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Quel devenir pour l’épisiotomie au début du XXIème siècle : du consensus scientifique à la rationalisation de la pratique de l’épisiotomie dans le monde scientifique à la rationalisation de la pratique de l’épisiotomie dans le monde

1.2. Terminologie, classification et évolution de la pratique de l’épisiotomie dans le monde dans le monde

1.2.3. Quel devenir pour l’épisiotomie au début du XXIème siècle : du consensus scientifique à la rationalisation de la pratique de l’épisiotomie dans le monde scientifique à la rationalisation de la pratique de l’épisiotomie dans le monde

Après avoir parcouru l’évolution prise par la pratique de l’épisiotomie de son apparition jusqu’à la fin des années 90, il nous semble important d’exposer les derniers positionnements faisant aujourd’hui consensus dans la communauté scientifique la matière. Pour ce faire, nous présentons dans un premier temps le consensus scientifique portant sur l’épisiotomie depuis plus d’une vingtaine d’année. Puis, nous montrerons comment ce consensus s’est ensuite diffusé à la communauté professionnelle en rappelant le rôle pris par les sociétés savantes au travers de la diffusion de recommandations de pratique clinique et dans la formation des futurs professionnels. Enfin, nous présenterons les dernières réflexions portant sur les conséquences de la réduction de la pratique de l’épisiotomie dans le monde et notamment les questionnements portant sur l’augmentation récente du nombre de déchirures périnéales sévères.

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L’établissement d’un consensus scientifique en défaveur de l’épisiotomie prophylactique dans le monde à partir de 1996

A partir de 1996, le débat entourant la question de l’épisiotomie est sorti de la sphère scientifique pour être saisi par d’autres instances plus politiques telles que l’Organisation Mondiale de la Santé. Dans la parution de son guide pratique s’appuyant sur 3 études randomisées dont celle de Sleep et al (1984) l’OMS a clairement remis en cause la fiabilité de l’utilisation systématique de l’épisiotomie en proposant une indication restreignant son usage à moins de 10% des accouchements, bien que cet indicateur soit absent des toutes dernières recommandations (WHO, 1996 ; WHO, 2018 ; Liljestrand 2003). Dans la foulée, l’accumulation d’études randomisées a pu permettre la publication d’une première méta-analyse Cochrane en 1999 (Carroli et Belizan 1999). Cette dernière avait pour but de comparer la pratique systématique de l’épisiotomie (l’incidence de l’épisiotomie était dans ce groupe de 78% des accouchements) et la pratique restrictive de l’épisiotomie (Incidence de l’épisiotomie 28% des accouchements). Les auteurs ont conclu qu’il n’y avait aucune différence au niveau des traumatismes périnéaux sévères, de l’incontinence urinaire et des dyspareunies entre les deux groupes. Le groupe restrictif était quant à lui moins sujet à des traumatismes périnéaux, à des complications de santé et à l’utilisation de points de suture, mais plus enclin à connaitre des lésions périnéales antérieures. Les auteurs ont donc recommandé un usage restrictif de l’épisiotomie qui s’est vu confirmé avec la parution d’une seconde méta-analyse en 2009 (Carroli and Mignini 2009).

Les conclusions de ces deux méta-analyses Cochrane ne sont pas isolées et elles rejoignent la revue systématique de littérature menée par Hartmann en 2005 (Hartmann et al., 2005). Les auteurs ont encore une fois souligné l’absence de bénéfices liés à la pratique de l’épisiotomie mais aussi la prévalence à court terme de douleurs et de déchirures entrainant une forte utilisation d’antalgiques. Ces éléments firent tomber le dernier argument prophylactique affirmant qu’une incision nette induite par une épisiotomie était moins contraignante qu’une déchirure. A l’aube des années 2000, un consensus considérant l'épisiotomie de routine comme le résultat d'un passé obsolète s’est établi au sein de la communauté scientifique (Klein 1995, Klein, 2010). Bien malheureusement, malgré l’établissement d’un consensus scientifique en défaveur de l’épisiotomie systématique et visant une utilisation restreinte de son usage, ce consensus ne s’est pas largement diffusé à la communauté de praticiens immédiatement. Ce processus appelé ‘‘Changing practice’’ par Graham (1997) a donc utilisé des canaux de diffusion que nous allons présenter dans le point suivant.

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De la remise en question des pratiques au changement des pratiques professionnelles : facteurs et freins contemporains

A la fin des années 90, le mouvement (débuté dans les pays anglo-saxons au début des années 80) contestant l’utilisation de l’épisiotomie de routine s’est finalement diffusé à l’ensemble des pays européens et des autres pays occidentalisés (Clesse et al., 2018d). Malgré une influence des données de la littérature scientifique sur les pratiques ayant entrainé une diminution notable de la pratique de l’épisiotomie (Clesse et al., 2016 ; Clesse et al., 2018d), leurs conclusions ne se sont pas diffusées spontanément auprès des professionnels de terrain. Il semblerait qu’elles se soient heurtées au savoir expérientiel des obstétriciens, aux habitudes institutionnelles et à de nombreux autres facteurs que Graham a pu explorer dans ces travaux portant sur le ‘‘changing practice’’ (Graham, 1998).

Afin de lever ces barrières, et comme l’épisiotomie est une pratique très ‘‘opérateur-dépendante’’ (CNGOF, 2005 ; Jacquetin, 2006), des canaux ont été employés par les partisans d’une réduction de l’incision du périnée. La diminution du taux d’épisiotomie a d’une part été visée par le lobbying actif assuré par de nombreuses associations et prises de paroles individuelles (associations de parents, associations féministes…) à l’instar du CIANE en France (CIANE, 2006 ; 2013). Ces collectifs farouchement opposé à l’épisiotomie de routine ont exercé partout dans le monde une pression continue à différents niveaux (supranational, national, institutionnel…) visant à alerter à la fois les autorités politiques et les populations concernées. Ces associations se sont également engagées dans un rapport de force dialectique vis-à-vis des sociétés savantes et des institutions opérant dans le domaine obstétrique sur le décalage possible existant entre les éléments proposés par la littérature scientifique et le réel du terrain à la fin des années 90 et au début des années 2000.

En France ce rapport de force s’est organisé entre 2004 et 2006 impliquant alors la HAS, le CNGOF et notamment le Pr Dreyfus, et enfin le CIANE, constitué en un interlocuteur regroupant de nombreuses associations périnatales (CIANE, 2004 ; CIANE, 2005 ; CIANE, 2005 ; Jacquetin, 2006). Sur ce point, il est important de préciser que les sociétés savantes se sont elles aussi auto-saisies pour certaines de la problématique de l’épisiotomie de routine. Le lobbying associatif n’est donc pas l’unique facteur d’implication des organismes professionnels possédant d’autres canaux de fonctionnements spécifiques. C’est ainsi que de nombreuses sociétés savantes ont publié entre la fin des années 90 et le début des années 2000 de nombreuses recommandations de pratique clinique dont le positionnement était en défaveur de l’épisiotomie de routine (Graham, 2005 ; Lappen and Gosset, 2010 ; Clesse et al., 2016 ; Clesse

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et al., 2018d). L’influence de ces recommandations a parfois été évaluée et son effet sur la diminution de la pratique de l’épisiotomie a par ailleurs été commenté positivement par certains auteurs (Faruel-Fosse et Venditelli, 2006 ; Reinbold et al., 2012 ; Clesse et al., 2016) là où d’autres soulignent que l’impact des R.P.C. reste généralement faible et que la dynamique de changement semble bien souvent amorcée avant la publication des recommandations (Venditelli et al., 2012). Malgré ce constat, il est toutefois important de noter que la majorité de ces sociétés savantes est également impliquée dans la formation des futurs professionnels et dans la rédaction des manuels d’obstétrique, engageant de fait un changement des pratiques directement à la source de la constitution du savoir expérientiel et clinique.

A la suite de ces prises de positions réalisées au début des années 2000, nous avons pu voir l’apparition de nouvelles études cliniques au sein de la littérature scientifique relatant les effets de l’adoption d’une politique restrictive de la pratique de l’épisiotomie au sein de services ainsi que les conséquences de ces réductions pour les parturientes et/ou les professionnels (Marchisio et al., 2006 ; Fernandes et al., 2009 ; Lappen et Gosset, 2010 ; Azuar et al., 2013 ; Chehab et al., 2014). Ces travaux ayant pour but de rendre compte de l’effet de la mise en place de politiques restrictives de l’épisiotomie ont ensuite été suivis par la publications d’études épidémiologiques permettant d’évaluer la faisabilité et l’incidence de la réduction du nombre d’épisiotomie dans les maternités et notamment les facteurs de résistance entravant la baisse de son emploi et/ou les leviers de changements (Kozhimannil et al., 2017 ; Zhang-rutledge et al., 2017). Ces études ont permis démontrer la possibilité de l’implication pratique des recommandations, la faisabilité clinique et institutionnelle des politiques d’épisiotomie restrictives dans le monde, tout en offrant une grille de lecture visant une conduite du changement dans les services intéressés par une baisse du taux d’épisiotomie.

Impact et questionnements contemporains liés à la baisse des taux d’épisiotomie Pour finir, en dépit de la diffusion de l’ensemble de ces travaux encourageant la mise en place de politiques restrictives, un récent questionnement est apparu au sein de la littérature scientifique. Il porte sur l’augmentation des déchirures sévères au cours de ces dernières années (O.A.S.I.) et, les raisons de cette augmentation seraient supposées concomitantes à la baisse de la pratique de l’épisiotomie dans les pays développés (Dahlen et al., 2015 ; Blondel et al., 2016 ; Shmueli et al., 2017 ; Goueslard et al., 2018). Aujourd’hui, les conclusions des travaux publiés n’affichent pas un positionnement consensuel. Effectivement, contrairement au conclusions des méta-analyses de Carroli et Mignini (2009) ou encore Jiang et al (2017) basées sur des RCT,

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certains travaux épidémiologiques notent que la baisse du nombre d’épisiotomie dans les pays développés (à l’exception de la Suède et de la Norvège) est généralement accompagnée d’une augmentation des déchirures sévères (Blondel et al., 2016, Goueslard et al., 2018). En France, alors que le taux d’épisiotomie est passé de 26.7% en 2007 à 19.9% en 2014, le taux de déchirures sévères est passé de 0,4% en 2007 à 0.8% en 2014 ; sachant que sans épisiotomie il a évolué aux mêmes dates de 0.2% à 0.4% (Goueslard et al., 2018). Malgré tout, ce taux reste bien inférieur à celui des autres pays européens ce qui nécessitera une exploration approfondie pour en découvrir les causes (Goueslard et al., 2018).

Enfin, il est toutefois nécessaire de prendre ces suppositions avec précaution car les déchirures du 3ème et 4ème degré dépendent à la fois de nombreux facteurs comme la formation des professionnels et leurs habitudes cliniques, les protocoles de soin en vigueur, l’augmentation du poids des enfants à la naissance… et parfois, elles peuvent également survenir au cours de la réalisation d’une épisiotomie (Bick et al., 2012 ; Blondel et al., 2016). La multiplication récente de publications sur ce thème a tout de même pu prouver l’impact protecteur de l’épisiotomie médiolatérale (historiquement développées en Europe) ayant un angle d’incision d’au moins 60° pour les O.A.S.I. et le fait que l’épisiotomie médiane (historiquement développée en Amérique du Nord) est un facteur de risque (Blondel et al., 2016). Malgré tout, ce questionnement a amené certains praticiens et chercheurs à reconsidérer les arguments initialement établis en faveur des politiques restrictives de l’épisiotomie alors que d’autres comme Dahlen et al ont appelé la communauté scientifique à ne pas surréagir et ne pas infléchir les efforts en faveur d’une politique restrictive de l’épisiotomie (Dahlen et al., 2015 ; Blondel et al., 2016 ; Shmueli et al., 2017 ; Goueslard et al., 2018). De nombreuses perspectives de recherches futures portant sur l’impact des politiques restrictives de l’épisiotomie et ses éventuels liens avec les déchirures périnéales graves et la préservation du périnée sont donc attendues dans les années à venir.