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Incidence populationnelle

1.3. Incidence épidémiologique de l’épisiotomie

1.3.1. Incidence populationnelle

Comme nous l’avons préalablement esquissé dans la partie dévolue à l’histoire de la pratique de l’épisiotomie, le développement et la diffusion de l’épisiotomie ne s’est pas réalisé de manière uniforme dans le monde. De nombreuses disparités mondiales dans l’appréhension des recommandations de l’épisiotomie s’expriment aujourd’hui, menant à une forte inégalité des pratiques. Cette partie est l’occasion de recenser dans un premier temps les différents taux d’épisiotomie pratiqués dans le monde. Puis, nous nous centrerons plus spécifiquement sur les évolutions prises par la France en matière d’épidémiologie de l’épisiotomie afin d’exemplifier son incidence populationnelle et par corrélation la population potentiellement concernée par les résultats de notre recherche.

La pratique de l’épisiotomie dans le monde : une disparité liée au contexte économique et sanitaire

L’étude des données épidémiologiques de l’épisiotomie dépend des publications et études qui lui ont été consacrées. Aussi, lorsque nous avons entrepris de recenser les travaux portant sur la prévalence populationnelle de l’épisiotomie, nous avons décidé de ne retenir que les statistiques nationales et à défaut, lorsque ces dernières n’étaient pas disponibles, les études portant sur au moins 2500 naissances et/ou au moins trois institutions (Clesse et al., 2018a). Ces tableaux sont présentés en annexe (Tome 1, Annexe 22 p. 81). Dans ce contexte, nous avons pu remarquer qu’un nombre significatif de publications provient de pays comme les U.S.A., le Canada, la France, le Royaume-Uni ou encore la Nouvelle-Zélande (Clesse et al., 2018 a). Cette tendance s’explique encore une fois par le fait que ces pays sont largement occidentalisés et qu’ils possèdent des infrastructures de santé modernes ainsi qu’un système de soin développé leur ayant permis d’assurer un regard sur leur propres politiques de santé (WHO, 2013 ; Clesse et al., 2018a). En revanche, nous constatons un manque de données criant au sein de pays en voie de développement et/ou ne concentrant pas l’association des trois facteurs suivants : occidentalisation, développement d’infrastructures de santé modernes, développement de politiques de santé avancées (Clesse et al., 2018a). Enfin, pour d’autres pays comme le Japon, la Chine, l’Afrique du sud ou encore le Maroc et la Tunisie, il est possible que d’autres facteurs (socio-culturels, ethniques, religieux, politiques…) aient joué un rôle important (Sathiyasekaran et al., 2007).

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En dépit de ces manques, il est tout d’abord possible de remarquer que parmi les plus récentes données disponibles de chaque pays, quelques rares se situent aujourd’hui en dessous du taux de 10% proposé par l’OMS en 1996 (WHO, 1996). La prévalence de l’épisiotomie en 2010 était par exemple de 6% en Suède, de 7.20% en Islande ou encore de 4.90% au Danemark (Graham, 2005, Euro-Peristat Project et al., 2008 ; Clesse et al., 2018a). Ces taux bas détenus par les pays d’Europe du Nord ont récemment été rejoints par les U.S.A. dont le taux d’épisiotomie est descendu à 9.4% à partir de 2011 (Kozhimannil et al., 2017)15F

16. Bien que beaucoup de ces pays soient des pays nordiques dont la gestion de l’accouchement est majoritairement orientée vers l’approche physiologique, le fait que les U.S.A. affichent un taux d’épisiotomie aussi bas semble être le résultat de la mise en place de politiques restrictives d’épisiotomie amorcée à la fin des années 80. Une dynamique similaire semble également à l’œuvre pour de nombreux pays comme l’Australie (16.20% en 2002), le Canada (17% en 2007), l’Angleterre (15.20% en 2011/2012) ou encore l’Islande (16.30% en 2002/2003) (Graham et al., 2005 ; Health & Social Care Information Center 2013; Pel et al., 1995 ; Public Health Agency of Canada 2012, Clesse et al., 2018a). Ces pays montrent tous un déclin marqué du nombre d’épisiotomies réalisées par rapport à leurs taux préalables (disponible dans les tableaux présent en annexe (Tome 1, annexe 22, p. 81) (ibid.). Enfin, d’autres pays comme la Nouvelle-Zélande (10.1% estimé entre 2000 et 2002), le Burkina Faso (14% en 1998) ou encore la Tanzanie (16.50% en 2004) affichaient également des taux bas (Graham et al., 2005 ; Kavle et al., 2008 ; Malik et al., 2007 ; Clesse et al., 2018a). Cependant, les situations de ces pays semblent plutôt associées à des facteurs culturels ou à un déficit en matière d’infrastructures de santé amenant les populations à accoucher à domicile plus qu’à une réduction graduelle des taux d’épisiotomie.

Dans un second temps, il est important de noter qu’une grande majorité des pays du monde affichait un taux d’épisiotomie compris entre 15 et 60% des accouchements aux alentours des années 201016F

17. Pour une bonne partie de ces pays et notamment en Europe, la publication de récentes études permet de constater la tendance baissière de la pratique de l’épisiotomie dans les pays occidentalisés. C’est ainsi que la Pologne affichait en 2010 un taux d’épisiotomie de 67.50% des accouchements, alors qu’en 2016 ce taux était de 57% (Clesse et

16 Une étude portant sur l’année 2012 affichait un taux d’épisiotomie de 11.60% (Friedman et al, 2005) soit une variabilité importante. Néanmoins, l’étude de Kozhimannil (2017) porte sur un échantillon d’environ 5.700 000 patientes et la méthodologie employée nous porte à choisir le taux proposé par son étude.

17 La disponibilité des analyses nécessitant à la fois que l’année soit écoulée, le temps de disposition des données souvent à N+1, le temps de réalisation de l’étude et les délais de publication, il est très difficile d’obtenir des données précédent 2015. Notons également qu’hormis dans les pays en voie de développement les études épidémiologiques d’ampleur nationale semblent se raréfier au cours de ces dernières années.

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al., 2018a ; Gebuza et al., 2018). De même l’Espagne affichait en 2004 un taux de 68% alors que ce dernier était descendu à 43% des accouchements en 2010 (Euro-Peristat, 2013). L’évolution des taux français a également suivi cette même dynamique. Nous commenterons cet aspect dans le point suivant qui sera spécifique de l’épidémiologie de l’épisiotomie en France. En revanche, d’autres régions du monde et notamment les pays en voie de développement possédant toutefois une capacité industrielle récente tels que les pays asiatiques, l’Inde ou les pays du Moyen-Orient semblaient montrer une tendance haussière de la pratique de l’épisiotomie au détour des années 2000. C’est ainsi que l’Inde dont la prévalence populationnelle dépassait 1.2 milliard affichait un taux d’épisiotomie de 68% (Saxena et al., 2010). Ce taux semblait stagner ainsi depuis quelques années car en 2004, le taux d’épisiotomie était de 67% (Sathiyasekaran et al., 2007). Au Moyen-Orient par exemple, la Jordanie montrait un taux d’épisiotomie de 37% en 2009/2010 et en 2015 il était de 41.40% des accouchements. La Chine dont la population dépasse aujourd’hui 1.4 milliards d’habitants affichait quant à elle un taux de 85.5% en 2003 (Lam et al., 2006). Ce taux était en augmentation par rapport à l’année 2001 où 82% des accouchements comprenaient une épisiotomie (Graham et al., 2005). Très récemment, une étude basée sur un échantillon assez faible de 3721 naissances montrait quant à elle que le taux d’épisiotomie était de 44.4% en 2017 (Zhang et al, 2018).

Enfin, dans le cas des pays très peu industrialisés ou considérés comme très pauvres à l’instar de certains pays d’Afrique, les quelques chiffres disponibles montrent que leurs taux d’épisiotomie semblent afficher une tendance haussière (Clesse et al., 2018a). En dépit des fortes diminutions affichées dans certains pays d’Europe du Nord, aux Etats-Unis, dans certains pays anglo-saxons et/ou européens, la pratique de l’épisiotomie reste donc encore aujourd’hui très largement répandue dans le monde et notamment dans les zones à forte densité de population comme l’Asie. Son incidence populationnelle est donc très importante et elle dépasserait très certainement plusieurs dizaines de millions d’actes par an sachant que chaque année environ 140 millions de naissances ont lieu dans le monde.

L’épisiotomie en France : spécificités et données quantitatives

Alors que l’actualité épidémiologique de l’épisiotomie est traversée par différents courant dans le monde, il est utile de regarder comparativement l’évolution prise par les taux d’épisiotomie en France. Les premières données disponibles datent de 1981 et la France à cette époque avait un taux d’épisiotomie de 38.4% (Rumeau-Rouquette, 1984). Tel que nous l’avons relaté précédemment, la France a suivi un peu plus tardivement la voie tracée par les pays

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saxons et a connu une augmentation du nombre d’épisiotomies au cours des années 80 (Clesse et al., 2016). Les taux d’épisiotomie sont donc passés très rapidement à un taux de 56% des accouchements en 1984 (Venditelli et al., 2012 ; Clesse et al., 2016)17 F

18 et ce dernier est resté globalement le même jusqu’à ce que les taux d’épisiotomie français les plus hauts soient atteints en 1996/1997 avec 58.4% des accouchement impliquant 78.9% des primipares et 41.5% des multipares (Venditelli et Gallot, 2006 ; Clesse et al., 2016). Pourtant, à partir de cette même année qui est caractérisée par la parution des recommandations de l’O.M.S. en matière d’épisiotomie (WHO, 1996), une inflexion de 4% apparait et s’est poursuivie jusqu’en 1998/1999, engageant ensuite le début d’un déclin durable du nombre d’épisiotomies en France (Venditelli et Gallot, 2006 ; Blondel et al., 2012 ; Clesse et al., 2016). Cette diminution s’est ensuite poursuivie pour atteindre un taux proche de 41% en 2004/2005 (date de parution des R.P.C. du CNGOF) ce qui souligne une diminution de la pratique de l’épisiotomie en France de 17% en sept ans (Azuar et al., 2013 ; Clesse et al., 2016). Enfin, le déclin du nombre d’épisiotomie s’est poursuivi pour s’établir aux alentours de 2013 autour d’un indice compris entre 30 et 32% des accouchements (Clesse et al., 2016).

Aujourd’hui, les dernières études publiées montrent que la diminution du nombre d’épisiotomie est toujours effective avec un taux estimé par l’enquête périnatale de Blondel et al (2017a) de 20.1% d’épisiotomie en 2016 (N= 13384). Il est vraisemblable que ces taux soient surestimés car l’étude basée sur les données du PMSI (N ≈ 800 000) montrait que le taux d’épisiotomie était plutôt de 19.9% en 2014 (Goueslard et al., 2018), cela même si nous savons que la cotation de l’épisiotomie en cas d’extraction instrumentale n’est pas toujours systématique au sein du P.M.S.I. Notons enfin que la prévalence de l’épisiotomie chez les patientes primipares est toujours actuelle avec un taux estimé de 34.9% comparé à une prévalence de l’incision du périnée chez les multipares de l’ordre de 9.8% (Blondel et al., 2016). Enfin, en dépit de ce constat, de nombreux auteurs à l’instar de Venditelli et Gallot (2006) insistent sur le fait que les données nationales masquent souvent les disparités territoriales liées à la pratique de l’épisiotomie (Clesse et al., 2016). C’est ainsi que l’étude de Goueslard et al (2018) montre que malgré une baisse de l’ordre de 25 à 75% entre 2007 et 2014, les taux d’épisiotomie oscillent au niveau départemental entre 4.0% et 39.9% (Ibid.). Ces inégalités territoriales dépendent de nombreux facteurs comme la formation professionnelle, l’impulsion de politiques de soins spécifiques et d’initiatives individuelles... Pour conclure, malgré une

18 Cette forte augmentation est soit le reflet d’une adoption très rapide des positionnements prophylactiques concernant l’épisiotomie au cours des années 80 soit le reflet d’une sous-estimation de l’étude de Rumeau-Rouquette (1984) ou l’association de ces deux hypothèses.

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baisse très marquée, l’épisiotomie reste une pratique courante dans de nombreuses maternités françaises et, elle concerne encore environ 200 000 naissances par an en France ce qui souligne sa grande incidence populationnelle.