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Un effet spécifique des émotions réflexives négatives liées à l’évaluation du Soi ?

Dans le document De l'embarras à l'attention portée à soi (Page 195-198)

Chapitre 4 : Les effets de l’expérience de l’embarras sur l’attention portée à soi

II. Les états émotionnels peuvent-ils modifier le niveau d’attention portée à soi?

2. Un effet de l’état émotionnel sur l’attention portée à soi ?

2.2. Un effet spécifique des émotions réflexives négatives liées à l’évaluation du Soi ?

Intuitivement, on pourrait penser que toute émotion qui est liée à l’évaluation du Soi

augmente de façon mécanique l’attention portée au Soi. Ce lien n’est toutefois pas si évident.

A notre connaissance, aucune étude n’a directement traité des effets des émotions réflexives négatives liées à l’évaluation du Soi (embarras, honte, culpabilité) sur l’attention portée à soi. C’est donc par l’intermédiaire de travaux investiguant d’autres mesures que nous allons tenter de documenter cette question.

2.2.1. Honte et culpabilité : des effets antagonistes sur l’attention portée à soi Yang et ses collaborateurs (2010) se sont intéressés à la façon dont la honte et la culpabilité peuvent affecter la capacité de participants à adopter la perspective d’autrui. On peut considérer cette variable dépendante comme une mesure indirecte de l’attention portée à soi, une capacité élevée à adopter la perspective d’autrui traduisant un faible niveau d’attention portée à soi, et vice versa. Bien que ces émotions soient toutes deux réflexives, liées à l’évaluation du Soi et à valence négative, elles affectaient de façon antagoniste la capacité à adopter la perspective d’autrui : la culpabilité l’augmentait tandis que la honte la réduisait. Ce résultat va dans le sens de la distinction opérée par Green et Sedikides (1999), même si ces auteurs n’ont pas directement étudié les effets de la honte ni de la culpabilité : les émotions qui diminuent l’attention portée à soi (autrement dit centrées sur autrui, comme la culpabilité) conduisent souvent à l’approche, tandis que celles qui l’amplifient (c’est-à-dire centrées sur le Soi, telles que la honte) mènent en général à l’évitement.

Ces deux études sont en accord avec de nombreux travaux issus de la psychologie sociale et clinique (e.g. Tangney et al., 1996 ; voir notre Chapitre 1). Dans ces recherches, la culpabilité a souvent été associée à une orientation de l’attention vers autrui et des tendances à

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l’action prosociale, souvent dans le but de réparer un tort. A l’inverse, la honte a plutôt été associée à des tendances à l’évitement, la paralysie ou la fuite (repli sur soi-même visant à réparer l’image de soi et rehausser l’estime de soi).

Ainsi, les effets antagonistes de la honte et de la culpabilité sur l’attention portée à soi mettent en évidence l’importance de distinguer, au sein de la catégorie des émotions réflexives liées à l’évaluation du Soi, chacune d’entre elles.

2.2.2. L’embarras oriente-t-il l’attention vers soi ou vers autrui ?

L’embarras a-t-il plutôt tendance à augmenter ou à réduire l’attention que l’on porte à soi-même? Il n’existe à notre connaissance aucune recherche répondant à cette question… Nous allons donc ici passer en revue des faisceaux d’indices soutenant deux hypothèses de réponse opposées. Ces indices sont issus de travaux portant sur les antécédents et sur les effets (comportementaux, expressifs, etc.) de l’embarras.

L’embarras résulte de la conscience excessive que l’attention des autres est portée sur le Soi (« the excessive awareness of others’ awareness of ourselves », Zeman, 200149 ; p. 1266, cité par Hofmann et al., 2006). Au niveau comportemental, il conduit à mettre en place des stratégies visant à restaurer la présentation du Soi auprès d’autrui. Ces éléments de définition font osciller le focus attentionnel de l’individu embarrassé entre deux pôles : le Soi et autrui. Ils peuvent ainsi conduire à deux hypothèses concurrentes concernant l’effet de l’embarras sur l’attention portée à soi.

La première de ces hypothèses consiste à penser que l’embarras, à la manière de l’anxiété sociale50

ou de la timidité auxquelles il est corrélé (voir notre Chapitre 1), renforce

49 Zeman (2001) assimile même la conscience de soi à la capacité à être embarrassé (« self-consciousness as proneness to embarrassment », p. 1266).

50 DaSilveira et ses collaborateurs(2015) ont ainsi mis en évidence une corrélation positive entre anxiété sociale et attention publique portée à soi (voir aussi Bögels & Lamers, 2002; Grisham King, Makkar, & Felmingham, 2015 ; Jakymin & Harris, 2012).

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l’attention portée à soi (Miller, 1996). Il a été en effet décrit dans ce sens par Leary et ses collaborateurs (1996) : « embarrassment is an unpleasant state characterized by tension, self-focused attention, and feelings of self-consciousness51 » (p. 620, gras ajouté par nos soins). Cette hypothèse peut être soutenue par les modèles explicatifs de l’embarras mettant en avant sa dimension intra-personnelle. Comme nous l’avons vu au Chapitre 1, selon ces modèles, l’embarras résulte du décalage perçu par l’individu entre son Soi idéal en termes de standards personnels et le Soi tel qu’il est présenté aux autres en situation (Babcock, 1988 ; Babcock & Sabini, 1990). L’embarras est donc suscité par l’évaluation du Soi par le Soi, qui peut engendrer une perte temporaire de l'estime de soi situationnelle (Modigliani, 1968, 1971). A la manière de la honte, cette auto-évaluation du Soi mènerait à une augmentation de l’attention portée à soi.

Mais une hypothèse alternative peut être proposée si l’on intègre la dimension sociale et interpersonnelle de cette émotion, qui s’éprouve en la présence réelle ou imaginée d’autrui. Au niveau expressif et comportemental, nous avons vu que l’embarras s’accompagne souvent d’une augmentation des comportements altruistes (e.g., Apsler, 1975 ; Cann & Goodman Blackwelder, 1984) ainsi que d’une recherche d’approbation sociale (Edelmann, 1985) et de réassurance sociale (Miller, 2014). Certains des modèles explicatifs présentés dans le Chapitre 1 viennent soutenir cette hypothèse. Ainsi, selon les modèles dramaturgique (Goffman, 1974) et de l’évaluation sociale (Edelmann, 1985, 1987 ; Manstead & Semin, 1981), l’embarras résulte plutôt d’une divergence entre le Soi tel qu’il est présenté aux autres en situation et les attentes supposées d’autrui (Sugawara, 1992, 1998) ou les normes sociales de présentation de soi dans le contexte. Selon ces modèles, l’embarras devrait conduire l’individu à porter son attention sur autrui et sur la façon dont, en situation, les autres réagissent à l’épisode embarrassant, au détriment de l’attention qu’il porte à lui-même.

51 Au vu de la distinction faite précédemment entre « self-consciousness » et « self-awareness », le terme

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L’objectif principal des trois études empiriques qui vont être présentées dans ce chapitre était de voir si l’embarras pouvait avoir un effet sur le niveau d’attention portée à soi, et le cas échéant, d’apprécier le sens de cet effet : l’attention portée à soi est-elle accrue ou réduite par l’embarras ?

III. Contributions empiriques : Investigation de l’effet de l’état

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