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Une inclination à l’action collective apparemment toujours présente chez les militantes

2.1. Les dispositions au militantisme en général

2.1.2. L’inclination à l’action collective

2.1.2.1. Une inclination à l’action collective apparemment toujours présente chez les militantes

De multiples corrélations entre inclination à l’action collective et engagement apparaissent dans les matériaux de l’enquête. Sans prétendre à l’exhaustivité, on se propose d’en étudier quelques exemples.

Tout d’abord, Thomas est un cas emblématique de militant ayant eu de nombreuses occasions de développer une inclination à l’action collective au cours de sa vie. Il n’a en effet pas seulement participé aux activités de l’association humanitaire de son père. Il a aussi pris des initiatives d’engagement collectif au cours de sa scolarité :

« J’avais dû tenir d’autres stands pour des forums des assoces, parce que j’avais fait partie du club jeux de rôle à la MJC près de chez moi. Donc avec des potes on avait monté un club pour faire du jeu de rôle sur table, et chaque année au forum des assoces on était là et on initiait les gens. Mais c’était vraiment différent du tractage, quoi. Y avait aussi du Scrabble, du yoga… »117

En plus de ces activités et initiatives collectives, cet enquêté a aussi été dans une chorale en classe de sixième (« C’était bien mais c’était pas transcendant non plus, je l’ai fait avec un pote. »), il s’est rendu au catéchisme « pendant 3 ans de CE2 à CM1 (c’est mes parents qui voulaient que je le fasse, et puis moi du coup j’étais intéressé par ça, puis petit à petit j’ai complètement abandonné ça, mais pour la culture gé c’est important) donc j’ai fait mon baptême et ma première communion », et il a pratiqué diverses activités sportives :

« j’avais du mal à trouver ce qui me plaisait. Pendant un an j’ai fait du basket, pendant un an de la danse africaine (en primaire), du ping-pong aussi pendant un an… des arts du cirque pendant 2 ans en primaire… puis après c’était plus au niveau de

l’association sportive du collège et du lycée où avec mes potes entre midi et deux on allait faire du sport. Et ces trois dernières années de l’aïkido puis du badminton »118

Ces multiples occasions d’agir dans un collectif ne lui ont pas permis de tisser des liens durables, étant donné qu’il ne restait « qu’un ou deux ans » dans chaque activité. Elles l’ont néanmoins habitué à pratiquer des activités collectives et à se trouver à son aise en présence d’un entourage régulièrement renouvelé. Il n’est pas impossible que cela contribue à expliquer pourquoi, ainsi que j’ai pu l’observer, Thomas comptait parmi les personnes les plus souriantes, apparemment sûres d’elles et promptes à discuter avec les autres à l’issue de la réunion de présentation à laquelle il s’est rendu. Cette aisance sociale constitue un véritable atout pour s’impliquer dans l’association.

Parfois, l’inclination à l’action collective semble être un facteur particulièrement important pour comprendre l’engagement de l’enquêtée. Léa n’a par exemple jamais eu d’expériences militantes avant L214 ; néanmoins, elle a fait du scoutisme et suivi des formations d’animation. Son aisance à aborder des inconnues l’aide à se sentir capable de militer, même si elle doute de la qualité de son argumentation. On peut aussi mentionner le cas de Christophe : bien que de tempérament plutôt calme voire discret, il n’appréhende pas particulièrement de s’engager dans des associations où un travail collectif est requis, ce qui s’explique certainement par son passé familial. Son père, militant au PSU, organisait des réunions à la maison. L’enquêté a lui-même été notablement impliqué dans diverses luttes depuis les années 1980, lorsqu’il a fait ses études à l’université : Parti communiste internationaliste, Fédération anarchiste, Agir contre le chômage, Mouvement humaniste… les organisations politiques et associatives pour lesquelles il s’engage à l’époque ne manquent pas. Au niveau syndical, il a été pendant 5 ans délégué du personnel CGT à son travail. Les activités de groupe, ludiques ou non, nécessitant une coordination plus ou moins importante avec autrui, ne l’intimident aucunement. Il apprécie les « soirées jeux de société », il préside le conseil syndical de son immeuble… et en ce qui concerne la cause animale, il a pris des responsabilités dans une association dès 2002. Le développement précoce d’une inclination à l’action collective est incontestablement un atout pour s’engager à L214.

118 Ibid.

À l’inverse, pour d’autres enquêtées, la nécessité d’agir collectivement est un repoussoir (perçu consciemment ou non). Sandrine l’affirme d’ailleurs explicitement : « j’aime pas la vie de groupe, je suis pas du tout groupe ». Elle fait elle-même le lien avec ses réticences à s’engager dans du militantisme de rue : « je pense que c’est effectivement le fait que je sois pas très militante, que j’aille pas à des manifs… Je suis plutôt quelqu’un en retrait de la vie de groupe. ». On peut aussi mentionner Philippe, qui ne rapporte pas d’exemples de pratiques militantes dans sa famille et explique qu’il n’est pas un grand habitué des activités de groupe. Interrogé sur ses loisirs, il évoque de la boxe et du sport en salle. En ce qui concerne les activités associatives, il explique :

« [Les manifestations,] ça correspond pas forcément à ce que je suis dans ma personnalité, dans le sens où je suis plutôt misanthrope comme garçon, les gens m’emmerdent, j’aime bien les relations duo mais à partir du moment où on est en groupe ça me rase un peu, je sors très très peu voire jamais, je bois pas je fume pas, j’ai des amis, peu, je suis ouvert à tout le monde vraiment, mais… je vais aller faire une manifestation si c’est moi qui la dirige et qui… voilà. »119

Comme il n’en a jamais dirigé, cette dernière phrase ressemble davantage à une affirmation de virilité qu’à un véritable contre-exemple de ce qu’il affirme juste avant, à savoir qu’il n’a aucune inclination à l’action collective. Il n’en est pas moins enclin à affirmer son envie de faire avancer la cause animale. Simplement, il n’envisage pas de participer dans un collectif comme un militant identique à n’importe quel autre et interchangeable. Il se verrait plutôt pratiquer des méthodes d’action directe, où il prendrait le rôle principal : « Après vous m’appelez pour casser un labo parce que y a des animaux qu’il faut sortir… ou aller me foutre dans un abattoir pour… là vous pouvez m’appeler je suis omniprésent, j’y vais et vous serez pas déçu. ». De telles ambitions sont manifestement incompatibles avec ce que sont les attentes de L214 vis-à-vis des bénévoles. Philippe n’en a de toute façon jamais fait part à l’association. S’il présente son absence d’engagement comme le résultat d’un problème circonstanciel (son indisponibilité pour la réunion de présentation), sa réticence à fréquenter des groupes et son inexpérience militante expliquent probablement pourquoi il ne s’est jamais réinscrit à une réunion de présentation. Il semble attendre d’être sollicité et croire que l’association rappelle les anciennes inscrites lorsqu’elle a besoin de nouveaux membres, alors qu’en pratique, l’afflux de demandes chaque quadrimestre fait que l’association n’a pas

besoin de solliciter les personnes qui n’ont pu venir lors des précédentes réunions (Émilie envoie néanmoins une invitation, en général, aux absentes de la précédente réunion).

Enfin, dans certains entretiens, l’absence d’activités collectives dans la vie de l’enquêtée est manifeste et le lien plutôt clair avec l’absence d’engagement. Par exemple, Catherine, professeure d’université, n’a pas d’expérience militante. Lorsque je lui parle d’engagement, elle pense spontanément à un engagement financier, c’est-à-dire celui qu’elle pratique. Elle alloue en effet mensuellement un budget d’une centaine d’euros de dons (qui entraînent une réduction d’impôts aux 2/3 des sommes versées) à 5 associations animalistes, dont L214. Elle développe longuement ses motivations à soutenir ces associations mais n’envisage qu’assez vaguement de s’y impliquer, bien qu’elle ait du temps libre. Même si elle n’est pas beaucoup rentrée dans les détails, il semble que cela s’explique par sa distance vis-à- vis des activités de groupe en général et sa faible politisation. On peut aussi mentionner le cas de Stéphanie, dont on a dit plus haut qu’elle était « intimidée » par le fait de participer à une mise en scène théâtrale publique. Cette enquêtée n’a jamais été dans une manifestation, et ma question sur les éventuels loisirs collectifs tourne court. Ni habituée aux activités collectives et à la rencontre d’inconnues, ni familière de l’espace des mouvements sociaux, l’inclination à l’action collective semble manifestement lui manquer pour s’engager dans le groupe de militantes de terrain, malgré un intérêt certain et de longue date pour la cause animale. Son engagement prend une autre forme : elle participe activement aux ateliers administratifs, qui présentent l’avantage pour elle de ne pas la mettre en situation de devoir porter publiquement les couleurs de l’association pour interagir avec des inconnues.

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