback sur leur performance à un test de capacités cognitives (perception motrice, intelligence,…) ou un examen. On manipule ainsi l’échec (état émotionnel négatif) ou le succès (état émotionnel positif)(pour une méta-analyse, voir Nummenmaa & Niemi, 2004). Selon Westermann et ses collaborateurs (1996), cette technique est efficace surtout pour induire des états émotionnels négatifs. En outre, elle se limite à manipuler la valence et ne permet pas d’induire des états émotionnels discrets, plus spécifiques. Par ailleurs, on peut penser qu’échec et succès ne génèrent pas uniquement des émotions positives ou négatives « pures », mais peuvent affecter d’autres caractéristiques psychologiques comme l’estime de soi, qui sera rehaussée en cas de succès et diminuée en cas d’échec.

Enfin, d’autres techniques existent, plus marginales : l’interaction sociale avec un compère se trouvant dans tel ou tel état émotionnel, l’hypnose, le recours à des odeurs ou la

météo, facteur non créé mais contrôlé (avec pour postulat initial que le beau temps met les individus dans un état émotionnel positif, tandis que le mauvais temps génère chez eux un état négatif). Enfin, offrir subrepticement des petits cadeaux aux participants est une technique utilisée pour générer un état émotionnel positif.

Afin de produire un effet plus intense et durable, certains travaux utilisent des procédures d’induction émotionnelle composites, c’est-à-dire qui combinent plusieurs de ces méthodes.

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