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Hypothèses

Dans le document De l'embarras à l'attention portée à soi (Page 140-145)

Chapitre 3 : Les effets de l’expérience de l’embarras sur l’activité cognitive

III. L’induction d’embarras peut-elle affecter les composantes impliquées dans une tâche de

1. Induction à l’aide d’une tâche d’association verbale : Etude 3

1.1.2. Hypothèses

La joie ayant été associée, dans la littérature, à un traitement superficiel, holistique et audacieux, on s’attendait à ce que comparativement à une condition contrôle (induction ‘neutre’), elle conduise à des temps de réaction plus courts, une proportion d’erreurs plus élevée et un critère de décision a plus faible. Nous posions également l’hypothèse qu’elle mène à un temps encodage-réponse Ter plus faible, de par son degré d’éveil élevé. Enfin, nous nous attendions à observer une pente d’accumulation d’évidence plus élevée pour les mots (vm), puisqu’elle favorise l’accès au lexique.

Par ailleurs, on s’attendait à ce que la tristesse, qui d’ordinaire se caractérise par un traitement approfondi, systématique et prudent, soit associée à des temps de réaction plus longs, une proportion d’erreurs plus faible et un critère de décision a plus élevé (et ce comparativement à une condition contrôle). Puisqu’elle est classiquement liée à un faible niveau d’éveil conduisant à un ralentissement moteur général, et à des ruminations (pensées intrusives détournant l’attention de la tâche), nous émettions l’hypothèse qu’elle conduise à un temps encodage-réponse Ter plus élevé. Enfin, l’exécution de la tâche dans la condition ‘tristesse’ pourrait être entravée par les pensées intrusives non pertinentes (distraction), ou au contraire facilitée puisque la tâche pourrait être envisagée comme une stratégie de régulation émotionnelle, et ainsi surinvestie par les participants tristes (concentration). Nous n’avons donc pas posé d’hypothèses a priori concernant l’effet de la tristesse sur les pentes d’accumulation d’évidence (vm et vp).

Enfin, dans la mesure où l’embarras est une émotion quasi inexistante dans la littérature utilisant la chronométrie mentale, il était moins aisé de poser des hypothèses

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étayées à son sujet. Toutefois, certains travaux précédemment cités nous indiquent que l’embarras se caractérise par une recherche d’approbation sociale (Edelmann, 1985) et de réassurance (Miller, 2014) se traduisant par un souci de « bien faire » visant à a) rehausser son estime de soi (Apsler, 1975) et/ou b) faire bonne impression à autrui (tactique de présentation de soi) pour redorer une image sociale ternie (Feinberg et al., 2012). On pourrait dès lors considérer que l’application (et l’implication !) dans la tâche proposée pourrait constituer un moyen de satisfaire ces deux objectifs. Cette application/implication d’un individu assigné à une condition ‘embarras’ se traduira-t-elle dans la rapidité ou dans la justesse de ses réponses? Dans nos Etudes 3 et 4, contrairement à la rapidité qui n’était pas sanctionnée par un feedback, la justesse l’était ; après chaque essai, le participant recevait systématiquement à l’écran un message « réponse juste » (écrit en vert) ou « réponse fausse »

(écrit en rouge) pour l’informer de l’exactitude ou non de sa réponse. On pouvait donc penser que les participants de la condition ‘embarras’ soient plus enclins à favoriser l’élément de la consigne qui était sanctionné de façon directe et explicite, autrement dit la justesse des réponses. Ainsi, nous posions l’hypothèse que ces participants commettraient moins d’erreurs que les participants assignés à une condition contrôle. On s’attendait également à ce que cet évitement des feedbacks négatifs35 que constituent les erreurs se traduise par un critère de décision a plus élevé, reflétant un style de réponse prudent. Par ailleurs, le degré d’éveil associé à l’embarras n’est pas clairement établi ; en effet, nous avons vu que cette émotion se caractérise par des modifications physiologiques ambivalentes, qui pourraient traduire une augmentation de l’activité du système sympathique associée à une augmentation du niveau d’éveil (observable par des manifestations telles que le rougissement, l’augmentation de la conductance électrodermale, l’accélération du rythme cardiaque après la première minute ; e.g. Drummond, 1997 ; Gerlach et al., 2003 ; Harris, 2001 ; Kreibig, 2010) ou au contraire

35 L’évitement des feedbacks est d’ailleurs une des composantes majeures de l’anxiété (Mathews, 1990); or la propension à être embarrassé corrèle fortement avec l’anxiété, notamment l’anxiété sociale (voir Chapitre 1).

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parasympathique associée à une réduction du niveau d’éveil (observable par le ralentissement du rythme cardiaque au cours de la première minute ; e.g. Buck & Parke, 1972 ; Buck et al., 1970 ; Harris, 2001). Ainsi, nous ne posions pas d’hypothèse a priori concernant le temps encodage-réponse Ter associé à l’embarras36.

1.2. Méthode

1.2.1. Participants

Quatre-vingt-cinq étudiants à l’Université de Lorraine, volontaires non rémunérés (64 femmes et 21 hommes, âgés de 18 à 30 ans, M = 21.7, σ = 3.1) ont participé à cette expérience. Tous avaient une vue normale ou corrigée et étaient de langue maternelle française. Aucun ne souffrait de trouble du langage particulier (dyslexie, dysorthographie…).

1.2.2. Stimuli

Les items utilisés pour la tâche de décision lexicale sont issus d’une précédente étude (Dioux, 2014). Deux-cent trente-huit mots français de 5 à 8 lettres avaient été sélectionnés dans la base Lexique 3 (New & Pallier, 2005), parmi lesquels 113 étaient de haute fréquence lexicale, et 125 de faible fréquence lexicale. Deux-cent trente-huit pseudo-mots de 5 à 8 lettres avaient été construits soit à partir de la première syllabe d’un mot français (par exemple, mandit est construit à partir du mot manquer), soit en modifiant une lettre d’un mot français (par exemple, voivre est construit à partir du mot poivre). L’intégralité des stimuli utilisés pour l’Etude 3 est disponible en Annexe 4.

1.2.3. Procédure

36 Par ailleurs, comme dans le cas de la tristesse, les ressources allouées à l’exécution de la tâche pourraient être captées par les pensées intrusives (distraction) ou au contraire décuplées si la tâche est envisagée comme un outil de régulation émotionnelle (concentration). Les deux alternatives étant envisageables, aucune hypothèse n’a été formulée quant à l’effet de l’embarras sur les pentes d’accumulation d’évidence.

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Chaque session expérimentale accueillait entre deux et huit participants. A leur arrivée, ces derniers signaient un formulaire de consentement. La passation de l’expérience se déroulait en deux temps : l’induction par amorçage d’une émotion (embarras, joie, tristesse, neutre) et la tâche de décision lexicale. Ces deux parties étaient présentées aux participants comme indépendantes l’une de l’autre, regroupées en une même session uniquement pour des raisons pratiques. Chaque partie était menée par un expérimentateur différent de façon à ne pas éveiller de doute chez les participants.

La première partie de l’expérience visait à activer la représentation d’émotions chez les participants et se présentait sous la forme d’un test d’association verbale (procédure utilisée par Dioux, 2014, adaptée de Dijksterhuis & Van Knippenberg, 1998). Elle se faisait par le biais d’un compère et était présentée comme déconnectée de la seconde partie (paradigme des études indépendantes). En début de session, le compère était introduit par l’expérimentateur, et expliquait aux participants qu’il était à la recherche de sujets pour une étude portant sur les représentations sociales de certaines situations particulières. Il leur demandait s’ils acceptaient, avant que ne démarre la véritable expérience (ce pour quoi les participants avaient été initialement conviés), de prendre part aussi à cette courte recherche dont la passation ne prendrait pas plus de cinq minutes. Tous ont accepté d’y participer. Une enveloppe contenant une feuille de papier sur laquelle était inscrit soit « situation embarrassante », soit « situation joyeuse », soit « situation triste », soit « mots commençant par la lettre S » (condition contrôle correspondant à une induction ‘neutre’) était alors distribuée par le compère à chaque participant. Il était demandé aux participants d’écrire les dix premiers mots qui leur venaient à l'esprit quand ils pensaient au concept inscrit sur la feuille à l’intérieur de l’enveloppe qu’ils avaient reçue. Une fois la consigne donnée oralement et les enveloppes décachetées, cette tâche durait entre 2 et 4 minutes, mais aucune restriction de temps n’était donnée. Chaque participant était assigné à l’une des quatre

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conditions expérimentales (‘embarras’, ‘tristesse’, ‘joie’, ‘neutre’) de façon aléatoire. Chaque session mêlait des participants affectés à différentes conditions expérimentales qui recevaient de façon collective les mêmes consignes, de façon à minimiser l’effet expérimentateur (e.g. Doyen, Klein, Pichon, & Cleeremans, 2012). Les mots fournis par les participants lors de cette tâche sont consultables en Annexe 5.

La seconde partie de l’expérience était une tâche de décision lexicale. La présentation des stimuli et l’enregistrement des mesures dépendantes (temps de réaction et justesse des réponses) se faisaient à l’aide du logiciel Eprime (version 2), sur des écrans 20 pouces. Chaque participant était assis à environ 50 cm de l’écran. A chaque essai, une croix de fixation était présentée au milieu de l’écran pendant 200 ms, suivie par une suite de lettres minuscules qui apparaissait en blanc sur fond noir. La tâche du participant consistait à indiquer le plus rapidement possible en faisant le moins d’erreurs possible si la suite de lettres était un mots français ou non, en appuyant sur l’une des deux touches de réponse du clavier. Celles-ci tenaient compte de la latéralité manuelle des participants ; les participants utilisaient leur main dominante pour la réponse « mot ». Un feedback apparaissait à l’écran après chaque essai. L’intervalle entre chaque essai était de 400 ms. Pour chaque participant, l’ordre de présentation des stimuli était aléatoire. Dix-huit essais étaient proposés aux participants pour s’habituer à la tâche, puis la phase expérimentale débutait et comportait 458 essais.

1.3. Résultats

Les analyses ont été menées sur 80 participants. Les données d’un participant du groupe ‘tristesse’ ont été éliminées car les mots qu’il avait fournis lors de la tâche d’association étaient sans lien avec la tristesse. Quatre participants ont été exclus des analyses car leurs temps de réaction moyens ont été jugés trop longs (>800ms).

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