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Comme annoncé en introduction, ce mémoire redémontre sur un nouveau terrain que l’on comprend d’autant mieux l’engagement des militantes dans un mouvement social que l’on tire les conclusions du constat que fait Frédéric Sawicki sur les organisations militantes : « [elles] choisissent autant leurs membres que ces derniers les choisissent »179. Analyser ce

double choix requiert de s’intéresser aux modalités de recrutement mises en œuvre par l’organisation et aux conditions sociales qui font qu’une personne va être disposée à « choisir » de s’engager dans l’organisation. Dans le cas de L214 à Lyon, l’enquête menée a permis d’identifier que de multiples composantes de l’activité de l’association, au-delà du seul processus formalisé de recrutement, conduisaient à attirer des bénévoles à elle. Mais elle a aussi permis de montrer que les effets de ces composantes n’étaient pas homogènes parmi les enquêtées, grâce à une approche dispositionnaliste qui cherche les multiples conditions de possibilité de l’engagement dans les trajectoires biographiques des enquêtées, et aboutit à l’exposé d’une carrière militante qui semble typique : la militante commence par partager les motifs de contestation qui sont au fondement de l’association (étapes 1 et 2), puis veut convaincre autrui de partager ces motifs (étape 3) et rejoint pour ce faire l’organisation militante (étape 4), où elle mènera l’action militante à proprement parler (étape 5). On a pu voir que le franchissement de chaque étape était soumis à des conditions de possibilité : avoir développé un intérêt pour la thématique de l’association, avoir appris à envisager le militantisme comme une démarche honorable et non vaine, avoir des conditions de vie qui permettent de se donner le temps de militer, avoir acquis une appétence pour l’action collective et pour le répertoire d’actions spécifiquement proposé par l’association, ne pas être rebutée par les caractéristiques sociales des militantes déjà engagées (l’enquête a notamment permis de voir que la différence d’âge pouvait être un motif de renoncement)…

Au-delà de la démonstration de la pertinence de l’étude du « double choix » (des organisations par leurs militantes et réciproquement) pour comprendre l’engagement, ce travail a permis de contribuer à produire des connaissances sur le mouvement animaliste contemporain, et en particulier la partie abolitionniste de celui-ci, en se penchant sur une association encore peu étudiée par les politistes. La croissance rapide de son nombre d’adhérent·e·s, de ses fonds et de sa visibilité médiatique suscite de nombreux

179 Frédéric Sawicki, « Le temps de l’engagement. À propos de l’institutionnalisation d’une association de

questionnements jusqu’au sein de l’association elle-même : comment se fait-il qu’elle a pu se créer et se développer aussi rapidement ? La mise en évidence des raisons de l’engagement des militantes contribue à répondre à ce questionnement, puisque c’est entre autres grâce à l’existence de son réseau de militantes que l’association parvient à se développer. On pourrait chercher à approfondir l’explication en essayant de saisir comment le bien-être animal est devenu une catégorie d’action publique susceptible de faire l’objet de revendications militantes adressées au gouvernement, comment l’existence d’un ensemble de groupes militants politisés à Lyon dans les années 1990 a permis la constitution d’un groupe qui s’est concentré sur la question animale et a contribué à l’émergence de L214 (entre autres associations abolitionnistes), comment le développement des réseaux sociaux a pu, d’une part, rendre possible la réalisation de campagnes numériques de pression sur des entreprises agroalimentaires pour les faire s’engager sur le bien-être animal (sans attendre d’y être légalement contraintes), et d’autre part, favoriser la diffusion rapide et large de vidéos d’animaux en souffrance puis la montée en notoriété médiatique de l’association qui en était à l’origine… Plus généralement encore, on pourrait rechercher des liens entre le développement de ce type d’association et des phénomènes structurels dont certain·e·s chercheurs et chercheuses allèguent qu’ils affectent nos sociétés contemporaines : « montée des valeurs post-matérialistes, […] professionnalisation des organisations, déclin des solidarités de travail et de voisinage, rôle croissant des grands médias »180.

Pour terminer, il convient de circonscrire la validité des conclusions tirées de cette enquête de terrain, en insistant sur deux points. Premièrement, l’échantillon constitué l’a été en partie sur la base de considérations pratiques. Un·e autre chercheur/euse qui mènerait une enquête plus longue sur ce terrain aurait peut-être accès à davantage de militantes, qui lui permettraient éventuellement d’identifier d’autres facteurs de l’engagement. Deuxièmement, l’analyse des entretiens a nécessité de composer avec des oublis, omissions et reconstructions

a posteriori. Un·e chercheur/euse qui aurait la possibilité de réinterroger les mêmes personnes

quelques mois ou années plus tard obtiendrait certainement quelques réponses différentes à des questions semblables aux miennes, ce qui permettrait de mettre en perspective les réponses que j’ai recueillies et de saisir ce qu’elles doivent à leur contexte d’énonciation. C’est pourquoi l’anonymisation des enquêtées peut être levée sur demande (merci de m’adresser un courriel) afin de permettre la cumulativité des recherches futures.

Bibliographie

Thèses

- CELKA Marianne, « L’Animalisme. Enquête sociologique sur une idéologie et une pratique contemporaines des relations homme / animal », thèse de doctorat réalisée sur la direction de TACUSSEL Patrick et RABOT Jean-Martin, Université Paul Valéry Montpellier III.

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Ouvrages

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