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L’imaginaire de la machine : l’instabilité du rapport nature-artifice On connaît assez bien la nouvelle l’interprétation de la nature qui se forge au XVII e

Chapitre 2 : Le mécanisme moderne comme vision technique de l’homme

I.2.3. L’imaginaire de la machine : l’instabilité du rapport nature-artifice On connaît assez bien la nouvelle l’interprétation de la nature qui se forge au XVII e

siècle. Kepler nous donne une formulation claire de ce basculement en évoquant ses propres croyances :

« Autrefois, en effet, je croyais absolument que la cause qui meut les planètes était une âme, parce que j’étais imbu des opinions de J. C. Scaliger au sujet des Intelligences motrices. Mais lorsque j’ai réfléchi que cette cause motrice s’affaiblissait avec la distance et que la lumière du Soleil aussi s’atténuait en s’éloignant su soleil, j’en ai vins à conclure que cette force était quelque chose de corporel, sinon au sens propre, au moins d’une manière équivoque, tout comme nous disons que la lumière est quelque chose de corporel, c'est-à-dire une species qui provient d’un corps, mais qui est immatérielle. »67

El plus tard, dans une lettre à Herwart von Hohenburg, il précise sa nouvelle perspective sur l’univers :

« Mon but est d’exposer que la machine céleste n’est pas un animal divin, mais comme une horloge… dans laquelle presque toute la variété de mouvements est dérivée d’une très simple force magnétique corporelle, tout comme dans une horloge tous les mouvements sont issus d’un très simple poids »68

Nous avons déjà brièvement analysé quelques éléments de la science mécanique qui assimile la nature à une machine. Ce que nous voulons interroger maintenant, c’est le sens même de la machine qui sert ici de modèle, plus encore, de miroir à partir duquel s’établira un complexe jeu de ressemblances et de glissements de significations entre le naturel et l’artificiel.

Penser l’univers comme une horloge paraît être une intuition assez justifiée dans le cadre du mécanicisme décrit plus haut. Kepler le confirme en nous rappelant que dans

67 J. Kepler, Prodomus Dissertationum cosmographicarum seu Mysterium cosmographicum (1596). Pour l’édition française : Jean Kepler, Le secret du monde, traduction et notes d’Alain Segonds, Paris, Gallimard, 1984, p. 172.

68J. Kepler, lettre à Herwart von Hohenburg, 26 mars 1598, cité par Jacques Lambert, « Le livre de la Nature chez Galilée et Képler », in Philosophies et sciences, Annales de l’institut de philosophie et de science morales, Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, 1986, p. 56.

l’univers, de la même façon que dans l’horloge, tout peut être ramené aux lois du mouvement. Néanmoins, le rapprochement qui s’opère entre la nature et la machine sera aussi possible grâce au modèle de l’artifice qui est en jeu dans cette comparaison.

L’horloge est le modèle de machine qui fonctionne automatiquement, dont le mouvement persiste et se régule de son intérieur, en fonction du seul assemblage de ses ressorts.

Machine qui se meut toute seule, l’horloge instaure en plus un rythme mécanique autonome, un rythme proprement technique. Son fonctionnement est le résultat de l’ordre et de la précision de ses parties en même temps qu’ordre et précision émergent d’elle comme images du devenir. L’horloge représente ainsi la maîtrise du temps, car elle finit par assimiler la substance informe du devenir aux paramètres du calcul de l’artifice censé le mesurer. L’horloge représente, à cette époque, l’objet technique paradigmatique, celui qui concrétise l’intuition d’une nature artificielle et automatique.

Mais, cette capacité de mouvement autonome n’était-elle pas déjà présente dans

« l’âme » de Scaliger que mentionne Kepler ou dans la conception de la nature aristotélicienne comme organisme vivant ? Où se trouve la nouveauté dans l’introduction de l’image de l’horloge ? Autrement dit, quelle différence existe-t-il entre une nature qui se meut toute seule comme un être vivant et une nature qui se meut toute seule comme un artifice automatique ? La réponse à cette question semble déjà contenue dans formulation même de la question : si l’une des conceptions prend pour modèle d’interprétation l’organisme, l’autre prend pour modèle un objet artificiel. Toutefois, cette réponse est équivoque et n’atteint pas la spécificité de la conception moderne. Comme nous le montrerons tout de suite, ce qui distingue l’interprétation moderne de la nature n’est pas uniquement l’image (la machine) qui sert à l’expliquer, mais surtout la démarche d’effacement de toutes les frontières concernant le domaine naturel et artificiel. L’automate est, à cet égard, l’artifice par lequel se révèleront les « ambiguïtés constitutives » de la

technicité moderne et qui seront des sources d’interrogation pour l’homme. Voyons les choses de plus près.

Étymologiquement, le mot « automate » dérive du verbe grec auto-matizô qui signifie faire quelque chose de son propre mouvement. Le Dictionnaire de philosophie des sciences nous fournit quelques exemples de son usage : « Homère l’emploie pour désigner les portes de l’Olympe qui se meuvent “seules” (Iliade, V, 749) et les trépieds d’Héphaïstos qui s’agitent d’eux-mêmes (Iliade, XVIII, 376) »69. Dans le monde ancien, cette capacité de certains objets techniques à se mouvoir d’eux-mêmes éveille l’admiration et la surprise, condition qui appartient en grande mesure à toute machine (mekane). En effet, la machine incarne une ruse de la nature : Aristote dira qu’elle permet « au plus petit de dominer le plus grand »70, c'est-à-dire de contraindre les forces naturelles à agir en notre faveur lors même qu’elles nous dépassent ou s’opposent à nous. Par exemple, déplacer des poids à l’aide d’artifices qui utilisent de petites forces, comme c’est le cas dans les poulies.

Tout mekane peut être à cet égard motif d’étonnement, car il renverse une situation défavorable en aiguisant l’ingéniosité, ce qu’on peut voir clairement aussi dans les artifices de la guerre et de la rhétorique. Mais le cas extrême de l’étonnement que peut produire une machine se trouve dans l’automate, artifices de caractère presque magique ; ils sont « de véritables paradoxes mécaniques en ce qu’ils paraissaient produire de mouvements contraires aux lois de la pesanteur ou contre nature, en dépit de l’inertie des corps »71. C’est pour cette raison qu’Espinas rapproche aussi étymologiquement les mots grecs αυτοµατον et ϑαυµατον, automate et merveilleux72. Quoi qu’il en soit, ce qui nous

69 Entrée « Automate », Dictionnaire d’histoire et philosophie des sciences, sous la direction de Dominique Lecourt, Paris, PUF, 1999, p. 82.

70 Ibid.

71 A. Espinas « L’organisation ou la machine vivante en Grèce au IVe siècle avant J.C » in Revue de métaphysique et de morale, tome XI, janvier 1903, p. 705.

72 Le caractère merveilleux de la mécanique est souligné dans plusieurs traités d’inspiration aristotélicienne, comme celui de Bernardino Baldi, In mechanica Aristotelis problemata exercitationes : « La Meccanica è una disciplina che, servendosi della materia naturale e di dimostrazioni geometriche tratte dalla centrobarica e delle speculazioni relative alla leva e alla billancia, provvedendo a cio che è necessario e utile all’uomo,

intéresse ici, c’est la nature de l’étonnement qu’abrite l’automate et qui se trouve déjà présent dans le regard que l’antiquité portait sur ces artifices. Or, ce qui surprend dans l’automate, c’est cette confusion entre l’inerte et le vivant, entre ce qui relève de l’artifice tout en adoptant le comportement de l’organique. Le caractère prodigieux de l’automate commence ainsi par ce pont mystérieux qu’il lance entre ces deux extrêmes, apparemment irréconciliables, de la nature des êtres.

Domaine de glissements de significations entre le vivant et l’inerte, l’automate est aussi le lieu où se brouille la frontière entre la nécessité et l’autonomie. En effet, l’automate place chacune de ses parties sous une nécessité contraignante qui les oblige à suivre un cours d’action déterminé. C’est la raison pour laquelle un automate, même la plus simple horloge, peut être aussi conçu comme un programme permettant de contrôler l’avenir, comme lorsqu’on programme la sonnerie d’une montre. Le résultat de cette nécessité contraignante constitue curieusement en même temps, l’autonomie du système mécanique, autonomie qui dépend toutefois de l’impulsion initiale qui met l’artifice en mouvement et, plus fondamentalement, le créateur de l’artifice. J-C Beaune fait écho à cette double caractéristique de l’automate en révélant le va-et-vient entre la création divine et ce qui rappelle le travail « à la chaîne » ; entre ce qui relève de la contingence et de la mécanicité obligeante. Il dira :

« Machine par excès, l’automate “laisse à penser” : sa facticité déclarée et inscrite dans sa “nature”

relativise le mécanisme outrancier et enjoint de rapporter celui-ci à un au-delà vital, de rapporter la physique et la physiologie à la métaphysique. Machine “par défaut”, l’automate fait penser, car son artificialité l’a condamné à la simplicité »73.

L’automate est à la fois une machine par excès et par défaut dans la mesure où son action rejoint l’imaginaire de l’animation vitale tout en le confinant à la pure régularité de ses mécanismes. Évocation de la vie, il est en même temps simplification du vivant.

assecondando, o superando, con la propia forza la natura stessa, ottiene risultati diversi e addirittura meravigliosi » B. Baldi, In mechanica Aristotelis problemata exercitationes (1621), Editione a cura di Elio Neci, Milano, Francoangeli, 2010, volume I, p. 71.

73 J.-C. Beaune, L’automate et ses mobiles, Paris, Flammarion, 1980, p. 171.

Beaune a raison à cet égard de nous rappeler que l’automate relie la physique et la physiologie à la métaphysique, spécialement à l’âge classique, époque à laquelle l’idée d’automatisme servira à expliquer la connexion entre le corps et l’âme (l’exemple le plus paradigmatique est sans doute la philosophie de Descartes), mais aussi à construire une métaphysique de la nature comme chez Leibniz. 74

Mais l’automate comme machine paradigmatique de l’époque classique s’inscrit dans un processus plus vaste de revalorisation des arts mécaniques et « d’artificialisation » du regard sur le monde qui a déjà commencé à la Renaissance. Pendant cette période, on redécouvre le caractère merveilleux des artifices et l’on cultive spécialement sa production comme en témoigne l’immense variété des machines et automates qui verront le jour à cette époque. Ce penchant artificialiste et productiviste, qui profite de plus en plus des échanges avec le savoir scientifique, se consolidera aussi comme interprétation plus générale de la nature et de la société. On connaît bien la comparaison établie par Fontenelle dans ses Entretiens sur la pluralité des mondes entre la nature et une scène de théâtre :

« Sur cela je me figure toujours que la nature est un grand spectacle qui ressemble à celui de l'opéra.

Du lieu où vous êtes à l'opéra, vous ne voyez pas le théâtre tout à fait comme il est ; on a disposé les décorations et les machines, pour faire de loin un effet agréable, et on cache à votre vue ces roues et ces contrepoids qui font tous les mouvements. […] Mais ce qui, à l'égard des philosophes, augmente la difficulté, c'est que dans les machines que la nature présente à nos yeux, les cordes sont parfaitement bien cachées, et elles le sont si bien qu'on a été longtemps à deviner ce qui causait les mouvements de l'univers »75.

Ce texte de Fontenelle souligne une caractéristique importante qui enveloppe la notion d’automate : ils sont tous constitués de mécanismes cachés. La nature aussi a une sorte d’intériorité technique qui peut éveiller de merveilleux effets de surface pour qui concentre son regard sur la « scène ». Mais derrière cette scène pleine d’événements,

74 « Le corps appartenant à une Monade, qui en est l’Entéléchie ou l’Âme, constitue avec l’entéléchie ce qu’on peut appeler un vivant, et avec l’âme ce qu’on peut appeler un animal […] Ainsi chaque corps organique d’un vivant est une espèce de machine divine, ou d’un automate naturel, qui surpasse infiniment tous les automates artificiels » G. Leibniz, La Monadologie, édition d’Emile Boutroux, Paris, Librairie générale française, 1991, § 63-64, p. 161.

75 Bernard de Fontenelle, Entretiens sur la pluralité des mondes, Paris, Librairie de la Bibliothèque nationale, 1899, p. 24-25. Consultable sur la bibliothèque numérique Gallica http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5541349w

actions et personnages, il n’y a que des agencements élémentaires. L’automate réunit ainsi dans son image deux aspects de « l’artificialité » qu’il faudra distinguer et que la science cartésienne finira par réduire l’un à l’autre : d’un côté l’artificialité comme production somptueuse et, d’un autre côté, l’artificialité comme technicité simple. L’automate permet le passage de l’un à l’autre dans la mesure où nous pouvons démonter ses agencements. Le fait de pouvoir regarder dans son intérieur, comme si l’on passait derrière la scène, nous donne en plus la certitude fondamentale – inscrite dans la vision mécanique – que nous découvrons ce qui fait la réalité des choses. En ce sens, comme Cavaillé le remarquera,

« étudier la nature revient à découvrir par quels mécanismes dissimulés aux spectateurs sont produits les phénomènes qui forment les décors changeants et variés du monde »76.

C’est dans ce contexte artificialiste, où l’automate sert de « véhicule de brouillage de frontières », que Descartes opérera explicitement l’assimilation entre le naturel et l’artificiel. Comme il l’affirme dans le passage très connu des Principes, il n’existe point de différence entre les processus de la nature et un artifice qui réalise un programme préétabli comme c’est le cas d’une horloge, par exemple. Donner l’heure pour cet automate est aussi « naturel » que l’est la production de fruits pour un arbre77. Ces deux dynamiques tiennent à la même « naturalité » qui n’est autre que la « naturalité » des mécanismes simples qui agissent – comme nous l’avons vu – selon les lois du mouvement. Avec Descartes s’accomplit en effet l’effacement des frontières entre les naturalia et les artificialia déjà commencé à la Renaissance, mais d’une façon particulière. Les artificialia ne seront plus interprétés à l’aune de l’animisme général de la nature – ce qui leur donnait aux yeux du monde antique et de la Renaissance son caractère merveilleux –, mais ils

76 Jean-Pierre Cavaillé, Descartes, la fable du monde, Paris, J. Vrin, 1991, p. 16.

77 Descartes écrit : « Il est certain que toutes les règles des mécaniques appartiennent à la physique, en sorte que toutes les choses qui sont artificielles sont avec cela naturelles. Car, par exemple, lorsqu’une montre marque les heures, par le moyen des roues dont elle est faite ; cela ne lui est par moins naturel qu’il est à un arbre de produire ses fruits » Descartes, Principes de la philosophie, IV, 203, in Œuvres philosophiques, vol.

III, édition de F. Alquié, Paris, Bordas, 1989, p. 520. G. Canguilhem s’intéresse spécialement à ce passage dans son étude « Descartes et la technique » in IXe Congrès international de philosophie, vol. II, Paris, Herman, 1937, p. 77.

seront utilisés, en revanche, comme pierre de touche pour décrire la dynamique des naturalia. Il faut constater que la signification d’une nature « artificielle » annoncée par Descartes légitime le remplacement de son caractère merveilleux par sa transparence. La nature interprétée artificiellement est une nature qui n’a plus à nous surprendre, car les mécanismes qui habitent en elle sont à la fois simples et vrais. Plus encore, la réduction mécanique de la science cartésienne – ce regard qui interprète le monde comme un dispositif pleinement lisible grâce à ses enchaînements – supprime le mystère de la nature et des artifices. Si un artifice automatique peut toujours nous étonner, ce n’est pas à cause du mystère qui paraît lier cet objet inerte à la vie (car la vie elle-même peut être déchiffrée mécaniquement et sans surprise), mais surtout à cause du pouvoir que les artifices nous dévoilent de nous-mêmes. Si les artifices peuvent être encore des « merveilles », ils le sont dans la mesure où ils incarnent l’utopie d’un monde complètement humanisé, d’un monde arraché, par notre puissance, aux forces naturelles.

Mais la nature, comprise comme un automate, peut-elle être transparente ? L’automate est-il une image claire et distincte du mécanicisme ? Comme nous l’avons déjà mentionné, l’automate ne saurait s’expliquer sans l’imaginaire du vivant. Plus encore, comme il l’a clairement été démontré par Canguilhem dans un texte classique78, le rapprochement entre la machine et l’organisme fut possible grâce à l’apparition historique de machines capables d’imiter l’action automatique des vivants, ce qui implique – conclut Canguilhem – que l’organisme, comme réalité explicative, soit antérieur à la machine.

Autrement dit, les automates peuvent être des modèles pour la nature parce que les conditions d’automatisme se trouvent déjà originellement en elle. La perfection de n’importe quel automate ne pourra faire oublier cette origine dans la mesure où sa perfection tient justement à sa proximité – mimétique ou fantasmatique – avec elle. De

78 G. Canguilhem, « Machine et organisme » in La connaissance de la vie, Paris, J. Vrin, 2006. Ce texte est issu d’une série de conférences données entre les années 1946-1947 au Collège philosophique.

plus, comme nous venons de le mentionner plus haut, l’automate comme modèle mécanique restera toujours à la frontière entre la nécessité et l’autonomie, dans cette zone intermédiaire où l’animisme de la nature ne peut être supprimé qu’en l’évoquant dans une image simplifiée. Ainsi l’automate est-il loin d’être un artifice transparent, démonstration de l’autosuffisance conceptuelle du mécanisme. Rappelons en passant que le principe même du mécanisme, le mouvement par contact et par choc, ne va pas de soi. En termes d’explication philosophique, le phénomène physique du contact n’est pas moins problématique que celui de l’attraction à distance. Son évidence est, sans doute, plus forte et immédiate puisqu’il trouve un écho direct dans l’expérience quotidienne. Cependant, rien ne nous empêche de penser, avec Hume, que dans le mouvement par contact il n’y ait rien de plus que deux événements irréductibles, mis ensemble uniquement par la force de l’habitude.

Finissons cette brève analyse en commentant un aspect historique important de la machine au XVIIe siècle. On a déjà vu que l’automate comme machina machinarum, comme mécanisme paradigmatique, constitue un « pont d’échange » de significations entre le naturel et l’artificiel. C’est sur ce chemin frayé depuis la Renaissance que Descartes ouvrira le projet d’une mécanisation de la nature qui se déploie jusqu’à nos jours.

Toutefois, il est important de souligner que, bien que Descartes ait ouvert la voie à un traitement uniforme du naturel et de l’artificiel, cette continuité ne sera pas perçue à cette époque comme l’aliénation d’un homme « devenu » machine. Comme dira Gérard Simon,

« loin d’évoquer le spectre d’un monde inhumain parce contre nature, elle suscite plutôt le mythe d’une nature entièrement humanisée parce que maîtrisée et domestiquée »79. Cela s’explique parce que dans les machines du XVIIe siècle, les forces de la nature sont encore indissociables des actions des artifices. À cette époque, les machines utilisent en grande

79 Gérard Simon, « Les machines au XVIIe siècle : usage, typologie, résonances symboliques » in Revue de Sciences Humaine, La machine dans l’imaginaire (1650-1800), , n° 186-187, 1982-1983, p. 11.

mesure l’énergie de la nature et n’ont pas encore perdu leur rapport évident aux gestes du travail humain :

« la courroie fait tourner la poulie comme la main lance le volant d’inertie, la dent de l’engrenage s’insère entre les barreaux de la lanterne comme le doigt pourrait s’y agripper pour la tirer, la came soulève l’objet ou appuie sur le manche de l’outil comme l’ouvrier le ferait avec un levier »80. On peut dire que la machine sert à prolonger ou à détourner le fonctionnement de la nature ; elle s’inscrit dans cette chaîne où le travail animal a déjà remplacé celui de l’homme ; l’instrument remplacera maintenant l’animal. Or, tant que la machine garde une proximité avec le dynamisme du vivant, son interprétation ne posera pas de problème et restera redevable du processus de conquête de la nature, processus dans lequel la nature est encore vue comme source et moteur.

Les machines automatiques à cette époque ne représentent pas ainsi une rupture avec l’image de la nature. Les automates de Vaucanson, par exemple, s’inspirent tous des mouvements des êtres naturels : le canard, le joueur de flute, etc. Toutefois, l’image de l’automate confronte l’homme à une situation plus complexe. Car, tout en étant le modèle

Les machines automatiques à cette époque ne représentent pas ainsi une rupture avec l’image de la nature. Les automates de Vaucanson, par exemple, s’inspirent tous des mouvements des êtres naturels : le canard, le joueur de flute, etc. Toutefois, l’image de l’automate confronte l’homme à une situation plus complexe. Car, tout en étant le modèle