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Chapitre 1 : Revue de littérature

1.4. Microstructures et propriétés du yogourt

1.4.3 Impact du procédé sur les microstructures des yogourts brassés et fermes

Les leviers du procédé technologique disponibles afin de modifier les microstructures du gel sont : (i) le traitement thermique du lait (temps, température d’application); (ii) l’homogénéisation (pression appliquée); (iii) la fermentation (vitesses d’acidification, température, microorganisme utilisé) et (iv) le pH d’arrêt de la fermentation. Le Tableau 1.5 présente l’effet des principaux leviers technologiques sur les propriétés des gels de yogourt observé dans la littérature.

Figure 1.15 : Propriétés de texture de yogourts formulés à 12 % de solides totaux à partir de poudre de lait écrémé (Ctrl) et 1% de protéines de lactosérum ajoutées sous forme de concentré (CPL),

d’isolat (IPL), ou d’hydrolysat (PLH) de protéines de lactosérum. Adaptée de Delikanli et Ozcan (2014).

Durant la fermentation, il est possible de suivre l’acidification du lait du gel par un suivi du pH ou la formation du gel par mesure rhéologique continue du comportement du gel aux petites déformations (Shaker, Jumah et coll. 2000). Il existe trois indices principaux pour caractériser la viscoélasticité d’un gel (Kutz 2007): (i) le module élastique (ou de conservation) G’ qui mesure le comportement « solide » du gel; (ii) le module visqueux (ou de perte) G’’ qui mesure le comportement « liquide » du gel et (iii) le facteur de dissipation tan δ (=(G’’/G’)) qui établit le rapport entre les propriétés élastique et visqueuse du gel. Tan δ tend vers 0 lorsque la part solide du gel augmente. Lorsque tan δ est proche de 0 mais augmente soudainement, cela signifie que les interactions moléculaires qui définissent le gel commencent à s’affaiblir. La mesure des modules élastique et visqueux du système est utilisée pour détecter la formation du gel. Quand le gel commence à se former, les interactions protéines-protéines s’intensifient augmentant le module élastique (G’). Lorsque la majorité du calcium est solubilisé, les interactions hydrophobes prévalent pour maintenir le gel, or ces interactions sont faibles. La dénaturation associée à la pasteurisation permet une gélification à pH plus élevé (~5,3 au lieu de ~4,8), car les WP ont un pHi plus élevé que les CN (Lucey, Munro et coll. 1999; Shaker, Jumah et coll. 2000; Schorsch, Wilkins et coll. 2001; Vasbinder et de Kruif 2003; Soukoulis, Panagiotidis et coll. 2007; Krzeminski, Großhable et coll. 2011) (Figure 1.16 ). Dans le lait traité thermiquement, tan δ décroit au début de l’acidification avec l’initiation de la gélification par la formation de liens WP-WP autour de pH 5,3. Puis, la solubilisation des CCP des micelles de caséines entraine le relâchement du faible réseau protéique initial correspondant à une augmentation de tan δ. Cela indique que les interactions moléculaires dans le gel ont tendance à se relaxer ou se briser (McSweeney et O'Mahony. 2015). Ensuite, le pH continue à descendre et s’approche du pHi des caséines et les interactions électrostatiques (protéine-protéine) deviennent dominantes, se traduisant par l’abaissement progressif du tan δ vers des valeurs proches de 0 (Shaker, Jumah et coll. 2000; McSweeney et O'Mahony. 2015) (Figure 1.16). La gélification autour de pH 5,3 permettrait des réarrangements plus homogènes des protéines dans le gel, diminuant la taille des pores, la synérèse, et améliorant l’élasticité du gel (Lucey et Singh. 1998). Ce pic de tan δ n’est pas observé dans les laits non traités thermiquement, car le début de gélification survient à pH beaucoup plus faible (< pH 5,2) lorsque la majeure partie des changements physico- chimiques des micelles de CN à pH acide sont déjà terminés (McSweeney et O'Mahony. 2015).

Les propriétés viscoélastiques finales du gel de yogourt sont aussi contrôlées par la vitesse d’acidification, qui elle-même dépend du développement bactérien durant la fermentation. Il est nécessaire de ne pas atteindre le pHi des caséines trop rapidement pour laisser le temps au réseau caséique de se former, une coagulation trop rapide créé beaucoup d’hétérogénéité dans le réseau (Vasbinder, Alting et coll. 2003). Avec une diminution de pH trop rapide, les micelles ne perdent pas leur structure, le réseau de WP dénaturées n’a pas le temps de se former et le gel obtenu est faible et poreux. À l’inverse, avec une diminution de pH trop lente, le niveau de dissociation des micelles de CN est trop prononcé (Peng, Horne et coll. 2009). La vitesse d’acidification peut

être modulée en ajustant le taux d’inoculation. Cela permet de contrôler les temps de fermentation nécessaires pour atteindre un pH de 4,6 (Lee et Lucey 2004). Cependant, de récents travaux ont montré qu’un écart de 2 h de fermentation modifie peu les propriétés de yogourts brassés (Lussier 2017).

Figure 1.16 : Effet du traitement thermique et de la température de gélification sur les propriétés rhéologiques des gels laitiers acides au cours du temps 1,3 % (poids/poids) de (GDL). Température d’incubation à 30°C (a) et à 40°C (b) - Lait non pasteurisé (¢) - Lait pasteurisé à 80 °C

pendant 30 min avant l'addition de GDL (l) - Module élastique (ou de conservation) (G') ( ) - Facteur de dissipation (tan δ) (...). Adaptée de Lucey et Singh (1998)

Temps après ajout de GDL (ks)

pH = 5,20 Temps = 7,3 ks

pH = 4,84 Temps = 22,3 ks

Tableau 1.5 : Résumé des effets de différentes étapes du procédé sur les propriétés des gels de yogourt.

Facteur de variation dans le

procédé Variable à l’étude Conditions de mesure Gel acide Plage étudiée Résultats Unité Référence bibliographique

TT du lait

synérèse

1 × g, 16 h, 35◦C GDL 30 min à 83 °C vs 93°C 14 vs 16,1

%

Lucey, Munro et coll. (1998b) 5031 × g, 20 MIN, 25°C YB 95 °C/256 s vs 130 °C/80 s 71,9 vs 74,3 Küçükçetin (2008a) 0,1-200 m.s-2, 10 min, 10 °C YB 70 °C vs 90°C 51,2 vs 36 Cayot, Fairise et coll. (2003) 483 × g, 10 min, 20◦C YB 95 °C/1 min vs 95 °C/5 min 11 vs 9 Remeuf, Mohammed et coll. (2003) 13500 × g, 30 min, 10◦C YB UHT vs 90°C/10 min 82,4 vs 80,8 Mottar, Bassier et coll. (1989) 1 × g, 120 min, NR YF 80 °C : 30 s vs 30 min 53 vs 40 Augustin, Cheng et coll. (1999) 1 × g, 180 min, 10◦C YF 75 °C/2 min vs 85°C/5 min 58 vs 41 Dannenberg et Kessler (1988)

taille particule

DL (d90) YB non TT vs 95 °C/4 min 31,1 vs 46,1 µm Cayot, Schenker et coll. (2008) analyse d'image YB 95°C/256 s vs 131 °C/80s 3,6 vs 1,3 mm Küçükçetin (2008a)

DL (d50) YB 75 °C/5 min vs 95 °C/5 min 225 vs 650 µm Jørgensen, Abrahamsen et coll. (2015) Analyse d'image

(Nb de grain / g > 1 mm) YB 95 °C : 1 min vs 5 min 5 vs 10 Remeuf, Mohammed et coll. (2003) viscosité (10 s-1) 10 s-1, 3 min, 10 °C YB 95 °C : 1 vs 5 min 2 vs 1 Pa.s Remeuf, Mohammed et coll.

(2003) viscosité (100 s-1)

468 s-1, NR, 7◦C YB UHT vs 90°C/10 min 0,097 vs 0,156

Pa.s Mottar, Bassier et coll. (1989) 4-115◦C, NR, 10◦C YB 98 °C/1 min vs 85°C/10 min 0,21 vs 0,35 Parnell-Clunies, Kakuda et coll. (1986) viscosité (50 s-1) 0,04-50 s-1, 8°C YB non TT vs 95 °C/4 min 31,1 vs 46,1 Pa.s Cayot, Schenker et coll. (2008)

viscosité complexe

0,14 Pa, 1 Hz, 10°C YB 95 °C: 1 vs 5 min 12 vs 40 Pa.s

Remeuf, Mohammed et coll. (2003)

<1%, 0,1 Hz, 30◦C YF non TT vs 80°C, 30 min 57 vs 517 Cho, Lucey et coll. (1999) <1%, 0,1 Hz, 30◦C YF 30 min à 75 vs 90°C 85 vs 795 Lucey, Munro et coll. (1998a) <1%, 0,1 Hz, 30◦C YF 75°C/15 min vs 85°C/30 min 33 vs 756 Lucey, Teo et coll. (1997) 1%, 0,1 Hz, 30◦C YF non TT vs 85°C, 30 min < 31 vs 640 Lucey, Munro et coll. (1998a)

Traitement haute pression du lait

synérèse

5000 × g, 20 min, 20°C YB 0 vs 300 MPa 58 vs 47

%

Serra, Trujillo et coll. (2009) 5000 × g, 20 min, 20°C YF 0 vs 300 MPa 55 vs 38 Serra, Trujillo et coll. (2009) NR, 15 min, 10◦C YF 20 vs 60 Mpa 40 vs 24 Balasubramanyam et Kulkarni (1991) viscosité complexe strain 0,01, 0,1Hz,4 °C YB 0 vs 300 MPa 259,93 vs 399,6 Pa.s Serra, Trujillo et coll. (2009)

strain 0,01, 0,1Hz,4 °C YF 0 vs 300 MPa 2152,3 vs 1496,5 Serra, Trujillo et coll. (2009) Température de fermentation synérèse

1000 × g, 20 min, 20◦C YB 32 vs 45 °C 15 vs 38

%

van Marle (1998)

1 × g, NR, NR YF 40 vs 45,7 °C 24 vs 2,34 Lee et Lucey (2004)

611 × g, 10 min, 8°C YF 32 vs 45 °C 5 vs 38 Schellhaass et Morris (1985)

0,1-100s-1, 5°C YF 35 vs 40°C 3,2 vs 3 Pa.s Wu, Li et coll. (2009)

viscosité (100 s-1)

3-98 s-1, 1 min, 5◦C YB 45 vs 32 °C 1,65 vs 1,88

Pa.s

van Marle (1998)

29-921 s-1, 2,7 min, 5◦C YB 32 vs 43 °C 0,47 vs 0,65 Skriver, Roemer et coll. (1993)

10-250 s−1, 6 min, 8◦C YF 32 vs 45 0,08 vs 0,2 Schellhaass et Morris (1985)

viscosité complexe 0,5%, 1 rad.s-1 , 5◦C YF 37 vs 43 °C 120 vs 45 Pa.s Haque, Richardson et coll. (2001)

pH du yogourt synérèse

1290 × g, 20 min, 20◦C GDL 5,35 vs 3,7 45 vs 16

% Aguilera et Kessler (1989) 1 × g, 60 min, 20◦C YB 4,5 vs 3,85 32,8 vs 35,1 Harwalkar et Kalab (1986) viscosité complexe 1,25%, 1 Hz, 44◦C YB 4,5 vs 4,25 18,4 vs 37,9 Pa.s Rönnegård et Dejmek (1993) Temps de fermentation synérèse 1 × g, NR, NR YF 260 vs 392 min 1,93 vs 1,69 % Lee et Lucey (2004)

1 × g, NR, 4◦C YF 250 vs 500 min 3,41 vs 5,54 Peng, Horne et coll. (2009) Pré-acidification du lait synérèse 1 × g, NR, 4◦C YF 5,65 vs 6,55 6,06 vs 5,05 % Peng, Horne et coll. (2009)

Cisaillement du gel

synérèse

1000 × g, 30 min, 20◦C YB

Intensité faible vs Intensité forte 37 vs 20 %

van Marle (1998)

500 × g, 20 min, 4°C YB Lissage : 0 vs 4 bar 26 vs 34 Zhang, Folkenberg et coll. (2016) 210 × g, 20 min, 4°C YB EC tubulaire vs EC à plaque 12 vs 6 Lussier (2017)

taille particule DL (d90) YB Débit : 9,82 vs 98,2 ml/min 483 vs 46,1 µm Cayot, Schenker et coll. (2008) DL (second pic) YB Lissage : 0 vs 4 bar >50 vs <50 Zhang, Folkenberg et coll. (2016)

viscosité (100 s-1)

18 s-1, 10◦C YB Durée : 3 s vs 10 min 2,7 vs 1,4

Pa.s

Benezech et Maingonnat (1993) 280 s-1, 10◦C YB Durée : 3 s vs 10 min 0,33 vs 0,08 Benezech et Maingonnat (1993)

0,03 s-1, 5◦C YB Durée : 15 s vs 20 min 567 vs 153 van Marle (1998)

398 s-1, 5◦C YB Durée : 1 s vs 20 min 0,69 vs 0,13 van Marle (1998)

0,1-1000 s-1, 13°C YB Lissage : 0 vs 4 bar 0,040 vs 0,055 Zhang, Folkenberg et coll. (2016)

viscosité (50 s-1) 0,04-50 s-1, 8°C YB Débit :9,82 vs 98,2 ml/min 0,6 vs 0,6 Pa.s Cayot, Schenker et coll. (2008)

vs= versus, NR=Non référencé, YF=Yogourt ferme, YB= Yogourt brassé, GDL= gel obtenu par acidification à la GDL, DL=Diffraction laser, Nb= Nombre, TT= traitement thermique, EC= Échangeur de chaleur FL= Fraction de lactosérum. Adapté de Sodini, Remeuf et coll. (2004)

Lors de l’entreposage du yogourt, il peut se produire une post-acidification. Le ferment ne se développe plus en dessous de 10 °C, mais il continue son métabolisme fermentaire (Chandan et O ’ Rell 2013). Le pH du yogourt continue de diminuer de quelques dixièmes d’unité renforçant le gel. Il s’agit d’un paramètre important à prendre en compte pour la qualité finale du produit, car, même faible, cette variation de pH peut être perçue par le consommateur, augmentant le caractère acide du produit. De plus, la post-acidification peut aussi être à l’origine de synérèse spontanée durant l’entreposage comme expliqué à la section 1.4.1.

De nombreuses modifications du procédé de fabrication (pré-fermentaires ou fermentaires) et de la formulation du yogourt ferme ont été proposées pour améliorer les propriétés physiques (rhéologie, rétentions d’eau, …) du produit. Pourtant une question subsiste encore : les modifications apportées sur le gel ferme influent-elles la qualité du yogourt brassé ? La section suivante présente l’effet du brassage et du lissage sur les propriétés des yogourts brassés.

1.4.4 Effet des procédés de brassage et lissage : construction d’une nouvelle